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Med Sci (Paris). 2015 June; 31: 11–12.
Published online 2015 July 16. doi: 10.1051/medsci/201531s103.

Introduction

Pierre-Benoît Joly1*

1Directeur de l’IFRIS (Institut francilien, recherche innovation société), directeur de recherche à l’Inra, Unité science en société (SenS), Inra, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Cité Descartes, 5, boulevard Descartes, Champs-sur-Marne, 77454Marne-la-Vallée Cedex 2, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Disciplines des sciences biologiques, Désaccords et litiges, Histoire du 20ème siècle, Histoire du 21ème siècle, Humains, Inventions, Sociétés savantes, éthique, histoire, organisation et administration, tendances

 

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Quand on parle de débat sur les sciences de la vie, on ne peut s’empêcher de penser à la conférence d’Asilomar. Quelques 150 biologistes travaillant sur les techniques de l’ADN recombinant avaient alors répondu à l’appel de Paul Berg qui avait proposé un an plus tôt un moratoire sur l’utilisation de ces techniques. La conférence d’Asilomar constitue dans l’imaginaire collectif un événement fondateur de mise en débat des implications sociales, éthiques et environnementales, des sciences et techniques émergentes, l’un des grands moments où la communauté scientifique s’est interrogée sur la responsabilité de la recherche.

Bien évidemment, en une quarantaine d’années, les débats sur les sciences et les techniques ont connu de multiples évolutions. Les parlements des pays développés, au début des années 1970 aux États-Unis, dans les années 1980 en Europe, se sont dotés de structures dédiées à l’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces quarante dernières années ont aussi été marquées par une multiplication des controverses et des débats sur les sciences et les techniques, parce que ces dernières jouent un rôle essentiel dans la production de la société. On est alors passé de la question des impacts des sciences et des techniques à celle de la démocratisation des choix scientifiques.

Ces évolutions sont marquées par un mouvement plus récent, que l’on peut dater des années 1990 et 2000, celui de l’application systématique du principe du débat et de la participation de citoyens et de groupes de citoyens dans toute une série de domaines, notamment celui de l’environnement et celui des choix scientifiques et techniques. À partir des années 2000, ces principes de participation du public ont été mis en œuvre dans la plupart des pays européens, avec des développements extrêmement importants, notamment en Grande-Bretagne. Le débat a été en quelque sorte institutionnalisé et il fait partie intégrante de la gouvernance des sciences et des techniques. Mais quelles sont les implications de cette nouvelle donne ?

Il est symptomatique d’observer qu’en France s’est progressivement installé un débat sur le débat. La mise en débat fait en effet l’objet de critiques diamétralement opposées. D’un côté, le débat renforcerait les extrêmes et affaiblirait la science. L’exemple des OGM est souvent utilisé pour montrer que plus le débat est intense, moins la recherche avance. À l’opposé, d’autres considèrent que le débat est une forme nouvelle de manipulation de l’opinion et de fabrique de l’acceptation des technologies. Ces deux critiques se rejoignent en cela qu’elles supposent toutes deux que les jeux sont faits : les potentialités de la science et de la technique sont connues, on peut soit les soutenir, soit s’y opposer. Pour les premiers, les débats devraient permettre de discipliner l’opinion publique, de restaurer la confiance en la science, de légitimer ses avancées, ce que rejettent les seconds.

Or, les débats n’ont véritablement un intérêt que s’ils permettent d’explorer de nouvelles possibilités, de prendre en compte un éventail plus large de positions, de besoins et de préoccupations, d’imaginer des formes de production de connaissances autres. Les débats n’ont véritablement un intérêt que s’ils permettent à la fois d’enrichir le social, la démocratie et les sciences et les techniques. Cela étant posé, on peut se demander quelles sont les conditions de félicité des débats sur les sciences et les techniques. Il y a sans doute quelques conditions objectives, notamment que les possibilités de choix soient effectivement ouvertes. Mais cela ne suffit évidemment pas. Il faut certainement que les différentes parties prenantes en présence aient confiance dans le dispositif dialogique, dans la capacité du débat à prendre effectivement en compte l’ensemble des positions de façon équitable. Il faut aussi considérer la place du débat par rapport à d’autres formes de régulation ou par rapport à des nœuds de pouvoir qui font que, de toutes façons, « les jeux sont faits ». La liste des conditions de félicité des débats sur les sciences et les techniques est bien sûr ouverte et il est certainement nécessaire de la travailler.

Dans ce contexte, il est essentiel de faire un point général sur ces questions, dans des perspectives très larges. Ce colloque vise à revenir sur ce que l’on peut appeler des fondamentaux, sur les différentes positions concernant l’organisation des débats sur les sciences et les techniques. Il est important aussi de se décentrer, de ne pas rester dans une perspective franco-française, mais de voir quelle est la signification de ces questions, quelles sont les expériences dans d’autres pays, quel est le regard que portent des étrangers sur ce qui se passe en France et sur nos singularités. Ensuite, nous considérerons des expériences et des points de vue portés par des acteurs institutionnels. Puis, la dernière session, la table ronde, aura la lourde charge de nous proposer des réflexions pour l’avenir, puisque l’un des enjeux de ce colloque est effectivement, à partir de ces expériences et de ces analyses, de se demander « Que faire ? ».

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.