Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2013 January; 29(1): 99–100.
Published online 2013 January 25. doi: 10.1051/medsci/2013291020.

Quand la science devient poésie
Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps (Jean-Claude Ameisen)

Reviewed by Hélène Gilgenkrantz1*

1Inserm U1016, CNRS UMR 8104, Université Paris Descartes, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014Paris, France
Corresponding author.
 

Souvent, on attend peu de choses d’un livre plébiscité par un audimat explosif. On peut même s’en détourner quand une publicité itérative, voire entêtante, vient s’en mêler. Mais s’il s’agit d’un livre de Sciences, on devient intrigué. Et si le livre en question a pour ambition de résumer quarante heures d’émissions radiophoniques ayant déjà passionné plus d’un million d’auditeurs, force est de constater que la curiosité l’emporte !

Comme la musique de sa voix grave et familière du samedi matin, l’écriture de Jean-Claude Ameisen saura-t-elle nous faire voyager dans le temps et l’espace pour nous entraîner au cœur de la science ? [ 1]. Car enfin, écouter et lire ne relèvent pas des mêmes cheminements, du même rythme, des mêmes intentions. L’émission de France Inter « Sur les épaules de Darwin » où Jean-Claude Ameisen monologue, à peine interrompu par des intermèdes musicaux, ressemble à un ouvrage de broderie : il s’arrête, revient en arrière, répète, repart dans une autre direction, revient à nouveau à son point de départ, rappelant une précédente émission. Comment transcrire en œuvre littéraire cette arythmie permanente, ce « battement du temps » irrégulier mais indulgent pour l’auditeur, sans lasser le lecteur ?

La recette, la voici : Lorsque les astronomes deviennent des arpenteurs astraux, quand les étoiles variables se muent en chandelles célestes et les astéroïdes en vagabonds du ciel, la science devient poésie. On se laisse alors transporter par la mémoire collective : on se prend tour à tour pour une matriarche éléphante protégeant sa tribu ou pour un oiseau jardinier d’Australie à nuque rose inventant - pour les beaux yeux de sa dulcinée - les lois de la perspective, bien longtemps avant les peintres de la renaissance !

N’y cherchez pas vos morceaux favoris. Vous n’y trouverez ni les papillons bleus de Nabokov, ni l’invention de l’agriculture par les fourmis pastorales, ni l’histoire de l’autiste-syndrome d’Asperger, né un jour bleu. Ceux-là feront sans doute partie d’un autre volume consacré aux premières émissions sur les mystères de l’hérédité ou sur le comprendre et le ressentir.

Ne cherchez pas non plus à le lire comme un roman d’aventures, il n’a ni début ni fin, mais se déguste plutôt par petites touches, à la façon d’une peinture impressionniste. Entre science et essai, philosophie et poésie, confusion des genres et confusion des sens... le temps d’un livre, vous deviendrez synesthète !

Alors, laissez vous plutôt guider par le fil virtuel de sa pensée sans cesse - parfois trop souvent ? - entrecoupée de citations. Car le monde de Jean-Claude Ameisen est bruissant de murmures. Il est peuplé d’écrivains, de philosophes et de scientifiques illustres. Ses familiers sont Darwin bien sûr, ce géant angoissé et visionnaire à l’origine de sa passion, mais aussi Pascal Quignard, Siri Husved, Jorge Luis Borges ou Ramachandran. Plus rarement, viennent s’inviter à sa table le généticien François Jacob, le psychologue Donald Winnicot ou la philosophe Elisabeth de Fontenay dont une citation va si bien à son propos : « Nous sommes nés à notre insu, un originel dessaisissement, une absence de commencement et ce serait la tâche de l’écriture, pensée, littérature, art, que de s’aventurer à en porter témoignage. » Voilà, Jean-Claude Ameisen est un passeur de savoir, un conteur, à la plume comme à l’antenne. Et pour transmettre son message, il crée d’abord l’émotion. Dans son livre « L’erreur de Descartes », Antonio Damasio avait su nous convaincre qu’il n’y a pas d’intention sans émotion. De cette émotion naît le désir de comprendre, le désir de savoir. « Nous faisons partie de ce que nous avons perdu » et ce livre est une invitation à le redécouvrir.

Le temps y défile sous de multiples formes. Le présent n’existe plus, il est quelque part entre le déjà plus et l’encore à venir, entre mémoire et désir… Mais qu’il s’agisse du temps dans l’espace, de la nostalgie de la lumière, ou du temps retrouvé des souvenirs enfouis…tous nous parlent de nous, nous qui sommes faits de mémoire et d’oubli. Et c’est finalement toute notre enfance qui resurgit à la lecture de l’intégralité de la « Madeleine de Proust » !

Comme le chemin pour Ithaque, contrairement à ce que, parfois, la vision actuelle de la recherche scientifique valorisable veut nous faire croire, plus que le but, c’est le voyage qui devient passionnant. Et ce qu’il nous apprend des autres, des phénomènes de mode chez l’abeille à la syntaxe du chant des oiseaux du japon, nous instruit bien plus sur nous-mêmes. Nous voilà rassurés, « Nos mondes intérieurs sont plus riches de complexité de mystères et de possibilités que nous n’avons tendance à le réaliser. » Il reste donc encore d’autres volumes à écrire…

En attendant, tel le magicien qu’il décrit au début de ce livre et qui, par un geste seulement esquissé, nous donne l’illusion de voir s’élever dans les airs la balle rouge qu’il n’a pas lancée, l’auteur nous laisse à notre illusion d’avoir tout compris, comme s’il nous avait donné les clés du savoir. Mais le tour est joué, on en sort émerveillé et avide !

En écho au message enfoui dans ce livre, les éditions qui le publient portent ce drôle de nom « Les Liens qui Libèrent ». Tout tient finalement dans cet oxymore : la connaissance, aussi difficile soit-elle à atteindre, est une porte ouverte sur la liberté.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Ameisen JC. Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps . Paris: : France Inter-Les Liens qui Libèrent; , 2012 : :444. p.