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Med Sci (Paris). 2013 October; 29(10): 839–842.
Published online 2013 October 18. doi: 10.1051/medsci/20132910009.

Régulation de l’autophagie par la leucine
Sur la piste de la glutamate déshydrogénase

Séverine Lorin1*

1EA4530, faculté de pharmacie, université Paris-Sud, 5, rue Jean-Baptiste Clément, 92290Châtenay-Malabry, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Autophagie, physiologie, Glutamate dehydrogenase, métabolisme, Glutamine, Humains, Leucine, Modèles biologiques, Complexes multiprotéiques, Tumeurs, Espèces réactives de l'oxygène, Transduction du signal, Sérine-thréonine kinases TOR

Aperçu du rôle de l’autophagie et de sa régulation

La (macro)autophagie est la voie principale de dégradation du matériel cytoplasmique intracellulaire [ 1]. Ce processus, sous le contrôle des gènes de la famille ATG (autophagy-related gene), conduit à la formation de vacuoles appelées autophagosomes qui séquestrent du matériel cytoplasmique, puis fusionnent avec les lysosomes pour dégrader leur contenu et le recycler (Figure 1). Au niveau basal, l’autophagie est un mécanisme clé qui permet la dégradation de protéines et d’organites excédentaires ou endommagés, afin d’assurer un contrôle de qualité du cytoplasme et de contribuer à l’homéostasie cellulaire. Mais l’autophagie peut aussi être stimulée en conditions de stress métabolique pour fournir les nutriments et l’énergie nécessaires à la survie cellulaire.

Ainsi, en conditions de carence nutritionnelle, les acides aminés produits par la protéolyse autophagique sont recyclés, permettant la production d’ATP afin d’assurer la survie cellulaire. Mais ces acides aminés exercent aussi un rétrocontrôle négatif sur l’autophagie, évitant tout emballement délétère de la machinerie autophagique. Outre les acides aminés, l’autophagie est régulée par différents paramètres cellulaires comme le niveau d’énergie, de facteurs de croissance ou de radicaux libres. La plupart de ces signaux convergent vers un acteur central de la régulation de l’autophagie, le complexe MTORC1 (mechanistic target of rapamycin complex 1), constitué de la kinase à sérine thréonine MTOR et de divers partenaires protéiques. Pour être actif, ce complexe doit se localiser à la surface du lysosome où se trouve son coactivateur Rheb (Ras homolog enriched in brain)-GTP, et ce processus est étroitement régulé par les GTPases Rag (Ras-related GTPases) (Figure 2). Une fois activé, le complexe MTORC1 inhibe l’autophagie et augmente la synthèse protéique et la croissance cellulaire.

À la recherche du senseur intracellulaire des acides aminés régulant l’autophagie : la glutamate déshydrogénase

Depuis la découverte du contrôle de l’autophagie par les acides aminés dans les années 1980, la nature du senseur intracellulaire responsable de cette régulation est restée une énigme. Parmi l’ensemble des acides aminés, la leucine (et non la valine et l’isoleucine, autres acides aminés branchés) semble avoir une place particulière puisque c’est elle qui inhibe le plus efficacement l’autophagie, notamment via l’activation de MTORC1. Par ailleurs, des analogues non métabolisables sont capables de reproduire ses effets, suggérant que la leucine n’a pas besoin d’être métabolisée pour inhiber l’autophagie. Tout mécanisme envisagé dans la recherche de ce fameux senseur intracellulaire devait donc prendre en compte cette haute spécificité de la leucine dans la régulation de l’autophagie par les acides aminés.

Plusieurs arguments nous ont conduits à envisager l’implication de la glutamate déshydrogénase GLUD1 dans ce mécanisme. GLUD1 est une enzyme centrale du métabolisme des acides aminés, responsable de la déshydrogénation du glutamate en α-cétoglutarate (α-KG) dans la mitochondrie. De façon intéressante, la leucine est un activateur allostérique de cette enzyme [ 2]. Par ailleurs, l’ajout de glutamine (un donneur de glutamate) et de leucine conduit à l’augmentation du flux métabolique à travers la réaction catalysée par GLUD1, à l’activation de MTORC1 et à l’inhibition de l’autophagie [ 3]. Sur la base de ces observations, nous avons décidé d’étudier plus avant le rôle de GLUD1. Nous avons ainsi montré que GLUD1 constitue bien ce senseur moléculaire du taux de leucine intracellulaire régulant l’autophagie, GLUD1 étant indispensable pour inhiber l’autophagie en présence de leucine [ 4].

Les mécanismes moléculaires mis en jeu dans cette régulation sont de deux types (Figure 2). D’une part, GLUD1 contrôle le taux de radicaux libres (ROS), des activateurs bien connus de l’autophagie. Produits majoritairement au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale, ils permettent l’induction de l’autophagie par la carence nutritionnelle en augmentant l’état d’oxydoréduction d’ATG4B, une protéine impliquée dans la formation des autophagosomes [ 5]. Lors de la déshydrogénation du glutamate en α-KG, GLUD1 génère un puissant anti-oxydant, le NADPH, qui pourrait être utilisé pour diminuer le taux de ROS via le système glutathion/glutathion réductase et/ou limiter la production de ROS au niveau du complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale (via la Nnt [nicotinamide nucleotide transhydrogenase]) [ 6]. D’autre part, GLUD1 contrôle l’autophagie en activant MTORC1 par divers mécanismes impliquant l’α-KG (Figure 2). En effet, après « métabolisation » par le cycle de Krebs, l’α-KG libère du GTP et de l’ATP. Le GTP est utilisé pour activer Rag [ 7], mais il est aussi utilisé pour activer Rheb, tandis que l’ATP inhibe l’AMPK (AMP kinase). L’α-KG stimule aussi MTORC1 par l’activation des prolyl hydroxylases (PHD) [ 8].

Autres mécanismes mis en évidence

Parallèlement à ce travail, deux autres mécanismes permettant de réguler l’autophagie en réponse au taux d’acides aminés disponibles ont été mis en évidence. Le premier met en jeu la v-ATPase du lysosome, organite où s’effectue l’étape ultime de la protéolyse autophagique [ 9]. Impliquée dans le pompage des protons H+ à travers la membrane lysosomale, cette enzyme agit comme un senseur de la concentration intralysosomale en acides aminés et régule l’activité de MTORC1 (Figure 2). En effet, suite à l’augmentation de la concentration en acides aminés dans la lumière du lysosome, la v-ATPase change de conformation et recrute Ragulator à la surface du lysosome. Cette protéine, en jouant le rôle de GEF (GTP exchange factor) envers l’une des sous-unités de la GTPase Rag, permet son ancrage au lysosome, le recrutement consécutif de MTORC1 et l’inhibition de l’autophagie. Le second mécanisme implique la leucyl-ARNt synthétase (LARS) (Figure 2) [ 10]. Connue pour être impliquée dans le chargement de la leucine sur l’ARNt correspondant, cette enzyme peut aussi jouer le rôle de senseur du taux de leucine cytosolique. En effet, la liaison de la leucine à LARS lui confère une nouvelle propriété : elle devient une GAP (GTPase activating protein) de la GTPase Rag, permettant l’hydrolyse du GTP sur l’une de ses sous-unités et son activation. Comme précédemment, Rag conduit à l’activation du complexe MTORC1 et à l’inhibition de l’autophagie.

Pour conclure

À l’heure actuelle, trois mécanismes ont été identifiés comme impliqués dans la régulation de l’autophagie en réponse au taux d’acides aminés intracellulaires : tous trois conduisent à l’activation de MTORC1 et deux d’entre eux ciblent spécifiquement la leucine. L’une des questions intéressantes à explorer est maintenant de déterminer comment ces différents mécanismes s’organisent les uns par rapport aux autres : sont-ils indépendants ou bien sont-ils reliés ? Il est notamment possible d’envisager que la v-ATPase et/ou LARS soient inhibées par les ROS, ce qui situerait GLUD1 en amont de ces deux voies de régulation, le NAPDH produit par GLUD1 (après exportation de la mitochondrie par la navette isocitrate/α-KG) pouvant diminuer leur taux d’oxydation (Figure 2).

Tous ces travaux mettent en évidence un lien étroit entre métabolisme cellulaire et signalisation, et ouvrent la porte à de nouvelles perspectives thérapeutiques. En effet, MTORC1 est surexprimé dans de nombreux cancers, et les cellules cancéreuses sont extrêmement dépendantes de la glutamine, bien au-delà de leurs besoins énergétiques. Dans les cellules cancéreuses, la glutamine (transformée en glutamate, puis en α-KG et NADPH par la glutaminolyse) permettrait une activation optimale de MTORC1 dans le but d’assurer une croissance tumorale soutenue. En parallèle, l’inhibition de l’autophagie par MTORC1 éviterait toute surproduction inutile d’énergie [8]. Ainsi, cibler l’inhibition de MTORC1 par la rapamycine et/ou la glutaminolyse pourrait être une stratégie anticancéreuse prometteuse.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail a été soutenu financièrement par l’Inserm. Je tiens tout particulièrement à remercier P. Codogno et A.J. Meijer, à qui revient la paternité de ce projet, pour leur soutien et leurs conseils tout au long de ce travail.

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