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Med Sci (Paris). 32(4): 320–323.
doi: 10.1051/medsci/20163204003.

Du nouveau dans la réponse antivirale
Identification d’un régulateur négatif du facteur IFITM3

Romain Appourchaux1,2,3,4,5 and Andrea Cimarelli1,2,3,4,5*

1CIRI, international center for infectiology research, team host-pathogen interaction during lentiviral infection, université de Lyon, 46, allé d’Italie, Lyon, France
2Inserm, U1111, Lyon, France
3École Normale Supérieure de Lyon, 46, allé d’Italie, Lyon, France
4Université Claude Bernard Lyon 1, centre international de recherche en infectiologie, Lyon, France
5CNRS, UMR5308, Lyon, France

MeSH keywords: Animaux, Complexes de tri endosomique requis pour le transport, Humains, Immunité innée, Interférons, Protéines membranaires, Souris, Motifs et domaines d'intéraction protéique, Transport de protéines, Protéines de liaison à l'ARN, Transduction du signal, Ubiquitin-protein ligases, Maladies virales, physiologie, génétique, métabolisme, composition chimique, immunologie

 

Les virus sont des « parasites » intracellulaires obligatoires1 qui se multiplient en utilisant à leur avantage le métabolisme des cellules qu’ils infectent. La réplication virale n’a cependant pas lieu dans un environnement neutre car la cellule a développé plusieurs mécanismes de défense qui sont censés combattre ces virus. Parmi celles-ci, la réponse interféron de type I (IFN-I, constitué des IFNα et β), initialement décrite en 1957 par Isaacs et Lindenmann [1], est la première ligne de défense contre les pathogènes présente dans tout le règne animal. La détection du pathogène, par le biais de plusieurs classes de récepteurs de l’immunité innée, les pattern recognition receptors (PRR), conduit à la production et la sécrétion d’IFNα/β qui, à leur tour, déclenchent une cascade de signalisation qui induit la surexpression de plusieurs centaines de gènes, communément nommés ISG (interferon stimulated genes). Ce programme génétique, profondément antiviral, résulte, entre autre, en la production de protéines ayant une activité antivirale effectrice qui sont capables d’interférer directement avec l’une ou l’autre des différentes étapes du cycle viral.

Les protéines IFITM

Les protéines de la famille IFITM (interferon-induced transmembrane proteins) et plus particulièrement les membres 1, 2 et 3, font partie de cette réponse antivirale. Ces protéines sont formées de deux domaines hydrophobes séparés par une boucle cytosolique, une structure leur permettant de s’ancrer dans les membranes lipidiques. Un effet des IFITM sur le virus de la grippe, le virus du Nil occidental (ou West Nile virus) et celui de la dengue, a été initialement décrit en 2009 par Abraham Brass par un criblage d’ARN interférence [2]. L’action antivirale des IFITM, consistant en une inhibition de la réplication virale, peut se produire de deux manières différentes. Dans une première configuration, la présence d’IFITM dans la membrane lipidique de la cellule cible inhibe l’entrée du virus en bloquant la fusion des membranes virales et cellulaires. Cette configuration est observée lors d’une activité antivirale dirigée contre plusieurs classes de virus [3] et, potentiellement, également contre des bactéries comme cela a récemment été montré pour Mycobacterium tuberculosis [4]. Dans une deuxième configuration, mise en évidence à l’heure actuelle uniquement pour le VIH-1 (virus de l’immunodéficience de type 1), l’action antivirale des IFITM intervient lors des phases de production de nouvelles particules virales au sein de la cellule infectée. Dans ce cas, les IFITM sont recrutés activement, ou se retrouvent passivement, au niveau du site d’assemblage du virus et sont incorporés dans les particules virales. Les nouveaux virus ainsi produits se montrent moins infectieux et présentent un défaut dans leur capacité à entrer dans la cellule cible [5, 6].

Quelle que soit la configuration étudiée, au sein de la cellule cible ou dans la cellule productrice de virus, les mécanismes moléculaires mis en œuvre par les IFITM pour interférer avec le cycle viral ne sont pas encore bien compris [3] ().

(→) Voir la Synthèse de K. Tartour et A. Cimarelli, m/s n° 4, avril 2015, page 377

Parmi les membres de la famille IFITM, l’IFITM3 est celui qui présente l’effet antiviral le plus systématique selon les différentes études. Il reste donc un modèle de référence pour étudier la famille IFITM et ceci, même si son activité antivirale est influencée par l’identité du pathogène, le type cellulaire et la configuration. Bien que l’action d’IFITM3 soit très efficace contre de nombreux pathogènes in vitro, ces derniers sont capables de se multiplier in vivo malgré sa présence. Une des explications possibles de cette divergence est l’expression relativement faible d’IFITM3 dans les cellules qui ne sont pas stimulées par l’interféron (IFN). Cette stimulation, nécessaire à la surexpression d’IFITM3, et donc à son effet antiviral maximal, se réalise bien souvent trop tardivement (l’infection étant déjà établie) ou elle est trop faible, voire inexistante (les pathogènes ayant mis en place des mécanismes d’échappement aux récepteurs de l’immunité innée ou bloquant la réponse IFN). Trouver un moyen pour augmenter le niveau basal d’IFITM3, indépendamment de l’infection ou de la réponse IFN, constituerait donc une nouvelle piste thérapeutique pour contrer un grand nombre d’infections.

Comment le trafic intracellulaire d’IFITM3 est-il régulé dans la cellule ?

La localisation et le niveau intracellulaire des protéines cellulaires peuvent être finement régulés par des modifications post-traductionnelles. C’est le cas pour la protéine IFITM3. Son trafic intracellulaire est un processus dynamique et complexe qui implique différentes modifications post-traductionnelles telles que la palmitoylation, la phosphorylation, la méthylation et l’ubiquitination. Après sa synthèse dans le réticulum endoplasmique, IFITM3 transite par l’appareil de Golgi pour atteindre la membrane plasmique. IFITM3 est endocytée et se retrouve de façon prédominante, bien que non exclusive, dans les endosomes tardifs et les lysosomes.

L’étude d’une cohorte de patients hospitalisés fréquemment pour des infections respiratoires a révélé un enrichissement tout à fait remarquable, dans cette population, d’une forme mutée de la protéine IFITM3 (single nucleotide polymorphisme [SNP] rs12252C) [7]. Le changement d’un seul nucléotide retrouvé dans cet allèle (une cytosine remplaçant une thymine) modifie l’épissage de l’ARNm codant IFITM3 et résulte en la production d’une protéine délétée de ses 21 premiers acides aminés. Contrairement à la protéine sauvage, cette IFITM3 tronquée exerce une activité antivirale amoindrie. Elle est localisée principalement au niveau de la membrane plasmique [7], suggérant que l’extrémité aminoterminale de la protéine contient des déterminants très importants pour sa localisation intracellulaire. En effet, cette portion aminoterminale qui présente le motif YEML2,, est reconnue par la machinerie d’endocytose dépendant d’AP2 (adaptor complex 2) (Figure 1) [3] qui est responsable de l’endocytose d’IFITM3. Cependant, le motif YEML peut aussi être phosphorylé, sur une tyrosine située en position 20, par la kinase Fyn3 bloquant la reconnaissance d’IFITM3 par le complexe AP2, ce qui conduit à la rétention d’IFITM3 à la membrane plasmique.

Un autre type de modification post-traductionnelle de IFITM3, en plus de la phosphorylation, a été mis en évidence dans une étude réalisée par le groupe de Jacob S Yount en 2012. Ces auteurs ont en effet montré la possibilité de mono- et de polyubiquitination de 4 lysines présentes dans la séquence d’IFITM3, conduisant à sa dégradation. Un mutant d’IFITM3 dépourvu de ces lysines qui ne peut donc être ubiquitiné, est retrouvé en plus grande quantité dans la cellule [8]. Puisque l’activité antivirale d’IFITM3 est en partie proportionnelle au niveau de son accumulation dans la cellule, toute modification post-traductionnelle, pouvant moduler la quantité ou la stabilité d’IFITM3 au sein de la cellule, aura donc potentiellement une répercussion sur sa capacité antivirale. En conséquence, l’identification de l’ubiquitine ligase, responsable in fine de la dégradation d’IFITM3, apparaît donc comme une étape cruciale qui permettrait de réguler ce processus et ainsi d’augmenter le potentiel antiviral d’IFITM3.

Identification de NEDD4

Les récents efforts de l’équipe de Jacob S Yount ont permis, parmi les 600 ubiquitine ligases annotées dans le génome humain, d’identifier celle qui est responsable de l’ubiquitination d’IFITM3 [9]. Ces auteurs ont étudié la famille des NEDD4 (neural precursor cell expressed developmentally down-regulated protein 4) ubiquitine ligases E3. La phosphorylation de la tyrosine située en position 20 d’IFTIM3, en plus de bloquer l’endocytose, prévient également l’ubiquitination de la protéine [10]. Or cette tyrosine 20 (Y20) entre dans la constitution du motif d’endocytose YEML mais aussi dans le motif PPxY4, très conservé, qui est reconnu par le domaine WW (deux acides aminés tryptophanes séparés par environ 20 acides aminés) présent sur les ubiquitines ligase E3 de la famille NEDD4, dont la protéine NEDD4 est le prototype. De nombreux indices indiquaient un rôle possible de NEDD4 dans l’ubiquitination d’IFITM3, comme son expression ubiquitaire dans les mêmes tissus, et le fait que de nombreuses cibles de NEDD4 sont en fait des protéines membranaires partageant la localisation d’IFITM3. Dans un premier temps, des expériences utilisant la microscopie confocale ont permis de confirmer la colocalisation des protéines NEDD4 et IFITM3 endogènes au niveau des lysosomes, dans des fibroblastes embryonnaires murins stimulés à l’interféron. Par la suite, une série d’expériences de sur- ou de sous-expression a montré l’importance de NEDD4 dans l’ubiquitination d’IFITM3 dépendant de la reconnaissance du motif PPxY. La présence de NEDD4 augmente ainsi de façon significative le niveau d’ubiquitination d’IFITM3 in cellulo mais aussi in vitro.

Les auteurs se sont également intéressés au devenir des IFITM3 ainsi ubiquitinés. NEDD4, associé aux systèmes lysosomal et endosomal, adresse des protéines vers la voie de dégradation lysosomale. L’utilisation d’un inhibiteur de l’activation des protéases lysosomales, comme la chloroquine ou la bafilomycine, augmente effectivement le niveau intracellulaire d’IFITM3 en évitant sa dégradation lorsqu’il est ubiquitiné. En revanche, le protéasome n’est pas impliqué dans la dégradation des IFITM3 ubiquitinés. L’utilisation du MG132, inhibiteur de la voie protéasomale, n’augmente pas en effet le niveau intracellulaire d’IFITM3.

Ce travail permet également de faire le lien entre NEDD4 et l’activité antivirale d’IFITM3 (Figure 2). L’abolition de l’expression de NEDD4 dans une lignée de cellules humaines pulmonaires permet en effet de réduire l’ubiquitination et ainsi d’augmenter le niveau intracellulaire d’IFITM3. Les cellules dépourvues de NEDD4 sont alors environ trois fois plus résistantes à l’infection par un virus Influenza A.

Conclusions

Le mécanisme antiviral d’IFITM3 n’est pas encore bien compris. Il a été suggéré qu’IFITM3 pouvait modifier le métabolisme de la cellule en influençant la fluidité membranaire afin de bloquer l’entrée du virus. Cette nouvelle étude de l’équipe de Jacob S Yount [9] est la première à identifier un régulateur négatif cellulaire de IFITM3. La présence de NEDD4, comme régulateur négatif, semble donc indiquer qu’en l’absence d’infection virale, l’action d’IFITM3 pourrait être délétère pour le métabolisme de la cellule. En revanche, lors d’une infection virale, la stimulation par les IFNα/β permettrait d’augmenter l’expression d’IFITM3, ce qui bloquerait la réplication virale. De manière intéressante, parmi les gènes stimulés par l’IFN (les ISG, interferon stimulated genes), on trouve le gène ISG15 qui code une protéine qui se lie à NEDD4 et bloque son action [11]. L’augmentation du niveau intracellulaire d’IFITM3 lors de la réponse interféron résulte donc de deux mécanismes : l’augmentation de son expression et l’inhibition de sa dégradation lysosomale par NEDD4. Apparaissant naturellement lors de la réponse IFN, l’inhibition à court terme de NEDD4 est soutenue par le métabolisme cellulaire. Le développement d’inhibiteurs de NEDD4 pourrait donc potentiellement représenter une nouvelle approche préventive de lutte contre de multiples infections virales.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Incapables de survivre en dehors d’une cellule.
2 Tyrosine-Acide glutamique-Méthionine-Leucine.
3 Phospho-transférase spécifique de la tyrosine, appartenant à la famille des tyrosine protéine kinases Src, principalement localisée au niveau de la membrane plasmique et participant à la régulation de plusieurs voies de signalisation.
4 PPxY : P = proline, x = un acide aminé quelconque et Y = tyrosine.
References
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