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Med Sci (Paris). 2015 April; 31(4): 355–357.
Published online 2015 May 8. doi: 10.1051/medsci/20153104003.

Le microbiote intestinal, un acteur de la réponse immunitaire adaptative antivirale ?

Benoit Chassaing1***

1Institute for biomedical sciences, center for inflammation, immunity, and infection, Georgia State University, 100 Piedmont ave SE, Petit Science Center, room 708, Atlanta, GA30303, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Immunité acquise, Humains, Grippe humaine, Intestins, Microbiote, Saisons, Récepteur de type Toll-5, Maladies virales, Virus, immunologie, microbiologie, physiologie

 

Une étude récente a permis de mettre en évidence une relation inattendue entre le microbiote intestinal et la réponse immunitaire adaptative faisant suite à une vaccination. En effet, cette étude démontre que la population de bactéries que nous hébergeons dans notre intestin joue un rôle majeur dans la capacité de notre système immunitaire à se protéger contre une infection virale.

La grippe saisonnière

Le virus de la grippe (influenza) est responsable d’infections respiratoires aiguës très contagieuses chez l’homme. Dans les pays à climat tempéré, il est responsable d’épidémies saisonnières qui surviennent au cours de l’hiver. Souvent considérée comme une maladie bénigne, la grippe est néanmoins à l’origine d’environ 250 000 à 500 000 décès par an, surtout chez les jeunes enfants de moins de deux ans et les personnes de plus de 65 ans. Il existe, comme pour de nombreux agents infectieux, des vaccins disponibles qui protègent efficacement contre la grippe. Cependant, le virus influenza est en perpétuelle évolution et de nombreuses mutations affectent sa structure. Il faut donc se faire vacciner tous les ans, le vaccin proposé chaque année étant conçu pour combattre uniquement la souche de l’hiver à venir. L’efficacité du vaccin antigrippal dépend de plusieurs facteurs, dont la similitude entre la souche du vaccin et la souche infectieuse circulante, ainsi que l’âge et le statut immunologique de la personne vaccinée.

Immunité innée et microbiote intestinal

Afin de se protéger des agents infectieux, notre organisme met en place deux types de réponses immunitaires, innée et adaptative. La réponse immunitaire innée peut être immédiate et fait intervenir de nombreux acteurs cellulaires, par exemple l’élimination des agents infectieux via les cellules phagocytaires. La réponse immunitaire adaptative nécessite, quant à elle, une reconnaissance spécifique de l’agent infectieux/étranger. Elle est donc considérée comme une réponse plus lente, mais instaure une protection spécifique et durable, via notamment la synthèse d’anticorps. Ces deux systèmes immunitaires interagissent et se régulent mutuellement. Le système immunitaire inné permet notamment l’activation du système immunitaire adaptatif via la présentation des antigènes par les cellules de l’immunité innée aux lymphocytes responsables de la réponse adaptative.

Une étude de 2011, basée sur l’analyse de 56 personnes vaccinées contre la grippe, avait montré une corrélation positive ou négative entre l’expression de certains gènes et la réponse immunitaire antivirale lors de la vaccination antigrippale [1]. Il est très intéressant de noter que certains gènes ayant un rôle dans la réponse immunitaire adaptative sont également des acteurs importants de la réponse immunitaire innée : TLR5 (toll like receptor 5), CASP1 (caspase 1), PYCARD (apoptosis-associated speck-like protein containing a CARD) et NOD2 (nucleotide-binding oligomerization domain-containing protein 2). Ainsi, cette étude avait permis de suggérer de nouveaux liens entre le système immunitaire inné et le système immunitaire adaptatif humoral dans la défense contre influenza [1]. Plus particulièrement, le gène TLR5 code pour le récepteur du même nom, qui est impliqué dans la reconnaissance spécifique de la flagelline bactérienne (la flagelline est le composé majoritaire des flagelles qui interviennent, entre autres, dans la mobilité et la virulence bactériennes) [2, 3]. Le récepteur TLR5 est fortement exprimé dans l’intestin, où il joue un rôle majeur dans l’homéostasie du microbiote intestinal. Ce dernier se définit par l’ensemble des microorganismes peuplant notre tube digestif. Ce microbiote intestinal joue un rôle primordial pour l’hôte, notamment dans la digestion des nutriments et la maturation du système immunitaire. Cependant, ce mutualisme doit être finement régulé pour maintenir le microbiote à une distance raisonnable de l’épithélium intestinal, et éviter qu’il ne soit à l’origine des réactions inflammatoires et pathologiques [4]. Le récepteur TLR5 serait un acteur de cette régulation au niveau intestinal, et interviendrait dans la régulation de la localisation et de la composition du microbiote intestinal. Il a en effet était montré que chez les souris invalidées pour le gène correspondant (Tlr5-/-), le microbiote intestinal devient pro-inflammatoire, et sa composition comme sa localisation sont modifiées comparativement à des souris sauvages [57].

Implication du microbiote intestinal et du récepteur à la flagelline TLR5 dans la réponse humorale anti-influenza

Suite à l’identification de l’implication du gène TLR5 dans la réponse immunitaire adaptative antigrippale, des équipes de Emory University et Georgia State University ont entrepris une étude collaborative dans le but de comprendre le rôle conjoint joué par la protéine TLR5 et le microbiote intestinal lors de la réponse humorale anti-influenza [8]. Nous montrons que la vaccination antigrippale induit, chez les souris Tlr5-/-, une réponse immunitaire adaptative réduite comparée à celle observée chez les souris sauvages, avec une diminution du nombre de plasmocytes1, et de la synthèse d’anticorps spécifiques. Ces données suggèrent donc qu’une mauvaise détection du microbiote intestinal, en l’absence du récepteur TLR5, serait à l’origine de l’altération de la réponse humorale anti-influenza. L’utilisation de souris axéniques2,, et de souris traitées par une combinaison d’antibiotiques, a permis de confirmer cette hypothèse, puisque l’absence ou la modification du microbiote intestinal, respectivement, conduisent en effet à une diminution de la synthèse d’anticorps spécifiques anti-influenza chez ces animaux [8]. D’un point de vue mécanistique, la reconnaissance de la flagelline par le récepteur TLR5 agit en favorisant la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes de manière directe et indirecte, via notamment la sécrétion de facteurs de croissance actifs sur les plasmocytes par les cellules macrophagiques des ganglions lymphocytaires.

Conclusion

Cette étude, publiée dans la revue Immunity [8], identifie un nouveau rôle joué par le microbiote intestinal dans l’amplitude de la réponse immunitaire induite lors d’une vaccination antigrippale. Ainsi, on pourrait considérer la composition et la localisation du microbiote intestinal comme des composantes clés de l’efficacité d’une vaccination ; et la prise d’antibiotiques précédant une vaccination pourrait, de ce fait, affecter négativement la réponse immunitaire associée à la vaccination. Un argument en faveur de cette hypothèse est l’observation selon laquelle de nombreux vaccins sont moins efficaces dans les pays en voie de développement que dans les pays industrialisés, probablement en raison de multiples facteurs modifiant la composition du microbiote intestinal [9]. Par exemple, l’efficacité du vaccin anti-rotavirus3 de première génération est de 73 % dans les pays industrialisés, contre seulement 20 % dans les pays en voie de développement [10]. Cependant, le mécanisme mis en évidence pour le virus de la grippe ne peut pas être généralisé, et l’efficacité d’autres vaccins, tels que celui contre la fièvre jaune, l’hépatite B, ou encore le vaccin antidiphtérique, tétanique et poliomyélitique, ne semble pas être affectée [8]. Qui plus est, une seconde étude menée à Georgia State University a révélé que l’ablation du microbiote intestinal chez la souris conférait une protection vis-à-vis de l’infection virale à rotavirus et induisait une réponse immunitaire adaptative anti-rotavirus plus durable [11]. Ainsi, dans le cas du rotavirus (et contrairement à la vaccination grippale), l’utilisation d’antibiotiques avant la vaccination pourrait permettre d’augmenter l’efficacité vaccinale dans les pays en voie de développement [11].

Pour conclure, l’ensemble de ces données mettent en évidence le concept selon lequel la composition du microbiote intestinal, sa localisation et sa reconnaissance par le système immunitaire innée de l’hôte jouent un rôle important dans l’immunité adaptative antivirale.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Benoit Chassaing reçoit un financement de la Crohn and Colitis foundation of America.

 
Footnotes
1 Cellules immunitaires spécialisées dans la production d’anticorps.
2 Souris maintenues en isolateur stérile et dépourvues de toute bactérie.
3 Virus non enveloppé de la famille des Reoviridae ayant comme support de son information génétique une molécule d’ARN double brin.
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