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Med Sci (Paris). 2015 December; 31(12): 1133–1135.
Published online 2015 December 16. doi: 10.1051/medsci/20153112017.

Démocratie, compromis et consensus dans les déplacements collectifs chez le babouin

Sébastien Ballesta1*

1Department of Physiology, College of Medicine, The University of Arizona, Tucson, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Comportement animal, Consensus, Démocratie, Processus de groupe, Papio, Comportement social, psychologie

 

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La formation d’un groupe social améliore généralement la protection contre les prédateurs, la détection de ressources, les chances de reproduction et peut également favoriser la survie de la descendance [1]. Pour bénéficier de ces avantages substantiels, il est nécessaire d’adopter des comportements grégaires et, ainsi, maintenir la cohésion du groupe social. Des règles simples, comme garder une distance donnée vis-à-vis de son voisin, permettent aux bancs de poissons ou aux nuées d’oiseaux d’avoir une excellente cohésion [2]. Mais ces mêmes règles peuvent-elles s’appliquer à un groupe d’animaux plus hiérarchisé comme celui des babouins (Papio anubis) ? C’est cette intéressante problématique que des chercheurs de l’université de Davis, en Californie, ont récemment approfondie au centre de recherche Mpala au Kenya [3]. Cette étude, qui a fait la couverture du prestigieux magazine Science, innove par sa méthodologie, permettant pour la première fois de modéliser avec précision les dynamiques de déplacements et les décisions collectives d’un groupe de primates dans son milieu naturel. La pose d’un collier GPS (global positioning system) a en effet permis de localiser, pendant plusieurs semaines, 25 individus, soit la quasi-totalité de la troupe de babouin considérée. Les technologies modernes de localisation, comme le GPS, se démocratisant, il est maintenant possible de suivre chaque membre d’une cohorte de primates et ainsi d’avoir accès à de nouvelles mesures de leurs comportements sociaux [4]. Une fois en place, ces dispositifs permettent de générer une quantité impressionnante de données et évitent une collecte manuelle parfois fastidieuse et imprécise, en particulier en ce qui concerne les variations de distance entre les individus.

Toutes les espèces diurnes de primates vivent au sein d’un groupe social composé, en partie, d’individus non apparentés, ayant chacun pour but logique d’optimiser leur survie et leur descendance. L’existence de ressources finies entraîne inexorablement une compétition pouvant aboutir à de violents conflits. Pour les éviter, il existe des comportements ritualisés qui permettent l’établissement d’une hiérarchie, définissant de manière plus stable le rôle et les privilèges de chacun [5]. Ainsi, chez les babouins, le mâle dominant (mâle alpha) bénéficie d’un accès privilégié aux ressources, ce qu’on pourrait assimiler à une monarchie. Lorsqu’il y a un conflit entre l’activité d’un individu et l’inertie du reste du groupe, cet individu peut tenter d’influencer le groupe par le biais de vocalisations, de postures ou de rapports de distances [6]. Certaines études ont suggéré que le mâle alpha pouvait avoir une influence disproportionnée dans ce genre de processus décisionnel [7, 8]. Mais est-ce vraiment toujours le cas chez les babouins ?

Une fois les singes équipés de leur collier GPS et les données collectées, les chercheurs ont développé différents algorithmes afin de caractériser automatiquement le moment auquel un individu se détache du groupe. Ils ont ensuite déterminé si au moins un individu suivait la trace du meneur (Figure 1). Bien que les résultats montrent que la probabilité d’être suivi n’est pas la même pour tous les individus (de 25 à 75 % de chance d’être suivi selon l’individu), la maturité, le sexe, ou le rang hiérarchique ne peuvent prédire ces différences. Il semble ainsi que l’hégémonie du mâle alpha ne soit pas prise en compte dans ce type de décision collective. Ce résultat pourrait être cohérent avec le fait que le dominant est l’individu tirant le plus d’avantages à demeurer au sein du groupe social [9]. De plus, la localisation par collier GPS ayant une bonne précision spatiale et temporelle (environ 30 cm, échantillonnage à 1 Hz), les chercheurs ont aussi pu décrire, en termes de vitesse et de cohérence dans le déplacement, une dynamique optimale permettant d’être identifié par autrui comme un meneur. Chaque individu devrait donc maîtriser un langage corporel, crucial pour établir les déplacements collectifs, s’il ne veut pas se retrouver inutilement isolé du groupe. Lorsque la troupe de babouins se trouve dans une situation où au moins deux groupes d’individus initient des mouvements dans des directions différentes, deux facteurs pouvant prédire la direction finale de l’ensemble de la troupe ont été identifiés. Ces facteurs sont la différence entre le nombre d’individus constituant chaque sous-groupe de meneurs et la divergence entre les directions proposées par ces sous-groupes (Figure 2).

Ainsi, lorsque deux groupes de meneurs vont dans des directions différentes, l’étude montre que si l’angle entre les deux directions proposées est inférieur à environ 90°, le restant de la troupe prendra la direction moyenne (Figure 2A). Par exemple, si un groupe de babouins commence à se diriger vers le nord-ouest et un autre vers le nord-est, l’ensemble du groupe finira par atteindre, par compromis, un consensus entre les directions proposées et se dirigera vers le nord. Au contraire, lorsque les deux sous-groupes de meneurs se dirigent dans des directions opposées, séparées par plus de 90°, la troupe entrera dans un processus décisionnel aboutissant, en quelques minutes, à un mouvement collectif dans la direction que la majorité aura choisie (Figure 2B). Par exemple, si un grand nombre de babouins commence à se diriger vers l’ouest et une minorité vers l’est, l’ensemble du groupe finira par se diriger vers l’ouest. Cette décision collective, suivant la loi du plus grand nombre, peut donc être considérée comme démocratique.

Cette étude offre de réelles perspectives pour étudier les bases biologiques du comportement social des primates, intéressant ainsi les champs de recherche allant de la primatologie aux neurosciences sociales. Malgré une importante proximité génétique entre le babouin et l’homme, ces règles simples, pouvant prédire les déplacements de groupe chez le babouin, ne pourraient cependant probablement pas prédire aussi précisément la dynamique d’un groupe de randonneurs. Ceci pourrait s’expliquer par l’implication de l’affect de l’individu dans les décisions de groupe chez l’homme. Il serait donc crucial de savoir si, chez le babouin, le succès ou l’échec d’une initiation d’un mouvement collectif impliquerait l’affect du meneur. En d’autres termes, être l’initiateur du mouvement de la troupe procure-t-il du plaisir ? Si tel est le cas, un babouin suiveur pourrait-il rejoindre un de ses congénères pour lui « faire plaisir » et maintenir une relation privilégiée ? Existe-il une frustration à devoir changer sa direction initiale pour suivre celle du plus grand nombre ? L’absence probable d’une telle dimension affective dans les décisions de groupe chez le babouin, pourrait expliquer pourquoi les motifs de leurs décisions collectives suivent les mêmes règles simples que celles d’autres espèces animales. Par conséquent, chez l’homme, lorsque les contributions du suiveur n’impliquent pas un lien affectif avec le meneur, comme cela peut être le cas dans le monde de la finance ou de la politique, les motifs de mouvement collectif pourraient logiquement être comparables à ceux observés chez ces groupes d’animaux sociaux.

En résumé, malgré l’existence d’une hiérarchie despotique et violente instaurée par le mâle alpha chez les babouins, les chercheurs ont confirmé l’existence d’un processus de décision démocratique. Ce processus permet, dans certains cas, d’atteindre un consensus en faisant un compromis entre les directions initialement proposées par différents groupes de meneurs. Il semble donc que, lorsqu’aucun individu de la troupe n’a de réelles motivations à se déplacer vers un endroit précis, les processus de décision collective, chez le babouin, sont étonnamment comparables à ceux régissant les mouvements collectifs d’animaux ayant un comportement social moins élaboré.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Simonds PE. The social primates . New York: : Harper Row; , 1974 : :258. p.
2.
Couzin ID, Krause J. Self-organization and collective behavior in vertebrates . Adv Study Behav. 2003; ; 32 : :1.–75.
3.
Strandburg-Peshkin A, Farine DR, Couzin ID. et al. Shared decision-making drives collective movement in wild baboons . Science. 2015; ; 348 : :1358.–1361.
4.
Ballesta S, Reymond G, Pozzobon M. et al. A real-time 3D video tracking system for monitoring primate groups . J Neurosci Methods. 2014; ; 234 : :147.–152.
5.
Lorenz K. L’agression : une histoire naturelle du mal . Paris: : Flammarion; , 1969 : :314 p..
6.
Kummer H. Social organization of Hamadryas baboons: a field study . Chicago: : The University of Chicago Press; , 1968 : :1966 p..
7.
King AJ, Douglas CMS, Huchard E. et al. Dominance and affiliation mediate despotism in a social primate . Curr Biol. 2008; ; 18 : :1833.–1838.
8.
King AJ, Sueur C. Where next? Group coordination and collective decision making by primates . Int J Primatol. 2011; ; 32 : :1245.–1267.
9.
Otani Y, Sawada A, Hanya G. Short-term separation from groups by male Japanese macaques: Costs and benefits in feeding behavior and social interaction . Am J Primatol. 2014; ; 76 : :374.–384.