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Med Sci (Paris). 2013 October; 29(10): 819–820.
Published online 2013 October 18. doi: 10.1051/medsci/20132910001.

La prématurité

Pierre-Henri Jarreau1*

1Professeur des universités-praticien hospitalier, Université; Paris Descartes, faculté; de médecine, Fondation premUP; Inserm U676, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Service de médecine et réanimation néonatales de Port-Royal, Hôpitaux universitaires Paris Centre, site Cochin 53, avenue de l'Observatoire, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Comorbidité, Femelle, Maturité foetale, physiologie, France, épidémiologie, Âge gestationnel, Humains, Nouveau-né, Soins intensifs néonatals, méthodes, Accouchement provoqué, effets indésirables, statistiques et données numériques, Grossesse, Naissance prématurée, classification, étiologie, thérapie, Terminologie comme sujet, États-Unis d'Amérique

 

Une partie de ce numéro de médecine/sciences est consacrée à la prématurité, vaste sujet, peu ou mal connu en dehors des milieux spécialisés.

Tout nouveau-né est caractérisé par son « âge gestationnel » ou « terme », qui correspond à la durée de la grossesse. Les médecins parlent habituellement en semaines écoulées depuis la date des dernières règles (semaines d’aménorrhée, SA), alors que les familles parlent plutôt en mois de grossesse, qui correspondent au nombre de mois écoulés depuis la date présumée de la fécondation (soit deux semaines de moins que le mode d’expression en SA). Une naissance est définie comme prématurée dans l’espèce humaine si elle survient avant 37 SA, soit à peu près 8 mois de grossesse. Dans la prématurité, on distingue la prématurité moyenne ou modérée (de 32 à 36 SA), la grande prématurité (avant 32 SA) et la très grande - ou extrême - prématurité (avant 28 SA).

La prématurité concerne actuellement en France 7,5 % des naissances, soit environ 60 000 par an. Ce taux est en augmentation depuis une vingtaine d’années : il était de 5,9 % en 1995. Cela est observé dans d’autres pays développés : ainsi, aux États-Unis, le taux de prématurité a augmenté de 30 % depuis 1981. Ce taux est lié pour partie à la prématurité induite (c’est-à-dire décidée médicalement pour traiter la mère ou l’enfant), aux naissances multiples (notamment après procréation médicalement assistée), et à l’élévation progressive de l’âge de la maternité. La précarité apparaît également comme un facteur de risque [ 1].

Des progrès importants dans la prise en charge des prématurés ont été réalisés ces 20 dernières années : certains sont purement médicaux, d’autres résultent d’une meilleure organisation des soins. Citons ainsi : le transfert des femmes à haut risque d’accouchement prématuré dans des maternités adaptées (de type 3 pour les grands prématurés, c’est-à-dire intégrant un service de réanimation néonatale), qui permettent une prise en charge immédiate des enfants dès leur naissance, leur évitant un transport dont on sait qu’il est délétère pour leur pronostic ; l’utilisation d’une corticothérapie anténatale, qui a pour but d’accélérer la maturation pulmonaire, mais diminue aussi considérablement la mortalité et les conséquences neurologiques d’une naissance prématurée ; le recours au surfactant exogène pour traiter la maladie des membranes hyalines ; l’amélioration de la prise en charge respiratoire et nutritionnelle ; une meilleure appréciation de l’état cérébral, grâce à des techniques d’imagerie de plus en plus fines. Ces progrès, et de nombreux autres, ont abouti à une augmentation importante de la survie des prématurés, en particulier au-delà de 28 semaines d’aménorrhée, et à une diminution des morbidités, néonatale et ultérieure.

Le mot de prématurité résume les problèmes rencontrés par ces enfants : immaturité de l’ensemble de leurs organes, à la fois anatomique (les organes sont incomplètement formés) et fonctionnelle (ils n’assurent pas encore leurs fonctions normales). C’est la mise en situation anormale (trop précoce) des organes immatures qui nécessite une prise en charge spécialisée, tant sur le plan médical qu’infirmier, visant à suppléer les fonctions vitales défaillantes, et qui est responsable d’anomalies ultérieures du développement. Ces organes immatures sont en effet sollicités pour des fonctions qu’ils ne sont pas encore prêts à assurer. C’est pourquoi, les recherches induites par la prématurité sont essentiellement liées au développement normal ou pathologique des organes. Cela est illustré dans ce numéro par des articles sur les développements cérébral et pulmonaire, principaux organes touchés par l’apparition de séquelles ultérieures [ 25] ().

(→) Voir pages 821 à 831 dans ce numéro

Les recherches fondamentales actuellement en cours, en particulier celles qui portent sur les facteurs impliqués dans le développement de ces organes, permettent d’espérer, dans un avenir encore lointain, que l’utilisation de facteurs de croissance ou neuroprotecteurs puisse améliorer le pronostic de ces enfants. Mais, au-delà de l’analyse biologique fine de ces processus, la prise en charge globale est susceptible d’influer sur ce pronostic.

La vie de l’enfant prématuré dans les premières semaines ou premiers mois de vie est difficile. Retiré d’un milieu adapté à son état de fœtus, le milieu utérin - un milieu protecteur liquidien dont la température est parfaitement régulée et qui apporte une stimulation sensorielle limitée - la naissance précoce plonge le prématuré, à un moment où il n’est pas physiologiquement prêt, dans un milieu inadapté. La prise en compte de ces faits est essentielle dans la prise en charge de ces enfants. Si le prématuré ressent la douleur, c’est une observation attentive et patiente par un personnel soignant expérimenté qui permet de l’évaluer et d’y répondre par un traitement adapté. Les stimulations sensorielles (bruit, lumière) doivent être limitées ou évitées. L’enfant doit autant que possible n’être dérangé que lorsque cela est nécessaire, afin de lui laisser de longues plages de repos. Enfin, son installation doit être réfléchie pour lui éviter en permanence des positions inconfortables ou non physiologiques. L’ensemble de cette prise en charge, connue sous le nom de « soins de confort et développement » sera probablement l’un des facteurs décisifs pour l’amélioration du pronostic neurologique et développemental à long terme, d’autant qu’elle y implique plus les parents, favorisant l’établissement d’une relation parents-enfant plus harmonieuse.

Parfois, l’avenir est compromis par des altérations graves. Celles-ci concernent surtout les plus grands prématurés. Jusqu’où aller dans la préservation de la vie ? Quel handicap, quel degré de handicap, quelle séquelle définitive accepter ou ne pas accepter ? À partir de quand la réanimation d’un nouveau‑né n’a-t-elle plus de sens si l’avenir prévisible qui lui est offert est celui d’un handicap lourd, douloureux, ou qui semble insupportable ? Au-delà d’un aspect purement technique, c’est là que résident le véritable enjeu, les véritables questions posées par la prise en charge médicale du prématuré. Sans réponse absolue ou définitive.

Lorsque la période néonatale est passée, un nouvel écueil apparaît : la stigmatisation de l’ancien prématuré comme « probablement » porteur de séquelles. Cela tient en partie à la manière dont ce sujet est traité dans les médias grand public qui, pour aller au plus spectaculaire, traitent essentiellement de la prise en charge des grands prématurés. Ce sont pourtant plusieurs dizaines de milliers d’enfants qui naissent prématurés chaque année et la majorité d’entre eux se développera normalement…, pour peu qu’on leur fasse confiance et que l’on n’attribue pas systématiquement à leur terme de naissance les difficultés auxquelles ils pourront être confrontés au cours de leur développement, comme beaucoup d’autres nés à terme. Cela ne signifie pas que le suivi post-natal, jusqu’à au moins 6 ans, ne soit pas fondamental. Il permet une prise en charge adaptée si des anomalies neurologiques ou du développement apparaissent. Combiné à la recherche épidémiologique sur de grandes cohortes, comme Epipage 2 en France, ce suivi aide les cliniciens à évaluer leurs résultats à long terme et à faire émerger de nouvelles voies de recherche.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec les données publiées dans cet article.

References
1.
Vilain A , Gonzales L , Rey S , et al. Surveillance de la grossesse en 2010 : des inégalités socio-démographiques . DREES études et Résultats. 2013; ; n° 848 : :1.–6.
2.
Hadchouel A , Delacourt C . Dysplasie bronchopulmonaire et génétique . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :821.–823.
3.
Lopez E , Jarreau PH . Inflammation et dysplasie bronchopulmonaire . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :823.–825.
4.
Zana-Taïeb E , Jarreau PH . Retard de croissance intra-utérin et dysplasie broncho-pulmonaire . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :826.–828.
5.
Rousseau F , Girard N . à propos du développement cérébral des prématurés . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :928.–931.