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Med Sci (Paris). 2015 August; 31(8-9): 715–717.
Published online 2015 September 4. doi: 10.1051/medsci/20153108004.

Lactobacillus acidophilus, un futur outil thérapeutique dans le traitement des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ?

Muriel Thomas,1,2 Philippe Langella,1,2 and Olivier Neyrolles3,4*

1Laboratoire interactions hôtes-commensaux et probiotiques, UMR 1319 Micalis, INRA, Domaine de Vilvert, 78352Jouy-en-Josas, France
2AgroParisTech, UMR 1319 Micalis, 78352Jouy-en-Josas, France
3Centre national de la recherche scientifique, institut de pharmacologie et de biologie structurale, 205, route de Narbonne, 31000Toulouse, France
4Institut de pharmacologie et de biologie structurale, université de Toulouse, université Paul Sabatier, 205, route de Narbonne, 31000Toulouse, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Prévision, Microbiome gastro-intestinal, Humains, Maladies inflammatoires intestinales, Lactobacillus acidophilus, microbiologie, thérapie

 

Une étude récente parue dans EMBO Journal permet de mieux comprendre comment une souche de Lactobacillus acidophilus peut aider à contrôler les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) grâce à la reconnaissance d’un composant de son enveloppe, la protéine SlpA, par un récepteur exprimé par nos cellules immunitaires, la protéine DC-SIGN (dendritic cell-specific intercellular adhesion molecule-3-grabbing non-integrin). Cette découverte ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles pour traiter les MICI pour lesquelles aucun traitement curatif n’est à ce jour disponible.

Le microbiote intestinal

Le microbiote intestinal désigne la population de microorganismes présente dans notre tractus digestif. Celle-ci se distingue des autres populations microbiennes présentes sur les autres parties de notre corps (comme la peau, le système uro-génital ou la cavité orale) par sa composition et ses activités [1]. Les cellules intestinales et le microbiote, devenant indissociables dès la naissance, régissent les deux fonctions principales du tractus digestif : digestion/absorption et protection. Le dialogue qui s’établit entre ces deux protagonistes s’apparente à une symbiose puisque chacun participe au maintien de l’intégrité de l’autre. Depuis une dizaine d’années, l’intérêt des scientifiques pour le microbiote intestinal a augmenté de façon considérable [2]. Est-ce à dire que nous découvrons que la physiologie digestive est régie par des interactions symbiotiques entre les bactéries intestinales et nos propres cellules ? Les descriptions et les questions scientifiques soulevées par ce consortium digestif de microorganismes sont bien antérieures au XXIe siècle, cependant les moyens de l’étudier ont récemment évolué de façon considérable. En effet, l’utilisation des techniques moléculaires comme le séquençage d’ADN à haut débit, l’établissement des profils transcriptomiques, protéomiques et métabolomiques ont favorisé une meilleure description et connaissance des microorganismes hébergés dans notre tractus digestif. Le recours à ces méthodes globales (dites « omiques ») a été d’autant plus salutaire que la majorité de ces microorganismes sont très difficiles à cultiver car ils sont souvent très sensibles, voire intolérants, à l’oxygène et leurs substrats énergétiques et conditions de culture demeurent encore peu maîtrisés.

Comment s’y retrouver dans une population de microorganismes qui s’élève à plus de 1012 individus par gramme de matière fécale ? Une des solutions consiste à répertorier ces microorganismes par leur classification phylogénétique. Le microbiote intestinal humain est ainsi composé majoritairement de bactéries et dans une moindre mesure de virus, de levures, de phages, de champignons. Parmi les bactéries, le microbiote digestif est composé de deux phylums majoritaires : le phylum des Bacteroidetes (10 à 30 % du total de bactéries) et celui des Firmicutes (40 à 60 % du total de bactéries). Les Bacteroidetes englobent des bactéries à Gram négatif de plusieurs genres comme Bacteroides/Prevotella, Akkermansia et Enterobacteriacaea, alors que les Firmicutes sont des bactéries à Gram positif de type Clostridium leptum, Clostridium coccoides, Lactobacillus/Enterococcus et Veillonella [3, 14] (). Il a même été proposé que la population humaine puisse se distinguer en fonction de l’abondance relative de certains groupes bactériens [4]. On peut aussi catégoriser la population du microbiote en utilisant d’autres critères comme la sensibilité à l’oxygène, les cinétiques de colonisation (les bactéries qui colonisent notre intestin très tôt à partir de la naissance ou celles qui apparaissent plus tardivement), les activités métaboliques (bactéries glycolytiques ou protéolytiques), ou la localisation (les bactéries adhérentes à la muqueuses ou celles qui sont enchâssées dans le mucus ou présentes dans la lumière de l’intestin) [57]. Chaque effort de classification et de simplification, même s’il comporte des biais, permet de mieux appréhender une population de microorganismes qui s’élève à 100 000 milliards dans l’intestin, et qui joue de nombreux rôles : barrière face aux pathogènes, activité métabolique équivalente à celle du foie, maturation structurale, immunitaire et fonctionnelle de notre tractus digestif, dégradation de certains aliments, et enfin production de vitamines et d’énergie. Le niveau de population de ces bactéries commensales (littéralement « avec qui nous partageons notre repas ») fluctue en fonction de notre mode de vie, de notre âge, de notre alimentation et, plus largement, des substances ou xénobiotiques que nous ingérons (notamment les antibiotiques). Réciproquement, le microbiote contribue à modifier, métaboliser, détoxifier, et dégrader tout ce que nous consommons. Ainsi, le microbiote intestinal désigne une population de microorganismes dense confinée dans le tractus digestif, diversifiée, dynamique, biologiquement active et fluctuante.

(→) Voir la synthèse de A. El Kaoutari et al., m/s n° 3, mars 2014, page 259

Microbiote, immunité, santé et maladie : un équilibre essentiel et délicat

Les déséquilibres (ou dysbioses) du microbiote, qui peuvent être considérés comme des écarts par rapport à une composition moyenne, sont associés à de nombreuses maladies, comme par exemple, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) [8]. Ainsi, il est aujourd’hui bien établi que l’homéostasie entre les composantes intestinales et microbiennes du tractus digestif est essentielle pour le maintien d’une bonne santé. Les cellules du système immunitaire reconnaissent les microorganismes en général, et ceux du microbiote en particulier, par l’intermédiaire de différentes molécules qui les composent : lipopolysaccharide, peptidoglycane, polysaccharide A, acides lipotéichoïques (LTA), lipoprotéines, ADN, ou ARN [9]. Dans le cas des MICI, il a été montré par exemple que le polysaccharide A produit par Bacteroides fragilis induit une amélioration de la maladie chez la souris par le biais de l’induction de lymphocytes T dits « régulateurs », qui contrôlent l’inflammation [10, 15] (). De telles molécules microbiennes sont reconnues par les cellules du système immunitaire (lymphocytes, macrophages, cellules dendritiques etc.) grâce à des récepteurs dits « de reconnaissance de motifs » tels que les récepteurs TLR (toll-like receptors), NOD (et plus généralement les NOD-like receptors) ou les lectines de type C qui reconnaissent des hydrates de carbone à la surface des microbes, et ces interactions peuvent avoir des effets bénéfiques ou délétères sur la santé [9]. Maintenant que le microbiote est mieux caractérisé, les enjeux sont de mieux comprendre sa contribution dans la prédisposition, l’étiologie et le traitement de pathologies digestives, et, en particulier, d’identifier (1) les motifs microbiens des espèces du microbiote reconnus par les différents récepteurs de reconnaissance de motifs, et (2) les conséquences de leurs interactions sur la santé. Un enjeu majeur est d’identifier des espèces commensales pouvant aider, quand elles sont ingérées, à améliorer la santé, ainsi que les mécanismes sous-jacents.

(→) Voir la Nouvelle de N. Korneychuk, m/s n° 3, mars 2014, page 253

Lactobacillus acidophilus, un futur outil thérapeutique dans le traitement des MICI ?

Il a été précédemment montré qu’une souche de Lactobacillus acidophilus, une espèce du microbiote intestinal ingérée en quantité dans les produits lactés, n’exprimant pas le LTA (molécules plutôt pro-inflammatoires) stimule, par l’intermédiaire de ses protéines de surface dont la protéine SlpA, les cellules dendritiques. Celles-ci activent alors des lymphocytes T régulateurs permettant un contrôle de l’inflammation intestinale dans un modèle de colite expérimentale chez la souris [11]. Les chercheurs avaient ainsi postulé que cette protéine glycosylée pourrait être reconnue par la lectine de type C DC-SIGN, exprimée par les cellules dendritiques, dont on sait qu’elle contrôle la régulation des réponses immunitaires [12].

Dans une étude plus récente, Lightfoot et al. ont maintenant démontré que ceci est le cas [13]. Ils ont utilisé une souche de L. acidophilus (appelée NCK2187) exprimant SlpA mais pas d’autres composants de surface tels que LspB, LspX et LTA, et des souris dont le gène SignR3, qui code pour un homologue murin de DC-SIGN, a été inactivé. Ils ont ainsi démontré que SlpA (1) est nécessaire à la régulation du statut inflammatoire de l’intestin en conditions normales (non pathologiques), (2) permet le maintien de la barrière intestinale et prévient les dysbioses associées à des colites expérimentales induites, et (3) est reconnue par le récepteur SignR3 pour induire des signaux régulateurs dans le même modèle de colite induite. Ainsi, la souche NCK2187 et sa protéine purifiée SlpA, administrées aux souris par gavage pendant quelques jours, permettent de réduire considérablement les effets pathogènes d’une colite expérimentale (perte de poids, diarrhées, inflammation de la muqueuse intestinale, dysbiose intestinale, production de cytokines pro-inflammatoires telles que les interleukines IL-1β et IL-6, le TNF-α [tumor necrosis factor alpha] ou l’IFN-γ [interféron gamma]) ; ceci n’était pas observé chez des souris n’exprimant pas le récepteur SignR3. Ces résultats démontrent un pouvoir thérapeutique fort de la protéine SlpA, par l’intermédiaire du récepteur SignR3, chez la souris, et laissent envisager que des effets similaires pourraient être obtenus chez l’homme grâce aux interactions entre SlpA et la protéine DC-SIGN.

Conclusion

Cette étude montre à quel point une meilleure compréhension, aux niveaux cellulaire et moléculaire, des interactions entre bactéries intestinales et cellules immunitaires, peut générer de grands espoirs d’applications thérapeutiques. Dans ce cas, on peut envisager que la souche NCK2187, et même la protéine SlpA purifiée, pourraient être utilisées dans le cadre du traitement de MICI.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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