Med Sci (Paris). 2016 February; 32(2): 217–220. Published online 2016 March 2. doi: 10.1051/medsci/20163202017.Chroniques génomiques - Sommet de Washington : feu orange pour la thérapie germinale ? 1UMR 7268 ADÉS, Aix-Marseille, Université/EFS/CNRS, Espace éthique méditerranéen, hôpital d’adultes la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385Marseille Cedex 05, France 2CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 09, France Corresponding author. MeSH keywords: Bioéthique, Avancée biomédicale, Systèmes CRISPR-Cas, Congrès comme sujet, District de Columbia, Édition de gène, Thérapie génétique, Cellules germinales, Humains, Guides de bonnes pratiques cliniques comme sujet, éthique, physiologie, législation et jurisprudence, normes, tendances, psychologie, métabolisme | |||
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Depuis la découverte du système CRISPR-Cas9 et son adaptation pour modifier à volonté l’ADN de cellules de mammifères [1], l’éventualité de son emploi pour intervenir sur la lignée germinale humaine fait l’objet de spéculations et de débats [2]. Un article rapportant une tentative sur des embryons humains est déjà paru [3] et plusieurs autres auraient été soumis mais refusés (voir plus loin). Il n’est donc pas étonnant qu’une réunion internationale ait été décidée pour examiner la situation et faire des recommandations, un peu comme cela avait été le cas lors des débuts du Génie Génétique avec la réunion d’Asilomar [4]. Ce sommet a effectivement eu lieu à Washington du 1er au 3 décembre 2015, à l’initiative des deux Académies concernées aux États-Unis (Académies des Sciences et de Médecine), de la Royal Society (Royaume-Uni) et de l’Académie des Sciences chinoise. Contrairement au cas d’Asilomar, il s’est agi d’une réunion « ouverte » rassemblant environ quatre cents personnes, dont une bonne moitié de chercheurs (biologistes et spécialistes de l’éthique) ainsi que de nombreux représentants de diverses institutions et qu’un fort contingent de journalistes et de membres d’entreprises de biotechnologie [5]. Une cinquantaine de communications sur les différents aspects du système CRISPR et de ses applications ont été présentées, et des sessions ouvertes à tous les participants ont permis d’approfondir les discussions. C’est néanmoins le comité d’organisation (douze personnes, dont huit Nord-Américains) qui en a rédigé les conclusions. La déclaration finale et la liste des membres de ce comité sont disponibles [6], ainsi que la plupart des présentations – matériau très riche et très intéressant –, tout comme des enregistrements vidéo des sessions [7]. | |||
Le sommet a donc occupé trois journées dont je vais résumer le contenu avant de présenter les points essentiels de la déclaration finale. Le premier jour, après une session d’introduction où a notamment été présenté le passé de l’eugénisme aux États-Unis, a consacré une session à un point sur l’état de la technique (avec notamment ses principaux « inventeurs » Jennifer Doudna, Emmanuelle Charpentier et Feng Zhang), suivie d’une session consacrée aux applications possibles à la lignée germinale – à l’évidence une session majeure par rapport à l’objectif de la réunion. Y ont été évoqués les niveaux auxquels l’intervention pourrait être envisagée (par injection dans le zygote, mais éventuellement aussi au niveau du spermatozoïde, ou des cellules-souche spermatogoniales), l’objectif (thérapie pour des maladies génétiques, mais aussi divers types d’« amélioration »)… une session très riche détaillée dans les présentations, toutes disponibles en ligne [7]. Celles-ci confirment que les cas de figure pour lesquels la correction d’une affection génétique par intervention sur la lignée germinale se justifie restent exceptionnels, car le diagnostic préimplantatoire peut assurer un embryon indemne dans la quasi-totalité des cas. En revanche, l’éventail des « améliorations » envisagées selon les orateurs est très large ; certaines d’entre elles peuvent être présentées comme des actions de prévention (résistance à l’infection par HIV grâce à l’inactivation du gène CCR5, introduction d’un allèle protecteur pour Alzheimer) tandis que d’autres relèvent de la science-fiction (introduction de traits « non-humains » comme la détection de lumière infra-rouge…). La session suivante abordait les implications sociales, avec des positions allant de l’interdiction de toute intervention sur la lignée germinale, même au niveau de la recherche, à une vision très positive (et quasiment « transhumaniste ») des opportunités offertes par la technologie (John Harris, Université de Manchester). La journée se terminait par une présentation d’Eric Lander resituant ces nouvelles possibilités dans le cadre général de la génétique médicale, et concluant que le nombre de situations où une intervention sur la lignée germinale pourrait présenter un intérêt est très réduit. La deuxième journée débutait par une session sur les applications (de plus en plus nombreuses) de CRISPR en recherche – Rudolf Jaenisch, en particulier, soulignait le progrès énorme qu’elle représente pour les études fonctionnelles sur la souris. La session suivante portait sur les applications en thérapie génique somatique, montrant les progrès rapides dans l’emploi de la technique, notamment pour la thérapie des hémoglobinopathies, et d’une manière générale son caractère très évolutif. Ces deux sessions soulignent la rapidité des progrès effectués pour résoudre les différents problèmes (efficacité, effets off target) qui se posent et améliorer l’efficacité et la sécurité de la méthode Le reste de la réunion était consacré, sous différents éclairages, aux questions de régulation, de gouvernance et de contrôle soulevés par la perspective d’utilisation de CRISPR en clinique pour intervenir au niveau germinal : situation de la gouvernance au niveau national (États-Unis, Chine, France), possibilité d’une gouvernance au niveau international (et rôle des revues scientifiques, présenté de manière très intéressante par Peter Campbell, rédacteur en chef du groupe Nature). Suivait une session faisant un point détaillé pour plusieurs pays, mais avec malheureusement peu de documents disponibles en ligne. Les deux dernières sessions étaient consacrées à la notion d’équité, avec des visions très contrastées entre un optimisme pragmatique et la critique des « bonnes intentions » aux conséquences sociétales néfastes, et à la difficulté d’une régulation effective, compte tenu de la facilité de la technique et de sa très large diffusion. À cette occasion était évoqué le cas de l’université de Mossoul, maintenant aux mains de Daech et dont un haut responsable aurait été récemment exécuté pour avoir refusé de collaborer au développement d’armes biologiques1… La toute dernière intervention, effectuée par David Baltimore, était en fait la lecture des passages essentiels de la déclaration finale, sur laquelle je vais bien sûr revenir. Avant d’en arriver là, et pour conclure ce survol de trois journées qui ont dû être passionnantes2, notons que cette question de la thérapie génique germinale a donc été envisagée de multiples points de vue, y compris avec des débats contradictoires sur les aspects éthiques et sociétaux, et avec la participation du public présent – mais néanmoins dans un cadre essentiellement anglo-saxon et avec peu de contributions des autres nations (à part, mais dans une assez faible mesure, la Chine). Notons aussi que même si la sociologie de la science et l’éthique étaient bien représentées, les patients et leurs organisations étaient, eux, largement absents des débats – alors que certains d’entre eux fondent, sans doute à tort d’ailleurs, de grands espoirs sur le germline genome editing [8]. Enfin le souci d’information et de transparence, et en particulier la mise à disposition en ligne de la grande majorité des interventions [7] sont des points très positifs. | |||
Cette déclaration finale émane des douze membres du comité d’organisation [6], elle a été lue mais non discutée en réunion plénière (Figure 1). Ses principales recommandations sont :
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Nous voilà donc assez loin de la convention d’Oviedo (1997), engageant les pays de l’Union Européenne, qui stipule dans son article 13 : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance ». Loin aussi de notre code civil qui stipule dans son article 16-4 « aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». Les conclusions du sommet de Washington ne prétendent certes pas avoir force de loi : elles ont pour but de présenter l’état de la question, la régulation restant du ressort des États. Il est néanmoins clair que la tonalité générale de ses recommandations est favorable à l’expérimentation, y compris sur l’embryon humain (mais sans réimplantation), et n’exclut pas l’éventualité de l’emploi de la méthode pour modifier la lignée germinale, une fois les problèmes techniques résolus pour assurer un niveau de sécurité satisfaisant- ce qui est probable à moyen terme. Le document pose cependant une autre exigence, celle d’un large consensus sociétal, bien plus aléatoire. D’autant plus que la question risque fort de se traiter au niveau national, et que les sensibilités ne sont pas du tout les mêmes en Europe continentale, aux États-Unis ou en Chine : on pourrait alors se retrouver – comme aujourd’hui en ce qui concerne la gestation pour autrui – dans la situation où ce qui sera pratiqué dans un pays sera interdit dans un autre. La déclaration de Washington a beau rappeler que le génome humain est partagé par toutes les nations, et recommander l’harmonisation des règles, cela risque bien de rester lettre morte dans le monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui. | |||
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article. | |||
1
http://www.iraqinews.com/iraq-war/source-isis-executes-head-physics-department-refusing-develop-bioweapons-mosul/
2
Je n’étais pas à Washington, mais j’ai consulté toutes les présentations disponibles, et j’ai aussi bénéficié des précieux commentaires de Pierre Jouannet qui a participé au sommet au titre de l’Académie de Médecine française.
3
It would be irresponsible to proceed with any clinical use of germline editing unless and until (i) the relevant safety and efficacy issues have been resolved, based on appropriate understanding and balancing of risks, potential benefits, and alternatives, and (ii) there is broad societal consensus about the appropriateness of the proposed application.
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1.
Gilgenkrantz H. La révolution des CRISPR est en marche . Med Sci (Paris). 2014; ; 30 : :1066.–1069. 3.
Liang P, Xu Y, Zhang X, et al. CRISPR/Cas9-mediated gene editing in human tripronuclear zygotes . Protein Cell. 2015; ; 6 : :363.–372. 4.
Berg P, Baltimore D, Brenner S, et al. Asilomar conference on recombinant DNA molecules . Science. 1975; ; 188 : :991.–994. 5.
Regalado A. Scientists on gene-edited babies: it’s irresponsible for now . MIT Technology review. , December 3, 2015 (http://www.technologyreview.com/biomedicine/). 6.
On human gene editing : international summit statement. http://www8.nationalacademies.org/onpinews/newsitem.aspx?RecordID=12032015a. 7.
International summit on human gene editing. http://www.nationalacademies.org/gene-editing/Gene-Edit-Summit/index.htm. 8.
Regalado A. Patients favor changing the genes of the next generation with CRISPR . MIT technology review. , December 2, 2015 (http://www.technologyreview.com/biomedicine/). |