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Med Sci (Paris). 2014 November; 30: 18–22.
Published online 2014 November 17. doi: 10.1051/medsci/201430s204.

Étude Millennia2015 « Femmes et eSanté 2010–2012 »
Réseaux et technologies innovantes

Véronique Inès Thouvenot1* and Kristie Holmes2**

1Fondation Millennia2025, Institut Destrée, 9, avenue Louis Huart, 5000Namur, Wallonie, Belgique
2University of Southern California, School of social work, MRF226, Los Angeles, California, États-Unis
Corresponding author.
 

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Millennia2015, un réseau mondial unique de chercheurs bénévoles en recherche prospective

Millennia20151 est une initiative de l’Institut européen de recherche Jules Destrée, une organisation non gouvernementale (ONG) située à Namur (Belgique), en relation officielle avec l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture (UNESCO)sous statut de consultation, et sous statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC).

Millennia2015 est un processus de recherche prospective qui a pour objectif d’agir pour l’égalité des genres, l’autonomisation des femmes et leur pleine participation aux décisions politiques, économiques et sociales, en complémentarité avec les hommes. Ce projet a pour but de construire des futurs plus justes et plus éthiques à l’horizon 2015 dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement 2015 (OMD)2,, et, au-delà, avec la Fondation Millennia20253. Ce processus s’appuie sur la solidarité digitale à travers la création d’une communauté mondiale, et est organisé en trois étapes et conférences internationales : Liège 2008 « transfert d’informations », Paris UNESCO 2012 « base de connaissances », et New York 2017 « plate-forme d’intelligence ». La communauté Millennia2015 est en développement continu depuis 2008 et compte 3 827 membres actifs bénévoles et 10 299 contacts dans 140 pays en février 2014.

L’étude des résultats de l’étape « transfert d’informations » organisée à Liège en 2008 a permis d’identifier 37 domaines (appelés variables4) dans lesquels la participation des femmes reste limitée, et requiert le renforcement de leurs capacités à travers la solidarité digitale. Citons parmi ces domaines l’accès au savoir, les situations de conflits et de guerres touchant les femmes, les religions et l’obscurantisme, la diversité culturelle et linguistique, l’éthique, la pauvreté, les discriminations, le travail féminin, la gouvernance ou la solidarité.

Afin de créer la « base de connaissances », un exercice de prospective comprenant huit questions principales et huit questions subsidiaires a été mis en ligne en juillet 2010 et ouvert à tous les membres du réseau5,. Les réponses de ces membres constituent la « base de connaissances » de Millennia2015, un outil évolutif qui inclut toutes les ressources liées à l’exercice de prospective et aux 37 variables. Ces réponses ont permis de construire le plan d’action de Millennia2015 pour l’autonomisation des femmes, présenté par Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, le 4 décembre 2012 lors de la conférence internationale Millennia2015 à Paris6. À ce jour, le portail compte 3 192 pages en quatre langues (français, anglais, espagnol et allemand) et constitue la base de la « plate-forme d’intelligence » de Millennia2015.

Parmi les 37 variables, la variable V08 s’intitule « Femmes et eSanté : la connaissance médicale en réseau au bénéfice de tous » et porte sur le renforcement des capacités des femmes à accéder et utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour la santé.(Figure 1)

WeHealth : un réseau innovant sur le thème « médecine personnalisée pour les femmes et eSanté »

Chaque variable peut bénéficier, sur la base du volontariat, d’apports et d’études complémentaires par la création de groupes internationaux de travail (GTI). Depuis août 2010, c’est le cas pour la variable V087,. Sous la coordination de Véronique Thouvenot, expert international en eSanté auprès des Nations Unies, et de Kristie Holmes, professeure associée à l’université de Los Angeles (États-Unis), leGTI « Women and eHealth » ou WeHealth8, comprend 1 060 membres dans 70 pays en février 2014. Il a mené une étude globale afin de mieux connaître comment les femmes peuvent accéder et utiliser les TIC pour la santé et une médecine personnalisée. Cette étude a obtenu l’aval de l’institutional review board (IRB) de l’Union University (Tennessee, États-Unis, protocole 912 00589 approuvé le 21 septembre 20129,). Les témoignages et idées collectés au sein du groupe et lors de l’exercice de prospective ont permis d’élaborer des scénario set des plans d’actions concrets pour les communautés locales de Millennia201510,, coordonnés au sein de la Fondation Millennia202511.(Figure 2)

L’étude Millennia2015 Femmes et eSanté2010-2012

Encore peu étudié, le domaine concernant les femmes et la eSanté n’apparaît pas dans les publications récentes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [ 1, 2] et de l’Union internationale des télécommunications (UIT) [ 3]. Pendant deux ans, le réseau WeHealth, composé de plus de 600 membres dans 65 pays, a contribué à la collecte des informations disponibles postérieures à 2005, sous forme d’articles, de rapports, de publications, de sites internet, de reportages et d’entretiens qui concernent trois domaines : les femmes, la santé et les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Un guide de collecte des informations en trois langues (anglais, français, espagnol) est élaboré par le comité scientifique et mis à la disposition des membres ; il propose une liste de mots clés et de définitions pour les trois domaines mentionnés ci-dessus12. Un questionnaire de 10 questions en trois langues permet de mener des entretiens au niveau des communautés locales de femmes.

Les informations collectées représentent 2 137 alertes web, 152 rapports, articles ou publications (dont 99 sélectionnés pour l’étude13,), 36 sites internet, 97 entretiens et plus de 800 courriels envoyés par les membres. Leur analyse a abouti à l’élaboration de 14 points clés présentés à la conférence internationale MEDETEL à Luxembourg le 13 avril 201314, ; ces points énoncent les obstacles, les défis, les solutions et les nouvelles tendances pour l’accès des femmes aux TIC pour la santé15. Le manque d’infrastructures, d’accès à l’éducation et à l’information de santé, ainsi que le coût des équipements, constituent autant d’obstacles pour les femmes, en particulier dans les zones isolées ou dévastées par des désastres naturels ou des conflits. Des solutions locales existent pour produire de l’électricité et établir une connexion internet. Les tendances nouvelles incluent le haut débit, le cloudcomputing, et l’émergence de très jeunes développeurs d’applications en ligne souvent gratuites. Enfin, la télémédecine est citée comme un secteur dans lequel trop peu de femmes sont impliquées comme médecins spécialistes.

WeTelemed : le réseau global des femmes en télémédecine

Au vu des résultats de l’étude Femmes et eSanté, le réseau global des femmes en télémédecine a été créé. Il est constitué de membres volontaires qui souhaitent échanger des expériences et informations sur la télémédecine afin de renforcer leurs compétences et stimuler l’implication des femmes.

WeTelemed16 se situe à l’intersection des trois domaines : les femmes, le soin médical, et les TIC.

Parmi les témoignages collectés pendant l’étude Femmes et eSanté, nombreux sont ceux qui expriment le manque de femmes dans ce secteur, surtout au niveau médical. Les femmes, comme patientes, apprécient les services rendus par la télémédecine dans le domaine d’une médecine personnalisée, sous la forme de diagnostics spécialisés par exemple, mais regrettent le nombre limité de femmes agissant comme professionnels de la santé dans ce domaine. C’est un frein particulièrement dans certaines spécialités : gynécologie, obstétrique et domaine de la reproduction, voire dermatologie, et ce, au Moyen-Orient, en Amérique centrale et latine, en Asie et en Afrique.

Le réseau WeTelemed permet de partager les expériences entre femmes sur la télémédecine. Par exemple, une jeune femme médecin neurologue, installée dans une clinique privée dans le sud du Japon, témoigne que bien que formée à la pratique de la télémédecine en neurochirurgie, elle ne peut pas procéder à des interventions directes sur les patients. Elle est reléguée à un rôle passif d’examen des clichés produits par les services d’imagerie médicale. Cela génère pour elle des frustrations importantes, et elle a récemment décidé de quitter cet établissement pour s’investir dans un projet local de soutien médical aux populations immigrées venues au Japon pour travailler dans le secteur industriel.

Un autre membre, en Argentine, nous informe qu’il existe un projet de développement d’un centre local en télé-oncologie soutenu par une université américaine, mais dont le rayon d’action reste tout à fait limité. Il lui semble évident que, dans un pays aussi grand, la télémédecine pourrait offrir un ensemble de services pour le contrôle des maladies à haute prévalence ou nécessitant des soins spécialisés.

Un troisième témoignage décrit les difficultés de diagnostic de la leishmaniose dans la région du Chiapas au Mexique. Cette zone, peu accessible, est habitée par plusieurs communautés isolées dont certains membres souffrent des atteintes de cette maladie sans pouvoir recevoir les traitements adéquats. Un réseau de télémédecine permettrait d’accélérer le diagnostic par des médecins spécialisés à distance et de former des personnels sanitaires sur place pour assurer le suivi des traitements. Les femmes médecins ont un rôle clé dans ce type de situation car elles sont à même de convaincre les populations indigènes d’accepter des traitements différents et complémentaires à leur médecine traditionnelle.

Au Guatemala, l’ONG TulaSalud, dans la région de l’Altaverapaz, forme des professionnels de la santé à la télémédecine ; le service central se trouve à l’hôpital de Coban17. Les objectifs comprennent la mise en Ĺ“uvre du diagnostic médical à distance et l’amélioration de l’accès aux soins en termes d’équité et de genre pour les populations indigènes et rurales. De septembre à décembre 2010, 446 consultations ont été réalisées à distance, dont 307 pour des femmes, surtout en gynécologie-obstétrique (194 consultations). Des données désagrégées par genre seront disponibles fin 2014. Ce projet est en voie d’extension dans plusieurs régions du Guatemala.

Tous ces témoignages soulignent de façon récurrente le manque de femmes médecins formées à la télémédecine, surtout dans les domaines de la santé maternelle et infantile, de la gynécologie et de l’obstétrique. La collecte d’informations auprès des membres de WeTelemed, dont le nombre augmente tous les mois, continue et permettra d’affiner ces réflexions préliminaires. Le rapport d’activité 2012-2013 détaille les activités en cours et celles à venir en 2014-201518. Des cours en ligne sont disponibles pour les membres, en français et espagnol.

Ce réseau très actif et innovant constitue une source permanente d’échanges sur des technologies innovantes, des formations en ligne et des solutions dans le but d’engager plus de femmes dans le domaine de la télémédecine.

Un réseau pour des technologies innovantes : l’Observatoire des femmes et de la eSanté, le WeObservatory

Comme WeTelemed, « l’Observatoire19 » est la suite logique des résultats de l’étude Femmes et eSanté. Il est nécessaire de pouvoir rassembler des informations sur le sujet comme des projets, des cours en ligne ouverts à tous (MOOC, massive open online course) et des applications innovantes.

Depuis avril 2013, date de son lancement à Medetel, l’Observatoire rassemble des projets innovants20,susceptibles d’offrir des solutions eSanté pour les femmes ainsi qu’une meilleure visibilité dans des conférences et publications internationales ; 30 MOOC21,en anglais et huit cours en ligne en français sont ouverts à tous22.

  • L’étude Femmes et eSanté souligne le rôle des radios, qui, dans bien des cas, représentent le moyen privilégié qu’ont les femmes d’accéder aux informations de santé. Le projet « Radio Podcast » à Manille (Philippines), a pour objectif d’ouvrir le réseau des radios aux infirmières philippines travaillant dans le pays et à celles qui ont émigré. Cela leur permettra de continuer à échanger dans leur langue à propos de leurs expériences et d’améliorer leurs compétences. Par exemple, lors du passage du typhon Hayian qui a dévasté le pays récemment, des fonds d’urgence ont permis de délivrer des kits aux femmes enceintes. Une formation en ligne via les radios est en cours afin de permettre aux femmes enceintes d’être mieux préparées à affronter les désastres naturels qui surviennent à répétition dans ce pays. Ainsi, la radio constitue encore un outil de communication efficace et apprécié des femmes.
  • VIH-TAVIE (VIH [virus de l’immunodéficience humaine] - traitement, assistance virtuelle infirmière et enseignement) est un autre projet innovant développé au centre hospitalier universitaire de Montréal (Canada). VIH-TAVIE est une application interactive Web, qui met en scène une infirmière virtuelle personnalisée et accessible à tout moment pour aider les patients infectés par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) dans la gestion quotidienne de leur traitement antirétroviral. VIH-TAVIE offre quatre séances interactives via l’ordinateur (en français ou en anglais), d’une durée de 20 à 30 minutes chacune, animées par une infirmière virtuelle qui guide le patient dans un processus d’apprentissage d’habiletés d’autogestion de la prise des médicaments, d’habiletés motivationnelles, d’auto-observation, de résolution de problèmes, de régulation des émotions et d’habiletés sociales. Les recherches menées récemment montrent l’efficacité des vidéos dans l’adhésion au traitement et le suivi23 ; des vidéos VIH-TAVIE-Femmes enrichiront l’application en proposant des adaptations spécifiques pour les femmes enceintes ou atteintes de cancer.
  • Les téléphones portables deviennent de véritables assistants de santé, offrant des applications aux professionnels de la santé comme iPansement24. Cette plate-forme multiservices est destinée aux professionnels de la santé et est entièrement dédiée au domaine plaies et cicatrisation ; l’accès se fait par de multiples supports (PC, tablettes, smartphones) et apporte une aide au diagnostic, du stade de la plaie au choix du dispositif de soin. Lancée il y a dix mois, l’application a été téléchargée plus de 18 000 fois et primée dernièrement par la revue Infirmier.com.

Dès avril 2014, l’Observatoire va proposer deux applications répondant aux besoins de multilinguisme des professionnels de la santé avec Universal women et Universal nurses en accès multi-supports (ordinateurs, tablettes, smartphones)25.

Conclusion

L’étude Millennia2015 Femmes et eSanté a mis en exergue un ensemble de barrières, de solutions et de tendances émergentes dans le domaine de l’eSanté pour et par les femmes. Les réseaux WeHealth, WeTelemed et WeObservatoryde la fondation Millennia2025 constituent de véritables pépinières d’innovations, qui alimentent des projets et solutions technologiques innovantes répondant à des besoins encore peu étudiés pour une médecine personnalisée dans le domaine des femmes et de l’eSanté.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
8 Femmes et eSanté se traduit en anglais par Women and eHealth, et le groupe international de travail a pour dénomination officielle WeHealth.
10 www.millennia2015.org/organisation – Les communautés locales de Millennia2015 sont situées au Bangladesh, Benin, Djibouti, Goma-République démocratique du Congo, Guatemala, Inde, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Île Maurice, Népal, Sénégal. Nigéria et Cameroun. Elles ont pour mission de renforcer les capacités des femmes à travers la solidarité digitale dans les communautés locales.
References
1.
World health organization . Atlas – eHealth country profiles . Global observatory for eHealth; , volume 1, WHO, 2010;.
2.
World health organization . Telemedicine - Opportunities and developments in member states . Global observatory for eHealth series; , volume 2, WHO, 2011;.
3.
International telecommunication union . ICT for improving information and accountability for women’s and children’s health . Report, ITU; , 2013.