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Med Sci (Paris). 2015 January; 31(1): 22–24.
Published online 2015 February 6. doi: 10.1051/medsci/20153101007.

Rôle clé des Treg CD8+ spécifiques d’un allopeptide en transplantation

Élodie Picarda,1 Jason Ossart,1 Séverine Bézie,1 and Carole Guillonneau1*

1Inserm UMR1064 – centre de recherche en transplantation et immunologie – ITUN, centre hospitalier universitaire de Nantes, faculté de médecine, université de Nantes, 30, boulevard Jean Monnet, 44093, Nantes Cedex 01, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Lymphocytes T CD8+, Survie du greffon, Humains, Isoantigènes, Thérapie moléculaire ciblée, Rats, Spécificité antigénique des récepteurs des lymphocytes T, Lymphocytes T régulateurs, Immunologie en transplantation, Tolérance à la transplantation, physiologie, transplantation, immunologie, tendances

La transplantation d’organes

À l’heure actuelle, la transplantation d’organe chez l’homme reste la meilleure stratégie thérapeutique en cas de défaillance terminale d’un organe (cœur, foie, rein, poumon, etc.). La prise conjointe de traitements immunosuppresseurs est indispensable pour éviter le rejet du greffon, perçu comme un élément étranger n’appartenant pas au « soi ». Cependant, ces drogues non spécifiques ont des effets secondaires souvent graves, troubles métaboliques, infections ou cancers. De plus, elles ne permettent pas d’enrayer la survenue du rejet chronique à long terme. Face à ces deux problèmes majeurs, le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques innovantes plus spécifiques du greffon est devenu une nécessité.

Les Treg : arbitres du système immunitaire

Les mécanismes immunologiques du rejet de greffe impliquent de nombreuses cellules et molécules du système immunitaire, notamment les lymphocytes T effecteurs (Teff). L’action délétère de ces cellules peut être contrebalancée par des lymphocytes T dits « régulateurs » (Treg), capables de moduler les réponses immunitaires. Via leur TCR (T cell receptor), les Treg reconnaissent spécifiquement des alloantigènes du donneur, présentés sur les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) par des cellules présentatrices d’antigènes (CPA), puis ils s’activent et inhibent les réponses allo-immunes. Au cours des deux dernières décennies, de nombreux types de Treg ont été identifiés, incluant les Treg CD4+, mais aussi CD8+, ces derniers suscitant un intérêt croissant. On distingue trois sous-types de Treg : les cellules dérivées du thymus (tTreg), représentant 5 à 10 % du répertoire des lymphocytes T CD4+, les Treg générés in vitro (iTreg) et les Treg induits in vivo en périphérie (pTreg)[1]. Les Treg CD8+ jouent un rôle majeur dans le maintien de l’homéostasie immune, et ils sont impliqués dans le contrôle d’un large panel de réponses immunes telles que l’immunité intestinale, l’auto-immunité, le privilège immun de l’œil1, la tolérance orale aux antigènes alimentaires, ainsi que le rejet de greffe [2, 3].

Les Treg CD8+CD45RClow en transplantation : rôle et mécanismes d’action

Des études phénotypiques et fonctionnelles récentes ont permis de distinguer plusieurs sous-populations de Treg CD8+ chez la souris, le rat et l’Homme. Une population en particulier, les Treg naturels (naïfs) de type CD8+CD45RClow a été identifiée chez le rat en 2004 [6]. Dans un modèle d’allotransplantation cardiaque incompatible chez le rat, nous avons montré pour la première fois que le blocage de la voie de costimulation CD40/CD40L2 (via un adénovirus codant pour la molécule CD40Ig empêchant l’interaction ligand-récepteur) induit une survie indéfinie de l’allogreffe. Le mécanisme met en jeu la génération in vivo de Treg CD8+CD45RClow spécifiques d’antigènes du donneur (aTreg CD8+CD45RClow) et dont le répertoire est biaisé en faveur de l’expression de la chaîne Vb11 du TCR [4, 5]. Contrairement aux Treg naïfs, les aTreg CD8+CD45RClow sont capables de transférer la tolérance à des receveurs secondaires naïfs. Nous avons décrit que les aTreg CD8+CD45RClow exercent leur fonction régulatrice via la sécrétion d’interféron g (IFNg), qui induit l’expression d’indoléamine 2,3-dioxygénase (IDO) par les cellules endothéliales du greffon [4] (Figure 1). Par ailleurs, nos récentes études démontrent que les aTreg CD8+CD45RClow utilisent in vitro des mécanismes suppressifs dépendant d’un contact, impliquant le tandem IFNg et fibrinogen-like protein 2 (FGL2) (Bezie et al., en révision), mais aussi indépendant de ce contact et faisant intervenir IDO [6]. Enfin, les aTreg CD8+CD45RClow interagissent de façon privilégiée in vitro et in vivo avec les cellules dendritiques de type plasmacytoïde (pDC) [6].

Identification des alloantigènes reconnus par les aTreg CD8+CD45RClow

Les difficultés techniques d’identification des alloantigènes expliquent en partie notre méconnaissance des alloantigènes interagissant spécifiquement avec les Treg CD8+, et de leur rôle dans la génération et la fonction de ces Treg. Connaître ces cibles antigéniques est pourtant crucial en transplantation pour développer de nouvelles thérapies ciblées spécifiques d’antigènes [7]. En effet, des études chez l’animal ont montré que les Treg CD4+ allospécifiques exercent une suppression plus efficace que les Treg polyclonaux. Surtout, cette action suppressive est concentrée aux sites de la source d’alloantigènes (greffon) ou au site d’activation (ganglion), mais n’affectent pas l’ensemble des réponses immunes [8]. Dans notre modèle d’allogreffe incompatible pour le CMH, nous avons testé in vitro 82 allopeptides dérivés des régions polymorphiques des molécules du CMH du donneur, qui étaient des cibles potentielles spécifiques des aTreg CD8+CD45RClow. Grâce à un test de coculture in vitro des Treg avec des pDC syngéniques et chaque allopeptide, nous avons identifié, pour la première fois dans un contexte de transplantation, un peptide naturel dominant, appelé Du51, dérivé du CMH de classe II du donneur et capable d’activer les aTreg CD8+CD45RClow, à la fois dans leur phénotype et dans leur capacité d’inhibition des réponses T alloréactives [9].

Potentiel régulateur des aTreg CD8+CD45RClow spécifiques du Du51

Grâce à la génération d’un tétramère de complexe CMH-I/Du513, nous avons détecté la présence et l’accumulation in vivo de la sous-population de aTreg spécifique du Du51 dans le greffon cardiaque et la rate des receveurs traités avec CD40Ig. Nous avons pu montrer pour la première fois que les aTreg CD8+CD45RClow spécifiques du Du51 exercent in vitro une activité suppressive supérieure à celle des Treg naïfs polyclonaux, et sont nécessaires in vivo à l’induction d’une tolérance à la greffe. Cette observation confirme l’intérêt des thérapies cellulaires ciblées, spécifiques d’antigènes, dans un contexte de transplantation chez l’homme. De plus, nous avons démontré que le répertoire TCR des aTreg CD8+CD45RClow est biaisé pour la chaîne Vb11, et que sa diversité est statistiquement plus restreinte que celle du répertoire des Treg CD8+CD45RClow naïfs.

Induction de tolérance à l’allogreffe par le peptide Du51

Finalement, l’identification du Du51 nous a permis de tester son potentiel thérapeutique in vivo dans l’induction de tolérance à l’allogreffe, en particulier via l’amplification des aTreg CD8+CD45RClow. Nous avons utilisé un dispositif original d’administration du peptide par une minipompe osmotique, placée dans la cavité abdominale une semaine avant la greffe et diffusant continuellement le peptide jusqu’à trois semaines postgreffe (Figure 2). Ce traitement prolonge à lui seul la survie d’une allogreffe cardiaque avec une tolérance indéfinie du greffon chez 80 % des receveurs. En revanche, l’administration, simultanément à ce peptide, d’anticorps bloquant le CMH-I ou éliminant les cellules CD8+in vivo, empêche l’induction de tolérance, démontrant que le développement de Treg CD8+ fait intervenir une interaction TCR/CMH-I/Du51 spécifique lors du traitement. L’ensemble de ces résultats met en évidence le potentiel des thérapies monopeptidiques pour induire des Treg capables de contrôler les réponses allo-immunes responsables de la survenue des rejets aigu et chronique d’allogreffe.

Vers une thérapie cellulaire ciblée chez l’homme ?

Dans le contexte actuel d’évolution vers une médecine personnalisée, nos résultats ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques et diagnostiques en transplantation humaine. Un premier essai international de thérapie cellulaire personnalisée avec des Treg CD4+ amplifiés dirigés contre des cellules du donneur est actuellement en cours (The ONE Study). Notre étude des Treg CD8+ spécifiques du Du51 chez le rat suggère le fort potentiel thérapeutique de leurs équivalents chez l’homme. En effet, des Treg CD8+ humains, spécifiques de peptides homologues dérivés du CMH (ou HLA) du donneur, pourraient être sélectionnés à l’aide de tétramères, puis amplifiés, ou amplifiés sélectivement ex vivo par une stimulation avec l’allopeptide, avant d’être réinjectés au patient. Par ailleurs, la présence dans le sang de Treg spécifiques de peptides dérivés du HLA pourrait être analysée et servir d’outil pronostique pour la survie de greffons. Le suivi de cette population représenterait une alternative à la biopsie des greffons – un geste très invasif - et permettrait une prise en charge plus précoce et efficace des patients transplantés via l’adaptation de leur traitement. Enfin, l’administration d’un peptide immunomodulateur dérivé du HLA pourrait suffire en elle-même à prévenir des réponses allo-immunes et ainsi réduire la prise d’immunosuppresseurs non spécifiques et délétères à long terme. Cependant, de nombreux paramètres tels que l’efficacité, la sureté, les mécanismes d’action, la biodisponibilité et le coût de ces thérapies cellulaires et peptidiques restent à étudier avant d’envisager une application clinique future à grande échelle.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Dans certains organes, moelle épinière, œil et cerveau, l’accès des cellules du système immunitaire est très contrôlé, faisant de ces organes des sites « immuns privilégiés ». Ces organes sont de ce fait à l’abri d’une réponse immunitaire potentiellement délétère.
2 CD40 est un membre de la superfamille des récepteurs du TNF. Il est exprimé à la surface des lymphocytes B et des CPA. CD40 interagit avec son ligand, CD40L (CD154), exprimé sélectivement à la surface des lymphocytes T activés, et cette interaction est indispensable à la coopération entre lymphocytes B et lymphocytes T.
3 Les tétramères sont des complexes synthétiques de molécules CMH contenant un antigène spécifique et un marqueur fluorescent. Ils peuvent se lier aux lymphocytes T exprimant le récepteur spécifique et permettent de détecter ces derniers.
References
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