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Med Sci (Paris). 2016 January; 32(1): 27–34.
Published online 2016 February 5. doi: 10.1051/medsci/20163201006.

Le nouveau paradigme de l’origine développementale de la santé et des maladies (DOHaD)
Épigénétique, environnement : preuves et chaînons manquants

Claudine Junien,1* Polina Panchenko,1,2 Luciano Pirola,3 Valérie Amarger,4 Bertrand Kaeffer,4 Patricia Parnet,4 Jérôme Torrisani,5 Francisco Bolaños Jimenez,4 Hélène Jammes,1 and Anne Gabory1

1Inra, UMR1198, biologie du développement et reproduction, Domaine de Vilvert, Bâtiment 230, F-78352Jouy-en-Josas, France
2Université Pierre et Marie Curie, F-75005Paris, France
3Institut Carmen, Inserm U1060, Oullins, France
4UMR 1280 Inra université de Nantes, Institut des maladies de l’appareil digestif, Nantes, France
5Inserm UMR1037, Centre de recherche en cancérologie de Toulouse, université de Toulouse III Paul Sabatier, F-31037Toulouse, France
Corresponding author.
 

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Épigénétique et environnement : la révolution

La découverte de l’incorporation des impacts de l’environnement dans l’épigénome représente une véritable révolution : qui aurait pu imaginer que les épreuves physiques et psychologiques endurées par des femmes enceintes lors de l’épisode Ice storm au Québec en 19981,, ou des attentats du 11 septembre 20012 allaient laisser des traces dans l’épigénome des fœtus et influencer leur phénotype et leur devenir [1, 2] ? Ainsi, selon le nouveau paradigme des « origines développementales de la santé et des maladies (DOHaD) », l’environnement peut laisser sur notre épigénome des traces qui sont conservées longtemps après l’exposition à l’événement, voire qui sont transmises aux générations suivantes, sans altérer la séquence de l’ADN, via nos épigénomes. Dès 2004, les groupes de M. Szyf et de M. Meaney montrèrent que, chez le rat, la qualité des soins maternels durant la période postnatale conditionne pour la vie la réactivité au stress de leur progéniture [3]. Ces soins modifient, dans l’hippocampe, l’épigénome d’un gène clé, celui qui code le récepteur aux glucocorticoïdes, mais également l’épigénome de réseaux de gènes [4]. Des mécanismes semblables opèrent chez le rongeur, le macaque et l’humain [5, 6], montrant la conservation entre les espèces des mécanismes impliqués dans de tels processus d’adaptation à l’environnement. Des mécanismes épigénétiques ont depuis été impliqués dans les effets, sur la progéniture, de divers stimulus environnementaux subis à différents stades par la mère ou par le père : nutrition déséquilibrée, adversité, stress, peur du prédateur, défaite sociale, etc. [5, 712] ().

(→) Voir la Synthèse de M.A. Charles et al., page 15 de ce numéro

Ces découvertes remettent en question la séparation entre l’inné et l’acquis, très prisée aux siècles derniers, au profit d’une frontière fluctuante et virtuelle. Le séquençage du génome a apporté une connaissance fabuleuse, mais ne nous offre qu’un nombre restreint de marqueurs de prédiction fiables quant à la susceptibilité à certaines maladies chroniques, une application qui n’est pas à la hauteur de l’espoir suscité. Une étude récente estime qu’à la naissance, les interactions gène/environnement liées à des processus épigénétiques représentent 75 % de la variabilité phénotypique, alors que le génotype ne rend compte que de 25 % [13]. Et pourtant, les marques épigénétiques ne s’apposent pas au hasard, mais dépendent aussi de la séquence de l’ADN. Il est donc nécessaire de mieux comprendre les relations entre génétique et épigénétique, de les associer plutôt que de les opposer ou d’ignorer l’une ou l’autre [10, 14].

Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), la prévalence des maladies chroniques augmentera de 17 % au cours de la prochaine décennie, ce qui représentera un coût humain et financier énorme. Le concept de DOHaD, parce qu’il s’intéresse aux origines de pathologies observées chez l’adulte (en général chroniques) et ne se limite pas à une intervention à la période où la maladie est déjà installée – ce qui limite les chances de succès de la combattre – offre des possibilités de prévention. Il permet de distinguer, en termes d’impact environnemental et de réponse, trois grandes phases couvrant le cycle de la vie dans son intégralité (Figure 1). Nous ne développerons ici que les deux premières phases, la troisième faisant l’objet de la seconde revue de C. Junien et al. ().

(→) Voir la Synthèse de C. Junien et al., page 35 de ce numéro

Pour comprendre les enjeux de ce nouveau concept de la DOHaD, il est essentiel de définir des termes comme épigénétique, dynamique versus stable, héritabilité au sens mitotique ou transgénérationnel, héréditaire, ainsi que les limites pratiques de la réversibilité théorique des marques épigénétiques. Ces définitions permettront d’expliciter les sources de confusion et de montrer comment l’épigénétique, un des supports moléculaires des phénomènes observés mais probablement pas le seul, offre dans toute sa diversité des possibilités insoupçonnées pour comprendre les processus de la DOHaD. Dans cette synthèse, notre objectif n’est pas de faire une revue exhaustive des mécanismes épigénétiques. D’excellentes revues décrivent les différents acteurs et les multiples variations épigénétiques observées jusqu’à présent dans diverses conditions et différentes espèces [1519]. Notre but est de montrer, à l’aide de travaux récents, les vraies questions, approches et stratégies transdisciplinaires qui restent à mettre en place pour aborder ces mécanismes dans le contexte de la DOHaD (Figure 2).

Les définitions de l’épigénétique : éphémères, ambiguës et controversées

En 1942, Conrad H. Waddington inventait le terme « épigénétique » (en anglais, epigenetics), compilation des termes « epigenesis » et « genetics » ; celui-ci désignait « la branche de la biologie qui étudie les relations de cause à effet entre les gènes et leurs produits, faisant apparaître le phénotype »3 [20]. Le sens du terme épigénétique change ensuite grâce à l’élucidation progressive de ses fondements moléculaires et devient « l’étude des changements de la fonction des gènes héritables au niveau mitotique et/ou méiotique qui ne peuvent être expliqués par des changements dans la séquence de l’ADN »4 [21]. La première définition couvre l’activité des biologistes du développement, la seconde laisse la porte ouverte à tout ce qui n’est pas mutation dans l’ADN.

Puis Adrian Bird a revu la définition pour proposer : « l’adaptation structurelle de régions chromosomiques permettant d’enregistrer, de signaler ou de perpétuer des états d’activité modifiés »5 [22]. Plus récemment, l’étude de systèmes, comme celui de l’horloge circadienne, qui par définition permet de faire fluctuer l’expression des gènes au cours des 24 h de la journée [23], ou, comme la mémoire neuronale [24], révèle l’implication de mécanismes et d’outils typiquement épigénétiques mais n’impliquant, ni l’un ni l’autre, de division cellulaire, donc d’héritabilité mitotique [22]. Selon Adrian Bird, exiger le critère « héritable » pour définir un mécanisme comme étant épigénétique, c’est-à-dire la capacité de s’autoperpétuer lors de la division cellulaire, est source de confusions, d’amalgames, surtout avec la notion populaire de transmission à la génération suivante ; il ne se justifie plus et devrait être abandonné [22].

Phase 1 – Ontogenèse des paysages épigénétiques : dynamique et/ou stabilité de la chromatine
L’épigénome est constitué de multiples strates et facettes interconnectées qui varient au cours du temps et selon l’environnement. Après la fécondation, l’épigénome des gamètes parentaux subit une reprogrammation drastique : l’enlèvement des marques épigénétiques caractéristiques des gamètes et l’acquisition de nouvelles marques sont essentiels pour assurer la totipotence nécessaire au développement. Les mécanismes épigénétiques dans l’embryon précoce comprennent la méthylation, l’hydroxyméthylation de l’ADN et les modifications post-traductionnelles des histones () et peuvent également inclure le remplacement de variants d’histones par d’autres. Dans les cellules souches embryonnaires (embryonic stem cells, ES), un réseau unique de facteurs de transcription appelés facteurs pionniers (OCT4 [octamer-binding transcription factor 4], SOX2 [sex determining region Y)-box 2] et NANOG [Homeobox protein NANOG], pour les principaux) régule l’établissement et la maintenance de la pluripotence de ces cellules. L’introduction de ces facteurs pionniers dans une cellule souche totipotente, mais aussi dans une cellule somatique différenciée, entraîne des modifications épigénétiques très spécifiques (reprogrammation) qui changent de manière spectaculaire le phénotype d’une cellule [25, 26]. Les profils des marques épigénétiques mises en place successivement au cours du développement permettent de représenter dans toute leur diversité les programmes d’expression génique nécessaires pour construire harmonieusement les différentes parties d’un organisme [27]. Ainsi nos 23 000 gènes ne s’expriment pas de la même façon dans les différents types cellulaires et selon le sexe ou l’âge. Cette plasticité dépend de marques épigénétiques versatiles et également d’ARN non codants [28] pour répondre à un environnement qui change, à tous les stades de la vie [29].

(→) Voir la Synthèse de C. Junien et al., page 35 de ce numéro

Pourquoi les phases précoces du développement constituent des fenêtres sensibles ou insensibles Les phases précoces du développement offrent une large gamme d’opportunités éphémères pour façonner les marques épigénétiques, la conformation de la chromatine, au gré de l’environnement, selon le stade de développement, l’âge, le statut physiopathologique, le sexe et, plus tard, le genre [30]. Les cellules ES6 ont une chromatine « ouverte » et active. Les gènes de développement sont marqués à la fois par la marque épigénétique répressive H3K27me3 (correspondant à la triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3) et par la marque activatrice H3K4me3 (triméthylation de la lysine 4 de l’histone H3) d’où le terme de marques bivalentes. Ces gènes sont silencieux mais « prêts » à s’exprimer (primed) ou à être inhibés, selon qu’ils perdent l’une ou l’autre des deux marques avant ou au cours de la différenciation cellulaire, qui s’accompagne d’un remodelage global de la chromatine [31] (Figure 3). Les cellules ES éteignent les gènes de pluripotence et acquièrent le phénotype de cellules différenciées distinctes en activant les gènes spécifiques de lignage et en réprimant les gènes spécifiques des autres lignages inappropriés [31]. Ainsi les gènes actifs contiennent généralement la marque « activatrice » H3K4me3 au niveau de leur promoteur et les marques H3K4me1/me2 et H3K27ac (lysine 27 acétylée) au niveau de leurs enhancers. Les locus réprimés sont enrichis en H3K27me3 et/ou en méthylation de l’ADN, qui semblent réprimer des locus distincts. Il n’est donc pas étonnant qu’un facteur environnemental puisse laisser un impact dans un contexte chromatinien donné et pas dans un autre.

Comment garder la mémoire ? L’héritabilité mitotique Quels mécanismes assurent la propagation de la mémoire des impacts de l’environnement ? Chez les eucaryotes, hormis durant les processus de différenciation, le statut actif ou réprimé des gènes est héritable puisqu’il est transmis à l’identique au cours des divisions cellulaires, à la descendance des cellules [32].

L’héritabilité n’a donc pas le même sens selon que l’on parle d’héritabilité « mitotique » – au cours des divisions cellulaires d’un même organisme –, ce qui faisait partie de la définition moderne initiale, ou d’héritabilité « transgénérationnelle », d’observation plus récente, et qui fait intervenir une transmission via les gamètes. Les mécanismes ou les agents potentiellement impliqués, qu’ils soient épigénétiques ou autres (ARN non codants, facteurs diffusibles ou cytoplasmiques, par exemple) sont différents dans ces deux types d’héritabilité. De plus, bien que certaines marques épigénétiques soient considérées comme généralement stables, des influences environnementales et des événements stochastiques peuvent être à l’origine de modifications de ces marques et changer le statut transcriptionnel [33].

Jusqu’à présent, l’attention s’était surtout portée sur les 2 principaux codes épigénétiques : les modifications enzymatiques des histones et la méthylation de l’ADN (Figure 3). Cette dernière est fidèlement reproduite lors de la division, par la méthyltransférase 1 de l’ADN (DNMT1) [34], et peut donc être le support de la mémoire. Cependant, certains organismes comme la drosophile ou le nématode Caenorhabditis elegans, n’ont pas d’enzyme permettant la méthylation de l’ADN, mais sont capables, par d’autres mécanismes, d’auto-perpétuer des états d’expression altérés. En revanche, chez tous les eucaryotes, il existe bien une batterie d’enzymes capables d’apporter des modifications post-traductionnelles aux histones. Les systèmes Polycomb/Trithorax, par leur activité méthyltransférase sur les histones, sont également des acteurs importants (Figure 3).

Il existe donc différents processus capables de conserver la mémoire des impacts de l’environnement. Il est probable qu’ils n’agissent pas seuls mais en interaction les uns avec les autres et avec d’autres processus qui restent à découvrir.

Réversibilité des marques ou réversibilité des états phénotypiques ? Si, par nature, les marques épigénétiques sont malléables donc réversibles, les conséquences de leurs changements sur la morphogenèse ou l’état de la cellule peuvent, elles, être irréversibles. Au cours des périodes critiques de plasticité développementale (préconceptionnelle, gestation, petite enfance et adolescence), un environnement subnormal peut créer une prédisposition irréversible aux facteurs de risque d’une maladie survenant ultérieurement chez l’adulte. Ainsi, une alimentation déséquilibrée de la mère pendant la gestation peut être associée, chez l’enfant, à une diminution du nombre de cellules bêta pancréatiques productrices d’insuline, ou de néphrons, entraînant respectivement un risque de diabète ou d’hypertension ().

(→) Voir la Synthèse de A. Gabory et al., page 66 de ce numéro

Une adversité précoce peut, elle, exposer à un risque de maladie neuro-dégénérative ou de développement tumoral [3537] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Delpierre et al., page 21 de ce numéro

La dynamique inhérente aux processus épigénétiques explique l’importante flexibilité des marques en fonction de l’exposition à des facteurs de l’environnement internes et externes [38]. Si certaines, établies lors de l’impact, sont stables, d’autres apparaîtront ou/et disparaîtront, faisant évoluer le paysage épigénétique tout en aggravant ou en corrigeant le phénotype au cours du temps [39] (Figure 4).

Pourtant, à l’inverse des mutations du génome, les multiples épimutations (mutations de l’épigénome) sont, elles, potentiellement réversibles. Les facteurs épigénétiques étalent leurs effets sur la structure de la chromatine sur des échelles de temps variées allant de la minute, au cours de la signalisation par un récepteur, à des années pour la mémoire métabolique, ou à des générations pour les perturbations environnementales [38, 40]. Ainsi, l’ADN subit des cycles de méthylation/déméthylation indiquant qu’une marque « stable » d’activité génique peut toutefois être modulée par des facteurs de transcription et répondre dynamiquement à des signaux de l’environnement [41].

Contrairement à la séquence génétique, unique et stable dans toutes les cellules, les profils épigénétiques varient d’un type cellulaire à l’autre au sein d’un même tissu, voire même de la partie apicale à la partie distale d’un même tissu. Ils sont dynamiques au cours de la vie [42] et des rythmes circadiens [23]. De fait, l’élément central de l’horloge circadienne, le facteur de transcription CLOCK (clock circadian regulator), possède également une activité acétyltransférase d’histone et plusieurs modificateurs de la chromatine sont recrutés de manière circadienne au niveau des promoteurs des gènes contrôlés par l’horloge ; des ARN antisens jouent également un rôle important dans cette régulation [43, 62]. Il est maintenant également admis que des processus épigénétiques sous-tendent les états fonctionnels des neurones qui peuvent rester stables pendant plusieurs années. Toutefois, ces états ne pourront être transmis à des cellules filles, puisqu’à part quelques exceptions, les neurones ne se divisent pas [24, 44].

S’il existe aujourd’hui au moins une vingtaine d’exemples de correction ou de compensation d’effets transmis par la mère qui influençent le phénotype de la progéniture [39, 45], un petit nombre seulement fait état de modifications épigénétiques accompagnant ces changements phénotypiques au cours de la vie d’un individu [4648]. Il n’existe cependant pas encore, à notre connaissance, d’exemple de réversibilité de marques associées à des effets correcteurs ou compensateurs au cours des générations.

Phase 2 : comment l’organisme programmé répond à l’environnement
La seconde phase de la DOHaD correspond aux effets, ou plutôt aux réponses, à moyen et long terme, aux perturbations survenues au cours du développement, auxquelles viennent s’associer celles survenues tout au long de la vie, sous l’influence d’effets permanents et fluctuants de l’environnement (Figure 1).
Le principe des deux événements : effets ou réponses ? Les altérations épigénétiques survenues au cours du développement sous les effets de l’environnement peuvent être considérées comme un premier événement. Elles ne confèrent qu’un état latent, une sensibilité à un second événement, révélé plus tard par des facteurs de risque environnementaux. Plus qu’un effet causal direct à long terme, il s’agit plutôt de modifications de la capacité de réponse des tissus/organes programmés [36, 37, 49].

Les marques évoluent rapidement au cours du temps [39, 42]. Les changements ultérieurs qui surviennent sous l’effet de différents environnements, ou des modifications liées au vieillissement, peuvent augmenter ou diminuer la charge allostatique c’est-à-dire rendre un individu encore plus susceptible, ou inversement, plus résistant, à leurs effets (Figure 4) [39].

La « programmation » précoce peut également conférer à un gène une capacité à répondre plus rapidement à une seconde exposition. Ainsi, le concept de mémoire hépatique suggère qu’un gène (par exemple les gènes codant les récepteurs aux hormones stéroïdes et thyroïdes) peut répondre plus rapidement à un inducteur lors de la deuxième exposition que lors de l’activation initiale. Cela est particulièrement évident si celle-ci a lieu à un stade où cet inducteur n’est habituellement pas présent, et la mémoire de cette exposition peut être retenue pendant plusieurs mois [50]. Ainsi, cela pourrait expliquer pourquoi certains polluants aux effets hormono-mimétiques (perturbateurs endocriniens) ont des effets avant la différenciation des gonades, donc malgré l’absence d’hormones gonadiques à ce stade ().

(→) Voir la Synthèse de C. Mauduit et al., page 45 de ce numéro

La mémoire métabolique : peut-on la déverrouiller ? On ne sait pas si toutes les marques épigénétiques acquises sont réversibles et dans quelles conditions. Chez l’humain, un des mécanismes les mieux étudiés d’interaction entre un défaut nutritionnel et l’épigénome est la mémoire métabolique ou glycémique, observée chez des patients diabétiques ().

(→) Voir le numéro thématique Diabète : approches thérapeutiques émergentes, m/s n°8-9, août-septembre 2013

Chez ces patients, les complications du diabète causées par l’hyperglycémie transitoire persistent voire progressent, alors même que la glycémie est contrôlée par l’administration d’insuline [51]. L’analyse des modifications post-traductionnelles des histones dans des cellules sanguines de patients atteints de diabète de type 1 (DT1) a montré que l’acétylation de la lysine 9 de l’histone H3 (H3K9ac) est modifiée [52]. De façon similaire, in vitro dans des cellules endothéliales primaires exposées à une hyperglycémie, cette acétylation de l’histone H3 est diminuée sur un nombre significatif de régions promotrices de gènes impliqués dans la physiopathologie du DT1 [53].

Ces observations indiquent qu’une exposition à des concentrations élevées de glucose induit des modifications épigénétiques stables qui pourraient expliquer la mémoire métabolique chez l’humain. Compte tenu du caractère réversible des marques épigénétiques, il reste cependant à déterminer pourquoi, et surtout, comment, ces marques sont-elles « verrouillées », puisqu’un retour à une glycémie normale ne les efface pas ?

Dans des cellules mammaires normales, l’exposition aux estrogènes induit la formation transitoire de multiples boucles dans une région du chromosome 16 qui rapprochent 14 locus distants. Les points d’interactions, se focalisant sur des sites sensibles aux œstrogènes, permettent ainsi une répression coordonnée de ces locus. Cependant, dans les cellules mammaires tumorales, l’acquisition d’une méthylation de l’ADN et de modifications post-traductionnelles des histones ayant une action répressive aboutit à un échafaudage inflexible. Du fait de cette perte de flexibilité, la répression induite par les œstrogènes dans les cellules tumorales se trouve renforcée [40].

Ces exemples illustrent la difficulté de trancher entre des marques « causales » et des marques « conséquences » de longs processus physiopathologiques, auxquels s’ajoutent des perturbations environnementales exogènes et endogènes simultanées, liées au sexe et au vieillissement. Cette question, difficilement abordable expérimentalement chez l’homme, peut être abordée dans des modèles animaux appropriés.

Perspectives : quels enjeux pour l’épigénomique environnementale ?

L’augmentation de l’incidence des maladies chroniques à travers le monde représente une préoccupation majeure dans le domaine de la santé. Les nouvelles connaissances sur la DOHaD, en particulier les impacts de l’environnement sur la phase de programmation au cours du développement et ses mécanismes épigénétiques, représentent une opportunité pour combattre ce fléau notamment par la prévention. L’épigénétique contemporaine, moléculaire, est, elle, étudiée depuis plus de 40 ans, 30 ans dans le cadre du cancer. Il reste donc à combler le fossé entre les connaissances et les apports d’une recherche fondamentale de pointe sur l’épigénétique et les besoins d’une recherche appliquée dans le cadre de la DOHaD, à l’animal ou à l’humain. Il faudrait pour cela que l’on étudie les perturbations de l’environnement sur les processus épigénétiques, pendant toutes les phases y compris les phases précoces, ce qui est encore très peu abordé.

La complexité des processus épigénétiques et la variété des facteurs environnementaux nécessitent le développement d’une recherche transdisciplinaire, qui seule permettra d’imaginer de nouvelles approches, de découvrir des mécanismes encore insoupçonnés et de développer des stratégies de prévention adaptées, cohérentes et efficaces chez les sujets à risque.

Quant à la transmission aux générations suivantes de susceptibilité à des maladies chroniques ou d’une résilience, par le biais de mécanisme(s) épigénétique(s) qui sont encore mal étayés, elle n’est pas encore démontrée très clairement chez l’humain, mais les preuves s’accumulent chez le rongeur, les nématodes, la drosophile et surtout les plantes [5458]. Jusqu’à présent un nombre important de revues portent sur les effets inter- ou transgénérationnels [1517, 59]. Or cette phase, pour passionnante qu’elle soit, ne correspond qu’à l’une des trois grandes phases clés de la DOHaD. Si certains caractères sont effectivement transmissibles, le principal défi pour l’individu, et surtout pour les pouvoirs publics, est de pouvoir éviter ces transmissions.

Quoi qu’il en soit, ces données risquent de déplacer le curseur des responsabilités en termes de santé, de la sphère privée vers la sphère socio-géographico-politique et avec de nouvelles questions d’éthique. Cette revue souligne le rôle majeur de l’environnement sur notre santé. Un changement de paradigme s’impose pour passer du traitement, trop tardif, à la prévention. Pour cela une prise de conscience est nécessaire à tous les niveaux pour évaluer les véritables risques et prendre en compte les aspects coût/bénéfice des recommandations préconisées et validées. Compte tenu de l’impact des facteurs socioéconomiques on doit aussi, comme le fait P. O’Campo, s’interroger : « Apportons-nous les bonnes évidences/preuves scientifiques, qui permettront d’identifier les chaînons manquants et d’agir pour enrayer les effets des facteurs environnementaux et des déterminants sociaux de la santé ?» [60].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 L’épisode Ice storm (tempête de pluie verglaçante) est une période de cinq jours consécutifs en janvier 1998 où une série de perturbations météorologiques provoquèrent des pluies verglaçantes dans l’est du Canada, la Nouvelle-Angleterre et le nord de l’État de New York. Le verglas a provoqué l’un des plus importants désastres naturels en Amérique du Nord.
2 Les attentats-suicides du 11 septembre 2001 ont été perpétrés aux États-Unis faisant 2 977 victimes.
3 The term “epigenetics” was coined by Conrad Hal Waddington in 1942 to mean the study of the “causal mechanisms” of development, which bring the phenotype into being.
4 In the context of molecular biology, epigenetics is defined as the study of mitotically or meiotically heritable changes in gene function that cannot be explained by changes in the DNA sequence.
5 The structural adaptation of chromosomal regions so as to register, signal or perpetuate altered activity states.
6 Les cellules ES (embryonic stem cells) sont artéfactuelles et ne sont qu’un modèle qui ne reproduit pas nécessairement ce qui se passe in vivo dans l’embryon précoce.
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