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Med Sci (Paris). 2013 May; 29(5): 473–477.
Published online 2013 May 28. doi: 10.1051/medsci/2013295010.

Dépression et régulation de l’activité dopaminergique

Vincent Vialou1,2,3*

1Inserm, UMRS 952, Paris, France
2CNRS, UMR, 7224, Paris, France
3UPMC, Laboratoire physiopathologie des maladies du système nerveux central, 9, quai Saint-Bernard, bâtiment B, 75005Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Dépression, étiologie, Humains, Système limbique, physiologie, Motivation, Neurones, Récepteurs dopaminergiques

 

Un rôle majeur des neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale est de développer la motivation et d’engendrer des comportements adaptés en fonction de l’état physiologique de l’individu face aux changements de l’environnement. En projetant presque exclusivement vers le système limbique, c’est-à-dire le cortex préfrontal, l’amygdale, l’hippocampe et le noyau accumbens (NAc), ces neurones modulent la valence émotionnelle1, l’attention et l’apprentissage associés à un évènement nouveau. De nombreuses études ont montré qu’au-delà des stimulus plaisants, les stimulus aversifs peuvent aussi changer l’activité des neurones dopaminergiques. Une expérience stressante ou aversive peut causer des activations ou des inhibitions des neurones dopaminergiques et/ou des changements du taux de dopamine libérée dans les régions de projections [ 13]. Les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale représentent donc une population hétérogène qui peut coder aussi bien la récompense que l’aversion. Or, l’exposition à un stress répété ou chronique est un facteur de risque pour le développement de troubles psychiatriques tels que la dépression ou le syndrome de stress post-traumatique. Mais le rôle des neurones dopaminergiques dans l’apparition des symptômes induits par le stress chronique reste encore inconnu.

Rôle des neurones dopaminergiques dans la réponse au stress
Neurones dopaminergiques et réponse à un stress chronique imprévisible
L’équipe dirigée par K. Deisseroth à l’université de Stanford (Stanford, États-Unis) a montré un effet instantané et réversible de l’inhibition des neurones dopaminergiques sur la motivation et la sensibilité aux stimulus naturels [ 4]. Chez ces souris, non stressées, le temps d’immobilité dans le test de suspension par la queue (interprété comme une résignation) est augmenté (diminution des tentatives d’échappement), et le test de préférence au sucrose révèle une anhédonie (incapacité à éprouver du plaisir). Pour tester l’hypothèse selon laquelle cette inhibition serait la cause des syndromes dépressifs, les auteurs ont utilisé une approche complémentaire consistant à activer de manière phasique les neurones dopaminergiques de souris soumises à un stress modéré chronique et imprévisible. Pour cela, ils ont injecté un virus AAV (adeno-associated virus) portant la séquence ADNc de la rhodopsine flanquée de sites Lox directement dans l’aire tegmentale ventrale de souris transgéniques TH:Cre, dont seuls les neurones catécholaminergiques (synthétisant la tyrosine hydroxylase, TH) - incluant les neurones à dopamine -, expriment la recombinase Cre (Figure 1A, B). Les rhodopsines regroupent différents canaux membranaires ioniques sensibles à une lumière émettant une longueur d’onde particulière, ce qui permet la dépolarisation (channelrhodopsin-2) ou l’hyperpolarisation (halorhodopsin) du neurone. Le stress utilisé consiste à exposer la souris chaque jour à des stress différents (imprévisibles) et modérés (cage inclinée, souillée ou surpeuplée, isolement, privation d’eau ou de nourriture) pendant une très longue durée (8 à 12 semaines). Ce stress reproduit un syndrome de type dépressif qui apparaît petit à petit au cours du temps. Il entraîne, entre autres, une profonde résignation et une anhédonie. L’activation phasique des neurones dopaminergique a un effet antidépresseur, c’est-à-dire qu’elle augmente la motivation dans le test de suspension par la queue et augmente la préférence au sucrose (Figure 1C). Ces résultats montrent que l’activation des neurones dopaminergiques augmente la motivation et entraîne une réponse adaptative positive. Cet effet antidépresseur est bloqué par l’injection d’antagonistes dopaminergiques D1 et D2 spécifiquement dans le noyau accumbens. Cela montre le rôle décisif de l’augmentation de la dopamine dans cette région pour la réponse adaptative au stress.

Neurones dopaminergiques et stress de la défaite sociale
Cependant, en utilisant un autre modèle de stress chronique, la « défaite sociale » (social-defeat stress)2 [ 5], l’équipe dirigée par Ming-Hu Han à l’École de médecine Icahn de Mount Sinaï (États-Unis) a obtenu des résultats surprenants et opposés. Ce stress chronique, beaucoup plus intense et court (10 jours), induit chez l’animal des altérations physiologiques et comportementales persistantes comme l’aversion sociale, l’anhédonie et les symptômes de type anxieux [ 6]. Ce phénotype susceptible est associé à une augmentation de la fréquence de décharge des neurones dopaminergiques in vivo [ 7]. Les auteurs ont montré qu’une activation des neurones dopaminergiques pendant une unique séance de « défaite sociale » ou pendant le test d’interaction, suffisait à rendre la souris susceptible au stress social, c’est-à-dire présentant une aversion sociale ainsi qu’une anhédonie (Figure 1D). De manière intéressante, cette activation phasique ponctuelle des neurones dopaminergiques entraîne des changements à long terme dans l’excitabilité de ces neurones, et plus spécifiquement une augmentation de la fréquence de décharge. Celle-ci pourrait expliquer la chronicité des déficits de motivation et de l’anhédonie, observés bien après la période de stimulation. Les auteurs ont également disséqué les voies dopaminergiques impliquées dans cette réponse. À l’aide de traceurs rétrogrades injectés dans les régions cibles (cortex préfrontal et noyau accumbens), les auteurs ont montré chez les souris susceptibles une augmentation de leur fréquence de décharge dans les seuls neurones projetant vers le noyau accumbens. De manière inattendue, l’activité des neurones mésocorticaux est, quant à elle, diminuée. De plus, en injectant dans le noyau accumbens ou dans le cortex préfrontal un virus rétrograde (PRV, pseudorabies virus) exprimant une recombinase Cre, et dans l’aire tegmentale ventrale un AAV portant des séquences rhodopsine flanquées de séquences Lox (donc ciblées par Cre), les auteurs ont montré que seule la voie mésolimbique est impliquée dans les comportements d’aversion sociale et d’anhédonie.
Rôle des neurones dopaminergiques dans la motivation

Ces résultats, qui semblent contradictoires, pourraient s’expliquer par la nature du protocole de stress et le rôle des neurones dopaminergiques dans la motivation. Ceux-ci ont deux modes de fréquence de décharge. L’activation tonique consiste en une fréquence de décharge régulière (1 à 6 Hz) en l’absence de stimulus [ 8] qui maintient les taux de base du neurotransmetteur extracellulaire à un niveau faible. L’activation phasique des neurones dopaminergiques entraîne une augmentation de leur fréquence de décharge (≈ 20 Hz) qui aboutit à une augmentation significative des taux extracellulaires de dopamine [ 9]. Ces fluctuations des taux de dopamine, lors des phases toniques et phasiques, sont de puissants modulateurs du désir et de la motivation. En effet, la libération phasique de dopamine pendant la présentation d’une récompense, ou en réponse au stimulus conditionnel d’un conditionnement Pavlovien [8], est intimement liée à la motivation pour rechercher la récompense et/ou le stimulus lui-même [ 10]. Cette motivation intègre les associations précédemment apprises, mais aussi l’état physiologique de l’individu, lui permettant de moduler et guider son comportement de manière dynamique. Ce rôle des neurones dopaminergiques a été récemment mis en évidence par Tsai et al. [ 11] grâce à l’utilisation d’une stratégie d’optogénétique. Ces auteurs ont pu montrer que l’excitation phasique des neurones dopaminergiques chez l’animal éveillé était suffisante pour entraîner, même en l’absence de récompense, un comportement conditionné de préférence de place3.

Les deux formes de stress chronique utilisés dans les études ci-dessus, stress imprévisible et défaite sociale, diffèrent par leur intensité, leur durée et leur caractère imprédictible.

  • De nombreuses études ont montré que l’expérience d’un stress imprévisible est souvent associée à une diminution du tonus dopaminergique dans le noyau accumbens, elle-même aboutissant à une réponse adaptative passive [ 12]. Les effets prodépresseurs de l’inhibition dopaminergique suggèrent que les neurones manipulés codent pour la valence de la motivation [4]. Ces neurones qui sont activés par les récompenses et inhibés par les stimulus aversifs transmettent un signal clair et univoque sur la valence du stimulus (plaisant ou déplaisant) et de son impact. Dans le cas des travaux de K.M. Tye et al. [4], cette inhibition indiquerait une valence négative des conditions environnementales et entraînerait une apathie empêchant l’adaptation comportementale. De manière opposée, l’activation phasique des neurones dopaminergiques chez les souris stressées pourrait rendre les stimulus plus positifs (comme pour le sucrose) et augmenter la motivation pour s’adapter face à des situations stressantes.
  • Inversement, dans le cas de la défaite sociale, l’activation phasique n’entraîne de symptômes dépressifs que lorsqu’elle est administrée lors de la défaite sociale ou pendant le test d’interaction [5]. De la même manière, l’inhibition pharmacologique des neurones dopaminergiques pendant l’interaction sociale prévient l’aversion sociale induite par le stress [7]. Ces travaux suggèrent que ces neurones codent davantage pour la détection des stimulus saillants y compris aversifs. Ces neurones fournissent ainsi un signal de détection permettant d’orienter l’attention et d’engager les réponses comportementales adéquates. On peut faire l’hypothèse que cette activation phasique lors du stress entraîne un conditionnement aversif spécifique à la défaite sociale mais qui n’est pas transposable à d’autres états anxieux [ 13]. Il est aussi possible que l’activation dopaminergique et, en conséquence, l’augmentation de la dopamine libérée au cours de ce protocole de stress, soient liées à un certain contrôle de la souris sur le stress comme cela a été montré dans d’autres études [12]. En effet, la souris peut, dans une certaine mesure, adopter un comportement de fuite pour éviter le plus possible les agressions (se cantonner à un coin de la cage ou se suspendre à la grille). Enfin, on peut supposer que, chez les souris résilientes dont l’activité tonique des neurones dopaminergiques est semblable à celle des souris contrôles, le taux de dopamine libérée puisse être supérieur à celui des souris apathiques et anhédoniques soumises à un stress chronique modéré et imprédictible [4]. Cela sous-tendrait l’adaptation positive des souris résilientes.

Conclusions

Le système dopaminergique est activé par des stimulus plaisants comme la nourriture, le plaisir sexuel et les interactions sociales, ainsi que par les expériences aversives et stressantes [ 14]. En développant la motivation, ce système favorise les comportements importants pour la survie de l’espèce. Les deux études publiées simultanément dans la revue Nature [4, 5] suggèrent l’existence de trois niveaux d’activation des neurones dopaminergiques (phasique, tonique et silencieux) qui participent aux réponses adaptatives face au stress, mais dépendent du contexte. Ces niveaux d’activation sont associés à des taux extracellulaires de dopamine différents et donc à des actions différentes sur les récepteurs D1 et D2, qui ont une affinité distincte pour la dopamine. En conséquence, c’est la régulation fine des voies directes et indirecte provenant du noyau accumbens qui va moduler le comportement observé dans cette situation.

L’aire tegmentale ventrale est une structure anatomiquement hétérogène dont les neurones dopaminergiques ont des propriétés différentes. De plus, ces neurones se distinguent également par leurs projections. Les travaux des deux publications de Nature ont mis en évidence le rôle prépondérant de la voie mésolimbique spécifiquement dans les aspects impliquant une motivation ou son absence dans les symptômes de type dépressifs. Cela n’exclut pas l’implication des neurones dopaminergiques qui projettent vers les autres régions limbiques, cortex préfrontal, amygdale ou hippocampe. Mais celle-ci reste à déterminer dans le stress et la dépression en utilisant des tests plus appropriés (prise de décision, valence émotionnelle ou mémoire). Enfin, des études récentes montrent que certains neurones dopaminergiques ont la capacité remarquable de libérer à la fois le glutamate et la dopamine. Cette colibération pourrait expliquer les effets rapides de ces stimulations sur les comportements observés.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 On désigne par ce terme de valence émotionnelle le caractère positif (plaisant) ou négatif (déplaisant) de l’émotion.
2 Le processus de mise en évidence d’une « défaite sociale chronique » consiste à introduire une souris mâle dans la cage d’une autre souris mâle, préalablement sélectionnée pour son agressivité naturelle. Après cinq minutes de confrontation, la souris-test est placée dans un autre compartiment de la même cage contenant un séparateur transparent et percé permettant l’exposition aux autres stimulus (olfactifs et visuels de l’agresseur) pendant 24 heures. Le lendemain et les 9 jours suivants, la souris est placée avec un nouvel agresseur. Ce test d’interaction sociale est particulièrement intéressant car il met en jeu une réponse à la fois émotionnelle et cognitive naturelle chez les rongeurs (repris de l’Encadré de [6]).
3 Dans ces expériences, l’animal est placé dans une cage qui comporte plusieurs compartiments différant par la couleur des parois et la texture du sol. L’animal explore ces divers compartiments de façon équivalente. Il est ensuite confiné dans un compartiment après l’administration d’un traitement (conditionnement) et à un autre moment de la journée dans un autre compartiment après l’administration du placebo. Le but de cette phase de conditionnement est d’associer les effets de la drogue à un environnement particulier.
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