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Med Sci (Paris). 2012 December; 28(12): 1129–1132.
Published online 2012 December 21. doi: 10.1051/medsci/20122812025.

Chroniques génomiques
Néandertal et Homo sapiens : To meet, or not to meet?

Bertrand Jordan1*

1CoReBio PACA, case 901,parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Afrique, Animaux, Évolution biologique, Noyau de la cellule, génétique, ADN mitochondrial, Europe, Génétique des populations, Géographie, Histoire ancienne, Hominidae, physiologie, Humains, Hybridation génétique, Néandertaliens, Paléodontologie, histoire, méthodes

 

Depuis que le « buisson des hominidés » a été, au moins partiellement, appréhendé par l’anthropologie, la question des relations entre l’homme de Néandertal et l’homme moderne (l’homme de Cro-Magnon, Homo sapiens, vous et moi en somme) a été largement débattue. Selon le modèle out of Africa généralement admis depuis la fin des années 1980, toutes les populations non Africaines descendent d’ancêtres communs ayant émigré vers - 90 000 ans depuis ce continent, où notre espèce est apparue il y a environ 200 000 ans. L’homme de Néandertal, qui a lui aussi une origine africaine mais a essentiellement vécu en Europe et au Moyen-Orient, est plus ancien : il remonte à 400 ou 500 000 ans, et ses derniers représentants, dont des vestiges ont été retrouvés en Espagne, ont disparu il y a 30 000 ans seulement. Sa morphologie plus robuste que celle de l’homme moderne, son faciès plus « simiesque » (bien que sa capacité crânienne ait été supérieure à la nôtre) et l’absence d’outils évolués l’ont fait considérer comme un hominidé primitif correspondant sans doute à une espèce différente de la nôtre et avec laquelle aucun croisement n’était possible. De fait, alors que ces deux représentants du genre Homo ont coexisté en Europe durant plusieurs dizaines de milliers d’années, seuls quelques cas douteux de fossiles pouvant correspondre à des morphologies intermédiaires ont été décrits. Lorsque les techniques de séquençage de l’ADN ont permis les premières analyses d’ADN fossile, elles ont confirmé cette impression en montrant, grâce aux analyses de l’ADN mitochondrial, que Néandertal apparaissait très différent de l’homme moderne. Pourtant des résultats plus récents ont au contraire ouvert la possibilité qu’aient eu lieu des échanges entre ces deux populations, qu’en somme Néandertal et nous-mêmes représentions deux variétés au sein de la même espèce. Ces résultats ont été très discutés et, nous le verrons, présentent des aspects critiquables ; à l’occasion d’un tout récent article du groupe de Svante Pääbo (chaud défenseur de l’hypothèse de l’hybridation) [ 1], je vais tenter de faire un point sur cette question.

D’où vient Néandertal ?

L’origine de l’homme de Néandertal reste assez obscure [ 2]. Ses ancêtres sont Africains, bien sûr, mais sa trace n’a été repérée qu’en Europe et au Moyen-Orient, et son dernier ancêtre commun avec l’homme moderne remonterait à six ou sept cent mille ans. Ses fossiles ont été retrouvés dans toute l’Europe, du sud des îles britanniques jusqu’au-delà de l’Oural en passant par tout le pourtour méditerranéen (Figure 1), mais on s’interroge encore sur son ancêtre immédiat (Homo heidelbergensis ? Homo rhodesiensis ? [2]), et il est un peu étonnant qu’aucune trace de lui n’ait été encore découverte en Afrique du Nord. Notons cependant que, d’après les estimations les plus sérieuses, la densité des populations humaines était à l’époque très faible : on l’évalue à moins de cent individus pour 10 000 km2 (cinq mille être humains, donc, pour la France entière !), ce qui explique le caractère très lacunaire de la « chronique des fossiles1 ». Et cette population semble avoir fortement fluctué au rythme des glaciations qui se sont succédées au cours du dernier demi-million d’années, avec un impact parfois catastrophique, sur ces peuplades que leur alimentation carnée rendait totalement dépendante du gibier. Bref, Néandertal a longtemps « régné » sur l’Europe et le Moyen-Orient, mais ce règne était ténu et constamment menacé, bien loin de l’écrasante domination de l’homme actuel sur son environnement.

Eux… et nous, que dit l’ADN mitochondrial ?

La coexistence, durant plusieurs dizaines de milliers d’années de l’homme moderne et des Néandertaliens pose naturellement la question de notre rôle dans leur extinction : compétition pour les ressources naturelles (bien que la densité très faible des populations ait dû limiter cet impact), ou même combats dans lesquels la technologie supérieure de l’homme moderne aurait entraîné l’élimination de son cousin « primitif » ? On ne le saura sans doute jamais, mais cette question en suggère une autre, à laquelle l’ADN devrait pouvoir donner une réponse, celle de l’existence (ou non) de relations intimes et de transferts de gènes entre Néandertal et nous [3].

Comme je l’ai déjà indiqué, les premières analyses menées dans les années 1990, grâce à l’invention de la PCR (polymerase chain reaction) ont porté sur l’ADN mitochondrial, que sa petite taille et son abondance rendent plus accessible à l’étude que l’ADN nucléaire. Une fois les problèmes de contamination des échantillons maîtrisés, les résultats étaient très nets : le nombre de substitutions observé dans l’ADN de Néandertal comparé au nôtre, était plus de trois fois supérieur à la diversité repérée au sein de la population humaine [ 4]. Ces résultats, confirmés et amplifiés au début des années 2000, allaient donc dans le sens d’un isolement reproductif entre Néandertal et Homo sapiens, et suggéraient que l’on était bien en présence de deux espèces distinctes. Néanmoins la nature particulière de l’ADN mitochondrial, sa transmission exclusivement maternelle et le fait que de nombreuses zones au sein de cet ADN semblent neutres du point de vue sélectif, incitaient à une certaine prudence.

L’ADN nucléaire entre en scène

De nouveaux progrès dans les techniques d’étude de fossiles et l’apparition du séquençage de nouvelle génération (moins sensible à la dégradation des échantillons du fait de l’absence d’étape de clonage) allaient permettre d’accéder à l’analyse de l’ADN nucléaire de notre cousin Néandertalien. Cela commença par un superbe « couac » - que nous raconta Simone Gilgenkrantz dans une Nouvelle [ 5] -, la publication en 2006 par le groupe de S. Pääbo [ 6] d’un million de nucléotides d’ADN néandertalien qui devaient s’avérer provenir en majorité de contamination des spécimens par de l’ADN moderne. Néanmoins, avec l’amélioration des méthodes de prélèvement, de séquençage et d’analyse informatique, des séquences authentiquement néandertaliennes étaient bientôt obtenues et, de manière fort intéressante (et cette fois concluante), montraient des similitudes nettement plus fortes entre l’ADN de Néandertal et celui des non Africains qu’avec celui des Africains [ 7]. Cela suggérait donc une interaction entre ces deux populations aboutissant à des transferts de gènes néandertaliens dans notre ADN. Cette conclusion fut largement médiatisée, en oubliant un peu que, d’une part, la contribution de Néandertal à notre génome resterait dans cette hypothèse très minoritaire (quelques %) et, d’autre part, que l’interprétation avancée (notamment par le groupe de S. Pääbo) n’était pas la seule possible.

Hybridation, ou structure de populations ?

La proximité, au niveau de l’ADN, entre Néandertal et les non Africains pourrait en effet résulter, non de croisements entre ces deux groupes, mais de la structure des populations dont ils sont issus : si Néandertal et Homo sapiens sont tous deux issus d’une même sous-population Africaine (Néandertal ayant émigré vers – 400 000 ans, l’homme moderne beaucoup plus tard), ils peuvent avoir gardé des caractères communs (des allèles de snip identiques) dans leur ADN sans pour autant avoir interagi génétiquement. Cette hypothèse est notamment défendue dans un récent article émanant de l’université de Cambridge [ 8] tandis que d’autres [ 9] effectuent des simulations montrant que, d’après eux, la structuration des populations ne suffit pas à expliquer les données. En tous cas, la question n’est pas aussi tranchée que ce que l’impact médiatique des travaux de S. Pääbo tendrait à faire croire.

De nouvelles données

C’est là qu’intervient (enfin...) l’article qui est le prétexte de cette chronique [1] et qui émane lui aussi du groupe de S. Pääbo. Paru tout récemment dans Plos Genetics, son titre est très affirmatif : The date of interbreeding between Neandertals and modern humans, comme si la réalité de cette interaction était définitivement prouvée et qu’il ne restait qu’à en fixer la date. En fait, le message de l’article est que l’évaluation de cette date (par une méthode dont je vais donner le principe) donne une valeur récente, environ – 55 000 ans, et que ceci renforce considérablement l’hypothèse en cause : si la parenté Néandertal/Homo sapiens était due à la structure des populations anciennes, la méthode devrait donner une date du même ordre que celle de la séparation entre les deux groupes, au moins - 400 000 ans.

Comment ont procédé les auteurs ? Ils ont utilisé les données de séquence produites par la première phase du 1000 Genomes Project (http://www.1000genomes.org/), soit les séquences de près de 200 personnes (Européennes, Africaines, Asiatiques). Cela leur a permis d’évaluer le déséquilibre de liaison persistant chez les non Africains entre des allèles de snip pouvant provenir du génome de Néandertal. En d’autres termes, si deux snip A et B relativement proches existent dans la séquence Néandertal sous la forme (allèles) A1 et B1, et en admettant que l’ADN correspondant dans notre génome provienne d’un lointain croisement avec Néandertal, la probabilité qu’une recombinaison ultérieure ait abouti à leur séparation (à un haplotype du genre A1 B2) dépend à la fois de la distance qui les sépare sur le génome et du temps écoulé depuis leur introgression dans notre ADN. Le principe de la méthode est simple... mais on imagine bien que son utilisation pose de nombreux problèmes compte tenu de toutes les incertitudes existantes : ces allèles proviennent-ils effectivement de Néandertal ? Comment les données sont-elles affectées par les événements démographiques et notamment les goulets d’étranglement subis par les populations ? Quelle est l’influence des erreurs existant dans la carte génétique actuelle ? Ces différents points sont abordés au long d’un article plutôt touffu et d’une rédaction assez approximative (abréviations non définies, figures incomplètes, légendes obscures...), sur lequel les referees de Plos Genetics ne me semblent pas avoir fait tout le travail nécessaire. La conclusion est néanmoins nette : les derniers échanges génétiques entre Néandertal et l’homme moderne auraient eu lieu vers – 55 000 ans2, et le fait de trouver une date aussi récente confirme la réalité de ces échanges et indique que la ressemblance actuelle entre les ADN de ces deux hominidés est bien due, en grande partie, au fait qu’ils ont interagi génétiquement.

Des questions qui subsistent

On l’aura compris, je ne suis pas convaincu à 100 % par les affirmations du groupe de S. Pääbo. L’identification de traces d’ADN néandertalien dans notre génome, immédiatement interprétée par les média comme une contribution majeure à notre patrimoine génétique, me semble reposer sur des bases bien fragiles, et la toute récente évaluation de la date de ces supposés mélanges résulte de calculs complexes impliquant de nombreuses hypothèses. La conclusion de l’article est d’ailleurs bien moins catégorique que son titre, et n’exclut pas la possibilité d’une contribution importante de la structure ancienne des populations. L’analyse d’ADN a incontestablement révolutionné l’anthropologie, a éclairé de nombreux aspects de notre histoire, et elle continue de préciser les événements qui ont abouti aux populations actuelles ; mais, avec l’article auquel se réfère cette chronique, on a peut-être voulu tirer de l’ADN plus que ce qu’il peut dire.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Traduction officielle du terme plus pertinent de fossil record.
2 Plus précisément, entre – 37 000 et – 86 000 ans. Notons que la limite inférieure est invraisemblable compte tenu du fait qu’il y a 37 000 ans la plupart des Néandertaliens avaient déjà disparu.
References
  • Sankararaman S , Patterson N , Li H , et al. The Date of Interbreeding between Neandertals and Modern Humans . PLoS Genet. 2012; ; 8 : :e1002947..
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  • Krings M , Stone A , Schmitz RW , et al. Neanderthal DNA sequences and the origin of modern humans . Cell. 1997; ; 90 : :19.–30.
  • Gilgenkrantz S. Les prémices du génome de Néandertal . Med Sci (Paris). 2007; ; 23 : :95.–98.
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