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Med Sci (Paris). 2015 November; 31(11): 979–988.
Published online 2015 November 17. doi: 10.1051/medsci/20153111012.

La neuro-inflammation
Dr Jekyll ou Mr Hyde ?

Justine Renaud,1 Hélène-Marie Thérien,2 Marilyn Plouffe,1 and Maria-Grazia Martinoli1,3*

1Groupe de recherche en neurosciences, Département de biologie médicale, Université du Québec à Trois-Rivières, 3351 boulevard des Forges, G9A 5H7 Trois-Rivières, Québec, Canada
2Département de biologie médicale, Université du Québec à Trois-Rivières, Québec, Canada
3Département de psychiatrie et neurosciences, Université Laval et Centre de recherche du CHUL, Québec, Canada
Corresponding author.
 

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On a longtemps cru le système nerveux central (SNC) à l’abri de la majorité des effets dévastateurs de la réaction inflammatoire. On le disait immunoprivilégié, protégé qu’il était des agressions étrangères par la barrière hémato-encéphalique (BHE) (Figure 1) et dissimulé du système immunitaire par le peu d’expression des produits du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) et l’absence de drainage lymphatique. Mais, au cours de la dernière décennie, l’accumulation des évidences a fait s’écrouler le paradigme. S’il n’y a maintenant plus de doute quant à l’existence d’une réaction inflammatoire dans le SNC, et à l’utilisation du langage commun des cytokines et chimiokines pour contrôler ses actions [1], force est aussi de constater que la réaction inflammatoire du SNC se comporte de façon suffisamment différente de son homologue périphérique pour mériter l’appellation particulière de « neuro-inflammation ». Cette façon unique de gérer l’inflammation et les premières étapes de la réaction immunitaire, à travers un drainage soluble plutôt que cellulaire, tient aux propriétés particulières des différentes composantes du parenchyme nerveux (pour revue, voir [2]). La notion de privilège immunitaire, toujours de mise, ne concerne donc plus que le parenchyme, excluant ainsi les zones limitrophes que sont les espaces périvasculaires, les méninges et les ventricules. Privilège bien relatif car, aussi différente soit-elle de l’inflammation, la neuro-inflammation demeure un pari risqué pour un tissu aussi fragile que celui du SNC, si on se réfère aux pertes fonctionnelles auxquelles on l’associe dans les maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaques [3, 41] ().

(→) Voir également la Nouvelle d’A. Louveau, page 953 de ce numéro

La reconnaissance d’une perturbation interne est un prérequis essentiel à l’induction de la réaction inflammatoire. Cette reconnaissance est assurée par un ensemble de récepteurs, baptisés PRR (pattern-recognition receptors), dont on connaît pour le moment une vingtaine de membres [4]. Ces récepteurs peuvent être solubles, membranaires ou cytosoliques, et reconnaissent tout autant les signatures moléculaires de classes de pathogènes (PAMP pour pathogen associated molecular patterns) que des molécules générées au cours de stress cellulaires autres qu’infectieux (DAMP pour damage-associated molecular pattern). On compte, parmi les DAMP, des protéines agrégées, modifiées ou simplement mal repliées telles l’α-synucléine, la protéine Tau ou le peptide β-amyloïde qui, toutes, ont été associées à des maladies neurodégénératives. On compte aussi parmi les DAMP de simples molécules comme l’ATP ou le glutamate, qui sont abondamment libérées dans le milieu lors de nécroses cellulaires au sein du SNC [5]. L’interaction des PAMP/DAMP avec leurs récepteurs induit une cascade de signalisation qui, en recrutant protéines adaptatrices et kinases, aboutit à l’activation de facteurs de transcription qui modifient de façon drastique le phénotype cellulaire. Cette modification se manifeste tant par l’acquisition de nouveaux récepteurs que par l’expression d’un éventail de cytokines et de chimiokines qui, par des actions à la fois autocrines et paracrines, guident les cellules de défense au site de l’agression, permettent le déploiement focalisé des mécanismes de défense (phagocytose, production de dérivés toxiques de l’oxygène, apoptose) et préparent les étapes de la reconstruction.

Dans le SNC, lorsqu’il est question d’inflammation, c’est la microglie, la cellule résidente à vocation immune du tissu, qu’on accuse d’emblée de débordements. L’accusation est d’autant plus facile qu’on la retrouve toujours dans les zones enflammées et, qui plus est, avec sa morphologie de cellule « activée » [6]. Cependant, au contraire de ce qu’on observe en périphérie où l’expression constitutive des récepteurs PRR (pattern recognition receptors) est un attribut plutôt spécifique des cellules de la défense innée, on constate que, dans le SNC, les astrocytes, les oligodendrocytes et les neurones expriment leur propre répertoire de PRR par lequel ils contribuent eux aussi à toutes les étapes de la neuro-inflammation (Tableau I et Figure 2) [4].

La microglie

La microglie constitue en moyenne 10 % de l’ensemble des cellules gliales [40]. Les cellules microgliales ont pour origine le sac vitellin, à partir d’un précurseur érythro-myéloïde CSF1R+ (colony stimulating factor 1 receptor) commun aux macrophages résidents [7]. Elles colonisent très tôt le neuroépithélium où elles poursuivent leur différenciation selon une voie originale dans l’environnement particulier du SNC. Elles conservent tout au long de la vie un certain pouvoir de régénération qui leur permet à la fois de maintenir leur pool et de répondre à des demandes ponctuelles [8]. Après la naissance, une sous-population de cellules microgliales semblerait également provenir de source hématopoïétique par l’infiltration de monocytes dans le parenchyme [9]. Toujours à explorer leur environnement à travers les mouvements rapides de leurs extensions cytoplasmiques qui se chevauchent très peu, et dotées d’un très vaste potentiel d’activités, elles se métamorphosent en réponse aux influences qu’elles subissent. Les cellules microgliales sont essentielles à la structuration du SNC et à l’exercice des fonctions nerveuses supérieures, un rôle dont on commence à peine à percevoir l’importance [10]. C’est cependant pour leur implication dans les situations traumatiques qu’elles sont le mieux connues. Exprimant tous les PRR identifiés à ce jour, les cellules microgliales sont particulièrement bien équipées pour percevoir les perturbations de leur environnement, fussent-elle causées par la concentration anormale d’une molécule, son format inhabituel ou par l’apparition d’un composé inusité [11]. La reconnaissance de la perturbation induit le passage de l’état de veille à celui d’activation, l’objectif étant, dans un premier temps, d’éliminer la source du dérèglement et, dans un second temps, de favoriser le remodelage et la régénération.

En présence d’un signal de danger, les cellules microgliales adoptent un profil amiboïde qui facilite à la fois leur division et leur déplacement. Elles sont recrutées soit directement par les molécules de danger elles-mêmes, soit par des chimiokines libérées par les autres cellules neuronales alertées du danger. Elles forment autour de la région lésée un bouclier protecteur qui vise à en limiter l’étendue. Les conséquences précises de l’activation dépendent du contexte particulier dans lequel se fait la rencontre avec le stimulus initiateur, les cellules microgliales oscillant entre deux états extrêmes : un état d’activation classique et un état d’activation alternatif à vocation réparatrice [12].

Dans son état d’activation classique, la microglie exhibe un profil pro-inflammatoire (Tableau I) caractérisé par : (1) la sécrétion d’un large éventail de cytokines pro-inflammatoires et de polarisation Th1 (T helper cell subtype 1) ; (2) l’expression de chimiokines ; (3) l’expression d’iNOS (inducible nitric oxide synthase) et de COX (cyclooxygénase)-2 ; (4) la production de dérivés toxiques de l’oxygène et de l’azote ; (5) l’augmentation de l’expression des molécules du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) de classes I et II et des facteurs de costimulation ; (6) la sécrétion de métalloprotéinases matricielles ; et (7) un pouvoir phagocytaire accru. Si, dans un état pro-inflammatoire, la microglie possède l’arsenal nécessaire pour altérer l’étanchéité de la BHE (barrière hémato-encéphalique), attirer les leucocytes – principalement les lymphocytes, monocytes et granulocytes –, faciliter leur déplacement dans la matrice extracellulaire, présenter des antigènes, soutenir l’activation de l’immunité spécifique et mettre hors d’état de nuire les agents perturbateurs, elle a aussi le pouvoir de causer des dommages collatéraux souvent irréversibles au SNC. Ce potentiel autodestructeur de la microglie activée classiquement est tempéré par les propriétés immunosuppressives du milieu, en grande partie attribuables aux neurones.

Dans son état réparateur dicté par le contexte du milieu, la microglie adopte plutôt : (1) un métabolisme aérobie ; (2) une expression accrue des récepteurs éboueurs1 ; (3) la synthèse de COX-1 au détriment de COX-2 ; (4) la synthèse d’arginase-1 ; de même que (5) la sécrétion de divers facteurs neurotrophiques et d’éléments matriciels. Ainsi, la microglie détient également le potentiel de participer à la réparation des tissus lésés et au retour à l’homéostasie (Tableau I), favorisant l’angiogenèse et stimulant la génération de nouveaux oligodendrocytes, astrocytes, voire même neurones, à partir de cellules souches toujours présentes dans le parenchyme nerveux adulte.

Les états d’activation classique et réparateur ne constituent que les deux pôles d’un continuum d’états entre lesquels les cellules microgliales oscillent en fonction des particularités activatrices du milieu dans lequel elles baignent [13]. Avec l’âge, pour des raisons qu’on s’explique encore mal, l’induction du profil réparateur se fait plus difficile, une situation à mettre en lien avec l’augmentation des maladies neurodégénératives associée au vieillissement [14].

Les neurones

Les neurones jouent un rôle primordial dans l’établissement des privilèges immunitaires du SNC en agissant tant en amont qu’en aval de la réponse [15]. Ils expriment quelques PRR, par lesquels ils perçoivent les signaux de danger présents dans leur environnement, et expriment plusieurs récepteurs pour les cytokines, qui leur permettent d’ajuster leur contribution à l’immunosuppression en situation d’agression. Les neurones expriment notamment le récepteur TLR3 (toll-like receptor 3) dont le PAMP déclencheur est l’ARN double brin. La dimérisation de TLR3 mène à la production d’interférons de type I dont le rôle est crucial dans la défense innée contre les virus, par exemple lors d’une infection par le virus neurotropique de la rage [16].

La microglie, avec son imposant arsenal pro-inflammatoire, est une des cibles préférentielles de l’attention neuronale qui se veut généralement atténuante. La régulation de la microglie par les neurones implique à la fois des contacts cellule-cellule et des facteurs solubles contribuant à freiner l’inflammation (Tableau I). La majorité de ces protéines sont exprimées de façon constitutive et créent donc, d’entrée de jeu, un milieu immunosuppresseur capable de contenir les débordements de la microglie. Elles agissent principalement en interférant avec les voies de signalisation, inhibant des kinases essentielles telle la famille des MAPK (mitogen-activated protein kinase) et les Pi3K (phophoinositide 3-kinases), réduisant l’expression de facteurs de transcription comme c-jun ou c-myc, ou inhibant leur translocation nucléaire comme c’est le cas pour Nrf2 (nuclear factor erythroid 2-related factor 2) ou NF-κB (nuclear factor kappa-light-chain-enhancer of activated B cells). Elles permettent, en conséquence, de diminuer la production de cytokines inflammatoires et de dérivés toxiques de l’oxygène ou de l’azote dès l’engagement des PRR de la microglie. Les neurones expriment en plus, et de façon constitutive, le FasL (ligand Fas ou CD95L) par lequel ils contrôlent l’apoptose des cellules microgliales activées. Les neurones libèrent également nombre de facteurs solubles qui contribuent aussi à restreindre l’activation de la microglie. Le TGF-β (transforming growth factor-β) et la fractalkine soluble sont exprimés par les neurones de façon constitutive, et leur production peut être amplifiée en situation traumatique, tandis que l’interleukine-10 (IL-10) est plutôt sécrétée en situation de crise. À ces facteurs immunorégulateurs viennent s’ajouter l’activité neuronale dont l’action anti-inflammatoire est arbitrée par un bon nombre de neurotransmetteurs et plusieurs neurotrophines (Tableau I). Sous cette influence, les cellules microgliales produisent moins de cytokines inflammatoires, réduisent leur stress oxydant, diminuent leur expression des molécules du CMH et, ainsi, soutiennent moins efficacement l’activation des cellules de défense périphériques ayant accédé au parenchyme nerveux. Quant à leur pouvoir phagocytaire, il peut être, selon les particularités du contexte, soit amplifié, soit diminué.

Le caractère immunosuppresseur des neurones ne contrôle pas seulement les ardeurs de la microglie au moment de son activation. Il tempère aussi les conséquences de cette activation en s’exerçant sur les cellules de défense périphériques qui, répondant à l’appel, ont gagné le parenchyme ou tentent de s’y introduire. Ici encore, l’effet s’exerce tantôt par des contacts cellule-cellule impliquant entre autres des cadhérines, des molécules du CMH, et le FasL, tantôt par l’intermédiaire de facteurs solubles dont le TGF-β et les sémaphorines 3 et 72. Les interactions aboutissent à l’immobilisation des macrophages, la neutralisation des cellules cytotoxiques, NK (natural killer) et lymphocytes T CD8+, la polarisation des lymphocytes Th vers des phénotypes plus immunorégulateurs que pro-inflammatoires tels Th2 (T helper cell subtype 2) ou Treg (regulatory T cell), et la mort par apoptose des cellules activées.

Les astrocytes

D’origine neuroectodermique, les astrocytes sont les cellules les plus abondantes du SNC, représentant jusqu’à 70 % de la névroglie. Ce sont des cellules étoilées qui, avec leurs extensions cytoplasmiques, participent à la formation de la glia limitans de la BHE (Figure 1). Ils enrobent les synapses, communiquent entre eux par le biais de jonctions communicantes et contribuent au drainage glymphatique du liquide interstitiel parenchymateux vers le liquide céphalo-rachidien (LCR) [17]. Ils délimitent ainsi un territoire sur lequel ils peuvent exercer leur influence grâce aux récepteurs, canaux ioniques, transporteurs et enzymes de toutes sortes dont ils sont pourvus [18, 19].

Outre leur rôle clé dans l’homéostasie du SNC, dans le métabolisme neuronal et dans la modulation dynamique de la transmission synaptique, les astrocytes sont particulièrement bien outillés pour assister la microglie dans sa fonction de sentinelle et de défense [20, 21]. Ils expriment le TLR3 de façon constitutive et peuvent être stimulés pour exprimer plusieurs autres PRR. Tout comme les cellules microgliales, ils sont donc aptes à reconnaître et à réagir à un large éventail de situations dangereuses pour le SNC. En réponse à l’activation, les astrocytes deviennent hypertrophiques, prolifèrent et modifient leur expression génique. Ils sécrètent nombre de facteurs pro-inflammatoires (Tableau I) servant à attirer les cellules de défense périphériques et à faciliter leur migration dans le parenchyme. Ils expriment des récepteurs éboueurs, via lesquels ils contribuent à la phagocytose, et produisent les molécules du CMH de classe II, leur permettant d’activer les lymphocytes T auxiliaires. Leur capacité à présenter des antigènes, comme le fait la microglie, reste cependant controversée. L’activation les amène à diminuer leur internalisation de glutamate et à perturber le réseau astrocytaire en diminuant la production de connexine 43, ce qui contribue, de surcroît, au caractère neurotoxique de la réaction inflammatoire.

S’ils participent foncièrement aux processus pro-inflammatoires lorsqu’ils sont activés, les astrocytes répondent néanmoins à l’IL-1β par la sécrétion de TGF-β et par la libération de différents facteurs neurotrophiques (Tableau I) qui soutiennent la réparation de la BHE, la remyélinisation, le remodelage de la matrice ainsi que la survie des neurones et des oligodendrocytes. Ils contrôlent l’activation des lymphocytes T par leur expression du récepteur immunorégulateur CTLA-4 (cytotoxic T-lymphocyte-associated protein 4 ou CD152) et peuvent déclencher l’apoptose des cellules de défense activées par l’expression constitutive du FasL. En situation d’inflammation chronique, leur capacité d’activer les lymphocytes Th est compensée par une interaction qui biaise la réponse en faveur des Th2, un profil plus immunorégulateur que le profil Th1 pour le SNC [22]. De plus, certains signaux d’agression permettent aux astrocytes de se dédifférencier en radial-glia-like cells (cellules gliales radiaires)3 qui sont capables d’exprimer d’autres facteurs neurotrophiques (Tableau I) qui, ensemble, promeuvent la multiplication des cellules souches neuronales et leur migration vers le site de lésion [23]. Enfin, les astrocytes sont particulièrement reconnus pour leur rôle dans la formation de la cicatrice gliale. En effet, lorsqu’ils sont activés, ils se multiplient abondamment, circonscrivent le site d’inflammation, occupent les espaces créés par la mort ou la phagocytose de cellules neuronales, et produisent des éléments de la matrice extracellulaire comme l’acide hyaluronique. Cependant, cette réaction de défense, qui a pour but d’inhiber la propagation de l’inflammation et d’offrir un effet restructurant, a aussi comme conséquence néfaste d’inhiber la migration et la différentiation des cellules souches neuronales [23].

Les oligodendrocytes

Les oligodendrocytes partagent la même origine neuroectodermique que les astrocytes et les neurones. Derniers à entrer en scène, ils établissent avec les neurones une relation symbiotique. Les oligodendrocytes sont tout aussi essentiels au développement et à la survie des axones que les neurones le sont à la myélinisation [24-26].

Comme les neurones, les oligodendrocytes contribuent au caractère immunosuppresseur du parenchyme nerveux par leur production constitutive de TGF-β et par leur expression du CD200 (ou OX-2) et de fractalkine. À l’instar des autres cellules du SNC, ils expriment des PRR, notamment TLR2 et TLR3, qui leur permettent de réagir à certains signaux de danger. Bien que les conséquences de l’engagement de ces récepteurs demeurent pour le moment mal connues, elles devraient se répercuter sur l’ensemble du réseau d’influence des oligodendrocytes. Ce réseau, relativement vaste, implique tout autant les astrocytes, avec lesquels les oligodendrocytes sont en lien par le biais de jonctions communicantes, que les neurones auxquels ils sont associés par la gaine de myéline, un oligodendrocyte pouvant enrober jusqu’à une cinquantaine d’axones distincts.

Si les oligodendrocytes peuvent participer activement à la mise en place d’une immunité innée par l’intermédiaire de leurs TLR, ils peuvent aussi être eux-mêmes générateurs de danger. Très sensibles au stress oxydant, tout comme ils le sont à la toxicité du glutamate ou à celle de l’ATP, les oligodendrocytes peuvent causer des dommages sérieux à leur environnement et entretenir l’inflammation sans être nécessairement les cellules initialement visées par l’agression.

Les cellules de défense périphériques

Au niveau du SNC sain, rares sont les leucocytes qui arrivent à s’échapper du système vasculaire. Leur présence, bien que limitée, permet tout de même d’assurer une immunosurveillance dont l’importance nous apparaît indéniable lorsqu’on mesure les dommages encourus par la suppression de la patrouille des cellules de défense périphériques (pour revue voir [27]). Ainsi, dans le cas du JC polyomavirus, un virus ubiquitaire chez l’humain, l’arrêt de l’immunosurveillance, secondaire à des thérapies immunosuppressives, entraîne la leucoencéphalopathie multifocale progressive, une maladie du SNC généralement mortelle.

Les leucocytes qui parviennent à pénétrer le SNC (uniquement des mononucléaires) prennent avantage à la fois de leur expression de certaines protéines d’adhésion et de l’existence de zones plus permissives de la BHE, telles que la glande pituitaire, l’éminence médiane, l’aire postrema, l’aire préoptique, la paraphyse, la glande pinéale et l’endothélium des plexus choroïdes. Les monocytes utilisent la voie leptoméningée pour venir peupler les espaces de Virchow-Robin (ou espaces périvasculaires) en bordure des artérioles et en continuité avec l’espace sous-arachnoïdien. Quant aux lymphocytes (uniquement des lymphocytes T activés), ils s’affranchissent de la barrière sang-LCR (BSLCR) en empruntant la voie du plexus choroïdien qui exprime constitutivement des molécules nécessaires à leur admission, comme le CCL20 (chemokine [C-C motif] ligand 20) indispensable au recrutement des cellules CCR6+ (C-C chemokine receptor type 6) [28]. Une fois qu’ils ont traversé, ils sont entraînés par le LCR, patrouillent les espaces et repartent soit vers le sang, par le biais des villosités arachnoïdiennes, soit vers les ganglions cervicaux profonds, par le biais de la plaque cribriforme de l’os ethmoïde ou par le biais d’un système lymphatique propre au SNC récemment mis en évidence [29, 30]. On constate donc qu’en situation normale, des cellules de défense d’origine médullaire occupent des niches stratégiques du SNC sans jamais pénétrer le parenchyme, qu’elles exercent patrouille et immunosurveillance, comme elles le font en périphérie, et qu’elles possèdent tous les attributs qui leur permettent de réagir efficacement à l’agression [27, 31-33].

En réponse à l’agression, les cellules du parenchyme s’activent. Elles libèrent dans le milieu des cytokines pro-inflammatoires qui modifient l’étanchéité de la BHE ainsi que des chimiokines (Tableau I) qui guident les cellules de défense, y compris les granulocytes, et les autorisent à pénétrer au sein même du parenchyme [34]. Les macrophages périvasculaires participent au recrutement par la production de facteurs de croissance (Tableau I), la modification des cellules endothéliales, et par la sécrétion de métalloprotéinases qui facilitent les déplacements. Bien que nécessaire à la résolution des problèmes, l’afflux de cellules sur le pied de guerre dans le parenchyme nerveux comporte des risques importants pour un tissu aussi fragile. Pour contrer les risques encourus, les cellules du parenchyme limitent le temps de vie des cellules de défense en provenance de l’extérieur ou les réorientent vers des phénotypes plus immunorégulateurs, notamment par l’expression constitutive de FasL ou de TGF-β dans l’environnement nerveux.

Conclusion

La neuro-inflammation est un phénomène hautement complexe par lequel le SNC s’allie au système immunitaire pour assurer sa protection et maintenir son homéostasie [35] (Figure 2). La complexité du phénomène, qui le rend difficilement abordable dans le contexte fragmentaire des études in vitro ou des systèmes modèles, tient tout autant à la multiplicité des intervenants cellulaires qu’à l’enchevêtrement des voies de signalisation et aux effets tantôt synergiques, tantôt antagonistes, tantôt neurotoxiques, tantôt neurotrophiques des signaux émis. Les conséquences en sont difficilement prévisibles car elles dépendent à la fois de la nature, de l’intensité, de la durée et de l’historique de l’agression [36]. Il semble cependant que si elle est source du mal, la neuro-inflammation soit aussi source de la solution [37, 38]. Il nous faut donc apprendre à décoder son langage et à identifier, pour chaque problématique, le maillon faible du réseau afin de mettre au point des stratégies d’intervention ciblées qui permettent de contrer la neurodégénération [39].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

J.R. est récipiendaire d’une bourse doctorale Vanier-Canada. MGM est récipiendaire d’une subvention à la Découverte-CRSNG (Canada).

 
Footnotes
1 Aussi appelés récepteurs scavengers.
2 Les sémaphorines constituent un groupe de protéines de signalisation initialement décrites dans le système nerveux central où elles participent à la croissance du cône axonal et au guidage des axones.
3 Les cellules gliales radiaires permettent le guidage de nouveaux neurones et jouent un rôle fondamental dans le processus de neurogenèse embryonnaire.
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