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Med Sci (Paris). 2014 December; 30(12): 1101–1109.
Published online 2014 December 24. doi: 10.1051/medsci/20143012013.

Pathologies de l’ADN mitochondrial et stratégies thérapeutiques

Yann Tonin1 and Nina Entelis1*

1UMR 7156, Université de Strasbourg-CNRS, 21, rue René Descartes, 67084Strasbourg, France
Corresponding author.
 

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Caractérisées par un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire au niveau d’un ou plusieurs complexes enzymatiques qui la composent, les maladies mitochondriales regroupent une pléiade d’affections, pour la plupart des myopathies ou des maladies neurodégénératives (Tableau I). De par la double dépendance génétique des mitochondries (génomes nucléaire et mitochondrial), l’émergence de ces maladies peut être consécutive à l’apparition de mutations affectant l’un des gènes détenus par l’ADN nucléaire ou l’un des 37 gènes portés par l’ADN mitochondrial (ADNmt). En effet, on estime qu’environ 1 500 gènes nucléaires codent pour le protéome mitochondrial, dont près de 200 sont impliqués dans l’apparition de maladies mitochondriales lorsqu’ils sont mutés [ 1]. Face à cela, plus de 270 mutations pathogènes altèrent directement l’ADNmt. Ces mutations, responsables de maladies dites pathologies de l’ADN mitochondrial, sont le sujet de cette revue. La majorité d’entre elles sont dites hétéroplasmiques, signifiant que l’ADNmt peut coexister sous deux formes - sauvage et mutée - au sein d’une même cellule, et que l’apparition et la sévérité des maladies mitochondriales dépendront alors de ce taux d’hétéroplasmie (Figure 1). Agir sur le génome mitochondrial serait donc un moyen de traiter bon nombre de maladies, mais constitue un défi majeur compte tenu de la difficulté à introduire des acides nucléiques au sein des mitochondries et à cibler spécifiquement l’ADNmt mutant. Néanmoins, des progrès considérables ont été effectués ces dernières années dans la compréhension des mécanismes moléculaires à l’origine de ces maladies, et ont mené au développement de nombreuses stratégies thérapeutiques actuellement explorées dans les laboratoires.

Modèles d’études des maladies mitochondriales
La levure : un modèle d’étude des maladies mitochondriales
La levure fait partie des modèles les plus courants d’étude des maladies mitochondriales et, plus particulièrement, de modélisation de mutations dans les gènes des ARNt. Il est en effet possible d’y introduire de l’ADN étranger par transformation biolistique et ainsi de manipuler son génome mitochondrial. Le fait que certaines levures, et en particulier Saccharomyces cerevisiae, la plus étudiée, soient capables de survivre en l’absence de mitochondries fonctionnelles, via la fermentation, les rend d’autant plus adaptées à l’étude des pathologies les plus sévères associées à un déficit respiratoire mitochondrial profond [ 2, 3] (). Ainsi, la levure a permis d’étudier les effets biochimiques de mutations du gène codant pour l’ATPase 6 [ 4], et d’identifier des suppresseurs de mutations des ARNt, tels EF-Tu (elongation factor thermo unstable), ou des aminoacyl-ARNt synthétases mitochondriales [ 5]. Mais même si la levure semble un atout majeur dans la compréhension des mécanismes pathologiques mitochondriaux, elle possède tout de même ses limites, car cet organisme unicellulaire ne possède pas de tissus différenciés. Il est également impossible d’étudier le complexe I de la chaîne respiratoire, la plupart des levures en étant dépourvues.

(→) Voir la Synthèse de C. Voisset et M. Blondel, page 1161 de ce numéro

Modèles cellulaires humains de mutations de l’ADNmt
Faciles à obtenir chez le patient et à cultiver in vitro, les fibroblastes primaires représentent un important modèle pour l’étude des conséquences d’une mutation sur la structure et les fonctions mitochondriales. Ils ne peuvent pas être cultivés longtemps, mais servent de base pour générer des lignées cellulaires trans-mitochondriales.

Initialement décrites en 1989 [ 7], les cellules « cybrides » résultent de la fusion de cytoplastes énucléés de patients porteurs d’une mutation de leur génome mitochondrial et de cellules immortalisées débarrassées de leur ADNmt (Figure 2A). Tout en permettant d’identifier l’origine nucléaire ou mitochondriale d’un déficit de la chaîne respiratoire, ces cellules sont très utilisées pour comprendre les conséquences des mutations de l’ADNmt en fournissant un environnement génétique nucléaire contrôlé. Si elles semblent être l’outil idéal, certaines précautions doivent être prises. En effet, la plupart des cybrides étant issus de cellules tumorales aneuploïdes, ils utilisent de façon très préférentielle la glycolyse pour assurer leurs besoins énergétiques et ne dépendent que très peu, voire pas du tout, de la production énergétique mitochondriale [ 8].

Depuis 2007 et la découverte de S. Yamanaka, les fibroblastes peuvent également être reprogrammés en cellules souches pluripotentes (iPS, induced pluripotent stem cells) - qui possèdent toutes les caractéristiques des cellules souches embryonnaires - permettant d’étudier les effets des mutations de l’ADNmt dans des cellules humaines différenciées [ 6]. Elles sont en effet capables de se différencier dans tous les types cellulaires et de se multiplier à l’infini. De plus, les iPS, lorsqu’elles proviennent de la reprogrammation de fibroblastes prélevés chez les patients, permettent de modéliser des pathologies variées tout en contournant les problèmes éthiques soulevés par l’utilisation de cellules souches embryonnaires. Toutefois, le développement très récent de ces cellules ne permet pas d’avoir le recul nécessaire sur ce modèle. Il est par exemple possible que le processus de reprogrammation entraîne l’apparition de nouvelles mutations [ 9].

Modèle murin des mutations affectant l’ADNmt
Incontournable au regard d’aspects thérapeutiques plus appliqués, un modèle murin permet de mieux comprendre la genèse des pathologies et de tester des stratégies thérapeutiques. Mais, si de nombreux modèles ont pu être développés pour des mutations nucléaires, ceci n’est pas le cas pour des mutations affectant l’ADNmt qui ne peut pas être manipulé comme l’ADN nucléaire. Le premier modèle fut développé il y a une quinzaine d’années : des cytoplastes d’ovules de souris furent micro-injectés dans les ovules d’une souris présentant un autre génotype mitochondrial. Ceci conduisit à l’obtention d’une lignée de souris porteuses des deux génomes mitochondriaux différant par une série de polymorphismes [ 10]. Ces souris hétéroplasmiques, bien qu’elles ne présentent aucun symptôme, furent très utiles pour étudier les processus de ségrégation de l’hétéroplasmie au travers des générations, mais aussi entre tissus, au cours de la vie de l’animal.

Un second modèle est celui des mito-mice, plus directement pertinent pour l’étude des maladies mitochondriales. Il utilise la même approche d’injection de cytoplasme avec mitochondries dans l’ovule (Figure 2B). Ces mito-mice, dont la durée de vie n’excède pas quelques mois, arborent une large délétion de l’ADNmt (∆7759-12454) associée à de multiples symptômes (myopathie, défaillance rénale, anémie, surdité, etc.) et se caractérisent par une augmentation progressive du taux d’hétéroplasmie [ 11]. Enfin, on peut également citer des souris porteuses de mutations de gènes nucléaires assurant la maintenance et la réplication de l’ADNmt, et qui accumulent des défauts au sein de leur génome mitochondrial. Ainsi, les conséquences de mutations affectant la polymérase γ [ 12], l’hélicase Twinkle [ 13] ou le facteur TFAM (mitochondrial transcription factor A) [ 14] ont pu être étudiées plus en détails.

Stratégies thérapeutiques contre les maladies mitochondriales
Prévention de la transmission des maladies génétiques
Selon le célèbre adage « mieux vaut prévenir que guérir », une solution pour éviter l’apparition d’une maladie due à une mutation de l’ADNmt serait de détecter la présence de cette mutation avant la naissance de l’enfant et, le cas échéant, d’en enrayer la transmission en substituant le génome mitochondrial muté par un génome sain.

Pour ce faire, les médecins disposent de différentes méthodes : diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire, transfert cytoplasmique et transfert pronucléaire.

  • Dans le cas d’une procédure de procréation médicalement assistée pour une maladie mitochondriale, les méthodes de diagnostic prénatal permettent d’évaluer le taux d’hétéroplasmie des cellules embryonnaires et fœtales et, ainsi, d’estimer le risque potentiel d’expression de la maladie chez l’enfant. Le diagnostic préimplantatoire permet, quant à lui, de mesurer le taux d’hétéroplasmie sur une ou deux cellules d’un embryon conçu in vitro afin de ne transférer que les embryons possédant de très faibles taux d’ADNmt mutant. Dans ce second cas de figure, la présence d’une mutation serait détectée avant même l’implantation de l’embryon et il serait alors plus facile d’organiser, selon la gravité de la maladie, une surveillance du développement du fœtus pendant la grossesse ou de mettre en œuvre les moyens médicaux adaptés.
  • Concernant le transfert cytoplasmique et le transfert pronucléaire [ 15], la première approche initialement utilisée pour augmenter les chances de développement embryonnaire en présence d’une mutation de l’ADNmt consiste à diluer cet ADNmt muté de l’ovocyte en y transférant de l’ovoplasme (autrement dit du cytoplasme ovocytaire) de donneuses saines ; mais la proportion de matériel ajouté ne peut alors dépasser le tiers du contenu total en ADNmt. Cette limitation explique l’existence d’une hétéroplasmie chez les nouveau-nés [ 16]. Une seconde approche - par transfert pronucléaire - consiste à transférer le noyau de l’ovocyte fécondé (dont l’ADNmt est muté) dans un ovocyte énucléé « sain », c’est-à-dire dépourvu d’ADNmt muté. Chez le singe, la preuve de concept a été apportée que cette procédure de transfert nucléaire (réalisée avec des ovocytes sains) était compatible avec l’implantation et le développement à terme de nouveau-nés viables et fertiles [ 17]. Chez l’homme, où seule l’étape in vitro est possible, cette procédure est compatible avec le développement de l’embryon jusqu’au stade blastocyste [ 18] ; une procédure d’approbation dans la perspective d’un essai clinique est en cours de discussion au Royaume-Uni1. Bien qu’encourageante, il est nécessaire d’apporter la plus grande réserve quant à l’utilisation de cette approche, car outre les difficultés techniques et le manque de recul sur son innocuité [ 19], elle nécessite une réflexion bioéthique approfondie.

Diminution du taux d’hétéroplasmie
Une des stratégies thérapeutiques actuelles, très prometteuse, vise à agir sur le taux d’hétéroplasmie (Figure 1), soit en stimulant la réplication du génome mitochondrial sain, soit au contraire en inhibant celle du génome muté. Cette seconde approche, dite antigénomique, peut être mise en œuvre par la destruction du génome muté ou par l’inhibition spécifique de sa réplication. Ce type d’approche est d’autant plus intéressant que même une très faible diminution (de l’ordre de quelques pourcents) du taux d’hétéroplasmie pourrait être suffisante pour entraîner une amélioration significative sur le plan clinique.
Enrichissement en ADNmt sauvage La première stratégie pour enrichir le contenu mitochondrial en ADNmt est de suivre une diète cétogène, c’est-à-dire un régime alimentaire à très basse teneur en glucides compensée par une plus forte proportion en lipides. Déjà utilisée dans des cas d’épilepsie, cette diète semble être bénéfique pour les individus qui la suivent en conduisant à une augmentation du nombre de copies d’ADNmt sauvage [ 20] et en assurant une protection neuronale [ 21]. Une amélioration des symptômes a été observée chez des souris porteuses d’un déficit de l’hélicase Twinkle et accumulant des défauts de leur génome mitochondrial, lorsqu’elles étaient soumises à ce régime, même en l’absence de variations quantitatives ou qualitatives de l’ADNmt [ 22].

Une autre méthode consiste à induire une régénération musculaire par l’activation de cellules satellites. Ces cellules indifférenciées présentes au sein du muscle squelettique assurent la fonction de cellules souches musculaires et réparent les fibres musculaires endommagées [ 23]. Leur activation peut être stimulée chimiquement ou mécaniquement par l’exercice. Comme leur taux de mutation est très bas, ces cellules vont enrichir le pool de génomes mitochondriaux sains et promouvoir une diminution du taux d’ADNmt mutant. Cette stratégie a déjà été employée avec succès chez un patient porteur d’une mutation du gène codant la sous-unité COXI (cytochrome c oxidase subunit I) [ 24].

Utilisation d’enzymes de restriction Pour cibler et détruire de manière spécifique le génome mitochondrial muté, un des prérequis est la présence d’un site de restriction qui lui est propre. Dans ce cas, une endonucléase codée par le génome nucléaire et fusionnée à un signal d’import mitochondrial peut être adressée aux mitochondries, où elle clivera spécifiquement l’ADNmt mutant et induira la diminution du nombre de molécules d’ADNmt mutées, une augmentation de la proportion des molécules saines et la reprise de la production d’ATP. En ciblant un site SmaI unique, cette méthode a permis de diminuer le taux d’hétéroplasmie d’une mutation affectant le gène codant pour l’ATPase 6 (T8993G) responsable d’un syndrome NARP (neuropathie, ataxie, rétinite pigmentaire) [ 25] et à une de ses variantes plus sévères, le syndrome MILS (maternally inherited Leigh’s syndrome). Une augmentation significative de la consommation d’oxygène est observée dans les cellules ainsi traitées. Il est également possible de cibler spécifiquement un organe via l’utilisation de vecteurs adénoviraux AAV (adeno-associated virus), tels que des vecteurs cardiotropiques et hépatotropiques qui, chez la souris, ont permis de délivrer l’enzyme ApaLI dans le cœur et le foie, et d’induire une diminution du niveau d’hétéroplasmie [ 26].
Utilisation de nucléases à doigt de zinc et TALEN Bien que puissante, l’utilisation d’enzymes de restriction est limitée par une faible fréquence de mutations pathogènes créant un site de restriction unique. Si l’on pouvait cibler n’importe quelle séquence, il serait alors possible d’étendre considérablement le champ d’action de cette stratégie. C’est sur cette idée que se fonde le développement des nucléases à doigt de zinc (ZFN, zinc-finger nuclease). Ces peptides sont composés de trois à neuf domaines en doigt de zinc assurant une liaison spécifique de l’ADN sur trois nucléotides [ 27], ainsi que d’un domaine FokI, une endonucléase non spécifique (Figure 3A). En modifiant à volonté ces différents triplets de liaison à l’ADN, il est alors possible de créer une molécule sur mesure capable de reconnaître et de cliver une séquence spécifique. Dans le cas d’une mutation associée à la mutation NARP (T8993G) [ 28], il a ainsi été possible de détruire spécifiquement la version mutée et de doubler la proportion d’ADNmt sauvage. Récemment, il a été montré que cette même stratégie pouvait également être appliquée via l’utilisation de TALEN (transcription activator-like effector nuclease) [ 29] et pouvait induire une diminution du nombre de copies du génome muté, qu’il soit affecté par une large délétion (∆8483-13459) ou une mutation ponctuelle (G14459A) dans cellules cybrides [ 30]. Pour cette dernière, une augmentation du niveau d’activité du complexe I a également été observée.

Stratégie antiréplicative Hormis le fait de détruire le génome muté, une méthode alternative consiste à en inhiber spécifiquement la réplication (Figure 3B). Les agents susceptibles d’induire cette inhibition doivent être non seulement capables de reconnaître l’ADNmt mutant et de s’y fixer avec une haute affinité, mais également de bloquer la machinerie de réplication. Cette approche a été amorcée via le développement de PNA (peptide nucleic acids) ; ce sont des acides nucléiques synthétiques possédant un squelette peptidique non chargé, capables de former un duplex avec de l’ADN simple brin. Ces molécules artificielles peuvent, in vitro, induire un arrêt spécifique de la réplication au niveau d’une mutation (A8344G) responsable du syndrome MERRF (myoclonus epilepsy and ragged red fibres) [ 31]. Bien qu’attrayante, cette approche se heurte à un obstacle de taille, l’impossibilité pour ces molécules de franchir in vivo la membrane interne des mitochondries, et ce malgré la présence d’un peptide d’adressage ou de cations lipophiles. Pour remédier à ce problème, une solution consiste à tirer parti de la voie naturelle d’import des ARN dans les mitochondries pour adresser dans ces organites des molécules au potentiel thérapeutique. De petits ARN artificiels, formés sur la base des déterminants de l’ARNtLys de levure, ont ainsi été modélisés et sont capables d’être importés dans les mitochondries de cellules humaines. Ils possèdent également une séquence complémentaire de celle de l’ADNmt mutant, qui leur permet de s’hybrider à cet ADN et de bloquer la progression de l’ADN polymérase, offrant ainsi un avantage réplicatif aux molécules d’ADNmt sauvage. Ces molécules induisent une diminution de l’ordre de 30 % du taux d’hétéroplasmie et la reprise de la traduction mitochondriale dans des cellules porteuses d’une large délétion (∆8365-15439) associée au syndrome de Kearns Sayre [ 32]. Comme démontré plus récemment, cette approche est aussi efficace vis-à-vis d’une mutation ponctuelle (A13514G) dans le gène ND5 (NADH dehydrogenase, subunit 5) associée à un syndrome MELAS (mitochondrial encephalopathy, lactic acidosis and stroke-like episodes), où la diminution du taux d’ADNmt mutant est corrélée à une augmentation du nombre de mitochondries [ 33].
Remplacement des composants mitochondriaux défectueux
Expression allotopique de protéines La stratégie allotopique consiste en l’expression nucléaire du gène codant pour une protéine mitochondriale et à l’adressage de cette dernière dans les mitochondries où elle compensera la défaillance de son homologue mutée (Figure 4A). Il est nécessaire que la protéine soit dotée d’un signal d’import, mais également que l’ADNmt correspondant au gène soit modifié pour adopter le code génétique universel. Bien que la méthode ait fait ses preuves chez la levure où l’ATPase 8 fut exprimée, importée et assemblée avec succès dans le complexe V, permettant la complémentation fonctionnelle du déficit lié à la délétion du gène [ 34], les résultats obtenus chez les mammifères sont plus contrastés. En effet, alors que les premiers travaux menés sur le gène de l’ATPase 6 avaient montré une restauration des fonctions mitochondriales, des résultats contradictoires sont apparus, révélant que la protéine exprimée n’était pas importée dans les mitochondries [ 35]. En effet, l’approche allotopique est limitée par la grande hydrophobicité des protéines mitochondriales, qui compromet fortement leur import. Ce phénomène est parfaitement illustré par la sous-unité ND4 qui, lors de son expression, entraîna la formation d’agrégats cytoplasmiques obstruant les pores mitochondriaux [ 36]. Pour contourner ce problème, une approche a été développée qui assure l’adressage des ARNm au niveau de la surface des mitochondries. Cela a ainsi permis l’import immédiat des sous-unités du complexe I, dont l’activité a été restaurée dans des fibroblastes en culture porteurs de plusieurs mutations au niveau des gènes ND1, ND4 et ND6 associées au syndrome LHON (Leber’s hereditary optic neuropathy) [36].

Import d’ARNt La moitié des mutations de l’ADNmt affectent des gènes codant des ARNt ; celles-ci tendent à réduire le niveau et la proportion d’ARNt amino-acylés, ce qui entraîne des défauts de traduction ayant un impact sur le fonctionnement de la chaîne respiratoire. Alors que les mécanismes qui assurent l’import des ARNt dans la levure sont bien compris, ce processus recèle encore quelques mystères chez les mammifères. En s’appuyant sur l’étude des caractéristiques structurales de l’ARNtLys CUU de Saccharomyces cerevisiae, il a été démontré que des variants de cet ARNt cytosolique peuvent être importés dans les mitochondries humaines (Figure 4B), où ils restaurent la traduction et compensent les défauts respiratoires résultant du dysfonctionnement de l’ARNtLys mitochondrial associé à un syndrome MERRF (mutation A8344G) [ 37]. Le même type d’approche a été développé pour corriger les conséquences d’une mutation affectant le gène de l’ARNtLeu (A3243G) et associée à l’apparition d’un syndrome MELAS. Dans ce cas, il a été nécessaire d’adapter l’ARNt pour assurer son amino-acylation et lui permettre de reconnaître de manière spécifique le codon leucine [ 38]. La mise en œuvre de cette stratégie nécessite d’adapter l’ARNt cytosolique importé dans les mitochondries et ce pour chaque ARNt mitochondrial muté et, ainsi, permettre son amino-acylation et son décodage spécifique.

Un défaut structural dû à une mutation d’un ARNt peut se traduire par une diminution de son niveau d’amino-acylation [ 39]. Pour compenser cet effet, il est possible de surexprimer des ARNt synthétases comme cela a été fait pour LARS2 (leucyl-ARNt synthétase mitochondriale) dans des cellules cybrides porteuses de la mutation MELAS (A3243G) ; une augmentation de la consommation en oxygène proportionnelle au niveau de la synthétase a été observée [ 40]. Une approche plus générale consiste en la surexpression d’ARNt synthétases de classe I, qui sont en mesure de stabiliser la structure de différents ARNt mitochondriaux induisant ainsi une augmentation de la synthèse protéique [ 41].

Outre les ARNt, il est également possible d’importer d’autres acides nucléiques (Figure 4B) dans les mitochondries, tels que de l’ADN [ 42], des ARNm [ 43] ou de petits ARN anti-réplicatifs [32, 33].

Conclusion

En 2012, une revue Cochrane2 fit état des traitements actuellement disponibles dans les maladies mitochondriales et conclut qu’aucun des essais effectués chez l’homme n’avait prouvé sa réelle efficacité [ 44]. Néanmoins, ces conclusions, fondées sur les essais thérapeutiques effectués, se concentraient sur des preuves expérimentales cliniques et ne pouvaient pas prendre en compte les nombreuses stratégies actuellement explorées. En effet, il importe de souligner qu’en dépit de la quasi-absence de thérapie ayant fait preuve d’une efficacité clinique avérée, il existe un foisonnement de nouvelles stratégies thérapeutiques prometteuses, encore au stade expérimental. De ce fait, même si le chemin est encore long, ces études apportent un espoir pour le développement de thérapies des maladies mitochondriales chez l’homme et, donc, pour les malades et leur famille.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient la FRM (Fondation pour la recherche médicale) et l’AFM (Association française contre les myopathies) pour leur soutien financier. Ce travail a été publié dans le cadre du LABEX ANR-11-LABX-0057_MITOCROSS et a bénéficié d’une aide de l’état généré par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir. Les auteurs tiennent également à remercier le Dr Ivan Tarassov, le Dr Caroline Comte et Anne-Marie Heckel, ainsi que l’ensemble des membres de l’équipe « Trafic intracellulaire d’ARN et maladies mitochondriales » de l’UMR 7156. Enfin, nous adressons également nos remerciements aux rapporteurs de cet article pour leurs corrections et leurs judicieux conseils.

 
Footnotes
1 Voir le site de la HFEA : http://www.hfea.gov.uk/9025.html ; Government decision on mitochondria replacement regulations, 22 July 2014.
2 La revue Cochrane est une revue systématique basée sur la compilation et l’analyse rigoureuse d’articles scientifiques et médicaux traitant d’un sujet donné. Elle se base sur une méta-analyse de résumés scientifiques et a pour but d’identifier les pratiques de soin les plus efficaces afin d’apporter une amélioration méthodologique à la recherche biomédicale.
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