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Med Sci (Paris). 2012 October; 28(10): 897–898.
Published online 2012 October 12. doi: 10.1051/medsci/20122810021.

Héritabilité et génétique
Une « répartie » retardée - mais utile

Louis Ollivier1*

1Directeur de recherche honoraire de l’Inra, 8, impasse Calmette, 78350Jouy-en-Josas, France
Corresponding author.
 

Je voudrais attirer l’attention des lecteurs de médecine/sciences sur une utilisation éminemment discutable du concept d’héritabilité dans un récent article [ 1] à propos d’une éventuelle implication de la génétique dans le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Les auteurs considèrent en effet comme fausse l’idée qu’une héritabilité élevée implique « nécessairement » une cause génétique. À l’appui de cette affirmation, ils citent une mise au point récente par des spécialistes reconnus de génétique quantitative [ 2]. Or ces derniers confirment tout au contraire l’idée, communément admise, qu’une héritabilité élevée signifie que la génétique est impliquée. L’article de Visscher et al. [2] indique par exemple que « L’héritabilité est une mesure simple, non dimensionnée, de l’importance des facteurs génétiques pour expliquer les différences entre individus » ([2] p. 259, ma traduction). Le résumé précise par ailleurs que « L’héritabilité demeure une clé pour la prédiction du risque de maladie en médecine » ([2] p. 255).

Alors, d’où vient le malentendu ? Peut-être d’une mauvaise lecture de l’encadré n° 2 de Visscher et al. ([2], p. 257). Cet encadré recense cinq idées fausses qui ont cours au sujet de l’héritabilité, dont l’une est décrite comme « high heritability implies genetic determination ». Cette formulation pourrait venir à l’appui de la thèse de F. Gonon et D. Cohen, à condition toutefois de traduire determination par implication. Mais les lignes suivantes de l’encadré n° 2 précisent que ce qui est en cause ici est la prédiction du phénotype des enfants connaissant le phénotype des parents, une prédiction que l’on sait hautement incertaine, même pour des caractères fortement héritables.

Il est surprenant aussi de voir F. Gonon et D. Cohen « rappeler », sans toutefois donner de référence à l’appui, que l’héritabilité de la tuberculose est « également de 70-80 % », ce qui laisserait entendre le peu de crédit qu’il faut accorder aux études d’héritabilité, puisque la tuberculose a une cause infectieuse bien établie et qu’il est difficile d’imaginer une implication de la génétique dans son apparition chez un individu.

Notons enfin, accessoirement, que le débat autour de la thèse selon laquelle le TDAH n’est pas « uniquement une construction sociale » [ 3] déborde largement le cadre du lien causal, dont discutent F. Gonon et D. Cohen, entre TDAH et duplication de portions du génome (appelée variation du nombre de copies ou en anglais copy number variation [CNV]). Bien évidemment, l’absence de ce lien causal particulier n’exclut pas l’existence d’autres facteurs génétiques, évoqués par ailleurs [1, 3]. De ce point de vue, un article voisin, dans le même numéro de médecine/sciences, met bien les choses au point, en soulignant la complexité des étiologies, avec l’existence possible d’un grand nombre de gènes dont la plupart peuvent avoir des effets difficiles à mettre en évidence [ 4]. En tout état de cause, avant d’affirmer, comme le font F. Gonon et D. Cohen, qu’une maladie hautement héritable comme le TDAH est une construction sociale, une certaine prudence paraît devoir s’imposer.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Gonon F , Cohen D. Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). La génétique est-elle impliquée ? Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :315.–317.
2.
Visscher P , Hill WG , Wray NR. Heritability in the genomics era: concepts and misconceptions . Nat Rev Genet. 2008; ; 9 : :255.–266.
3.
Williams NM , Zaharieva I , Martin A , et al. Rare chromosomal deletions and duplications in attention-deficit hyperactivity disorder: a genome-wide analysis . Lancet. 2010; ; 376 : :1401.–1408.
4.
Jordan B. Maladie de Crohn et GWAS, d’analyses en méta-analyses . Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :323.–325.