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Med Sci (Paris). 2014 March; 30(3): 239–242.
Published online 2014 March 31. doi: 10.1051/medsci/20143003006.

Mécanismes immunologiques impliqués dans la thrombopénie immunologique résistante au rituximab

Sylvain Audia,1* Philippe Saas,2** and Bernard Bonnotte1***

1Inserm UMR 1098, équipe immunorégulation et immunopathologie, service de médecine interne et immunologie clinique, CHU le Bocage, boulevard Maréchal de Lattre de Tassigny, 21000Dijon, France
2Inserm UMR 1098, Établissement français du sang Bourgogne Franche-Comté, LabEX LipSTIC, ANR-11-LABX-0021, 1, boulevard Fleming, BP 1937, 25020Besançon Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Anticorps monoclonaux d'origine murine, immunologie, usage thérapeutique, Cytotoxicité immunologique, physiologie, Résistance aux substances, Humains, Purpura thrombopénique idiopathique, traitement médicamenteux, Rituximab

 

La thrombopénie immunologique, anciennement nommée purpura thrombopénique idiopathique ou PTI, est une maladie auto-immune rare, spécifique d’organe. La thrombopénie qui résulte de cette réponse immunitaire inadaptée entraîne chez environ 70 % des malades des manifestations hémorragiques - purpura pétéchial ou ecchymotique, ou bulles hémorragiques intrabuccales (Figure 1). Ces dernières constituent un signe de gravité pouvant précéder la survenue d’hémorragies graves, comme les hémorragies intracérébrales. L’incidence du PTI est d’environ 2/105 individus/an, avec une prévalence de 10/105. Un traitement est généralement requis lorsque des manifestations hémorragiques sont présentes ou que le nombre de plaquettes est inférieur à 30 giga/l (giga = 109/l). Les traitements de première ligne reposent sur les corticoïdes et les immunoglobulines polyvalentes administrées par voie intraveineuse (IgIV). Utilisés en cures courtes, ils ne permettent qu’une réponse transitoire. Des traitements de seconde ligne sont donc nécessaires, la splénectomie en constituant la pierre angulaire ; elle entraîne une guérison prolongée dans 60 % des cas. D’autres thérapeutiques visant à stimuler la production médullaire des plaquettes sont disponibles, mais ne sont réservées en France qu’aux patients réfractaires, c’est-à-dire pour lesquels la splénectomie a échoué, ou lorsque la chirurgie est contre-indiquée. Bien que ne disposant pas d’une autorisation de mise sur le marché dans cette indication, le rituximab, un anticorps monoclonal chimérique ciblant la molécule CD20 exprimée par les lymphocytes B [ 1], est largement utilisé et permet d’obtenir une réponse à 1 an dans 40 % des cas, qui se maintient chez la moitié des patients à 5 ans, ce qui traduit généralement une guérison [ 2]. Le rituximab est utilisé dans de nombreuses autres maladies auto-immunes ou inflammatoires chroniques [ 3]. La connaissance de ses mécanismes d’action et la compréhension de ses échecs pourraient par analogie être d’une grande aide dans l’analyse de la physiopathologie d’autres maladies auto-immunes. De plus, le PTI est la seule maladie auto-immune pour laquelle la splénectomie est indiquée, ce qui permet d’étudier la réponse immunitaire splénique humaine au cours d’une maladie auto-immune chez des patients qui ont reçu ou non du rituximab.

Bases physiopathologiques du PTI

La baisse du taux de plaquettes résulte de mécanismes intriqués impliquant à la fois leur destruction périphérique et une production médullaire insuffisante [ 4]. Les lymphocytes B jouent un rôle central en produisant des autoanticorps ciblant différentes glycoprotéines exprimées par les plaquettes (GPIIb/IIIa principalement, GPIb/IX et GPIa/IIa). Les plaquettes ainsi opsonisées (c’est-à-dire recouvertes d’autoanticorps), sont alors phagocytées par les macrophages, principalement au niveau de la rate. Par leur fonction de cellules présentatrices d’antigènes, les macrophages spléniques vont également participer à l’activation des lymphocytes T autoréactifs. Ces lymphocytes T CD4+ participent très probablement à la différenciation des lymphocytes B, puisque les anticorps anti-plaquettes sont principalement de type IgG - ce qui traduit une commutation de classe isotypique (IgM/IgG) -, et présentent des mutations somatiques, deux phénomènes dépendant des lymphocytes T CD4. Un déséquilibre de la balance pro-inflammatoire/anti-inflammatoire est également observé au cours du PTI, que reflète une polarisation Th1 des lymphocytes T CD4+ associée à une diminution de la polarisation Th2 et à un déficit quantitatif et/ou fonctionnel des lymphocytes T régulateurs (Treg). De telles anomalies sont également présentes dans la rate, avec un déficit quantitatif en Treg [ 5] et une polarisation Th1 [ 6]. Chez certains patients, les lymphocytes T CD8+ participent également à la destruction des plaquettes. Une activité cytotoxique dirigée contre les plaquettes a été observée in vitro, associée à une augmentation de l’expression de perforine et granzyme, deux protéines impliquées dans les mécanismes de cytotoxicité [ 7].

Associé à la destruction périphérique des plaquettes, un défaut de production médullaire est également impliqué dans le PTI. Il résulte en partie de la réponse auto-immune contre les mégacaryocytes (les précurseurs des plaquettes), médiée à la fois par les autoanticorps et les lymphocytes T cytotoxiques, mais également de l’action de la thrombopoïétine (TPO), dont la concentration est anormalement faible. La TPO, qui constitue le facteur de croissance principal des mégacaryocytes, est produite de façon basale par le foie, sa fraction libre étant régulée à la fois par la masse mégacaryocytaire et par la masse de plaquettes gagnant la circulation sanguine. Ces deux paramètres sont normaux au cours du PTI, la thrombopénie résultant principalement de la diminution de la durée de vie des plaquettes. Les taux de TPO ne sont donc pas augmentés, et la destruction périphérique des plaquettes n’est pas compensée par une augmentation de la production médullaire.

Causes de l’échec du rituximab

L’implication de lymphocytes B autoréactifs dans la physiopathologie du PTI, comme dans celle d’autres maladies auto-immunes, a conduit à l’utilisation d’anticorps monoclonaux thérapeutiques comme le rituximab (dirigé contre l’antigène CD20 exprimé par les lymphocytes B) afin d’entraîner leur déplétion. Cependant, 60 % des patients ayant un PTI ne sont pas améliorés par ce traitement. Les données physiopathologiques et marqueurs prédictifs de réponse ne sont pas encore clairement identifiés, seuls une durée d’évolution courte de la maladie et un jeune âge ayant été associés à une meilleure réponse au rituximab [ 8, 9]. Plusieurs mécanismes pourraient conduire à son inefficacité. Tout d’abord, alors qu’une déplétion complète en lymphocytes B, à la fois sanguine et splénique, est obtenue après rituximab, la proportion de plasmocytes spléniques (cellules différenciées de la lignée B qui synthétisent les immunoglobulines) est accrue chez les sujets non répondeurs [5]. N’exprimant que faiblement le CD20, les plasmocytes de longue durée de vie représentent la population lymphocytaire B splénique résiduelle chez les patients en échec de rituximab [ 10]. Sécrétant des anticorps anti-plaquettes, ils participent au maintien de l’activité de la maladie (Figure 2).

D’autre part, le déséquilibre de la balance pro-inflammatoire/anti-inflammatoire représentée par le rapport entre lymphocytes T CD4+ Th1 et Treg [5] favorise probablement l’activation des lymphocytes T CD8+ spléniques. En effet, chez les patients en échec de rituximab, la proportion de lymphocytes T CD8spléniques exprimant un phénotype effecteur mémoire CD27-CD28-CD62L-CCR7- est accrue. Par ailleurs, ceux-ci expriment fortement la protéine cytotoxique granzyme B et la cytokine pro-inflammatoire IFN-γ (interféron γ) (Figure 3B) [6]. Enfin, la restriction de la diversité de leur TCR (T cell receptor) témoigne de la reconnaissance privilégiée de certains antigènes qui, dans ce contexte, sont probablement d’origine plaquettaire, bien que cela reste à démontrer (Figure 3B). Ainsi, l’ensemble de ces résultats constituent un argument fort pour l’implication des lymphocytes T CD8+ spléniques dans la destruction périphérique des plaquettes, en particulier chez les patients qui ne répondent pas au rituximab. Cette cytotoxicité contre les plaquettes, démontrée avec des lymphocytes T CD8+ sanguins [7], pourrait avoir lieu préférentiellement dans la rate, notamment au sein de la pulpe rouge où le contact étroit - nécessaire aux effecteurs lymphocytaires T CD8+ pour exercer leur cytotoxicité sur leur cible plaquettaire - est possible. Ainsi, l’échec du rituximab pourrait être expliqué par une maladie plutôt dépendante des lymphocytes T CD8+ (Figure 2). Le PTI, comme probablement d’autres maladies auto-immunes, pourrait donc être une maladie hétérogène, conséquence de deux mécanismes physiopathologiques différents : soit une réponse B anticorps prédominante, soit une réponse T CD8+ prépondérante. Cependant, ces nouvelles connaissances physiopathologiques, acquises grâce à l’étude de la réponse immunitaire splénique, n’ont pas permis pour l’instant de déterminer de nouveaux marqueurs prédictifs de la réponse à ce traitement. En effet, l’analyse de la polarisation des lymphocytes T cytotoxiques circulants et l’expression de granzyme B avant traitement ne permettent pas de distinguer les patients répondeurs des non répondeurs, ce qui témoigne de la localisation préférentiellement splénique de la réponse immunitaire auto-immune au cours du PTI.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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Audia S , Samson M , Mahevas M , et al. Preferential splenic CD8+ T cell activation in rituximab-non-responder patients with immune thrombocytopenia . Blood. 2013; ; 122 : :2477.–2486.
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