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Med Sci (Paris). 2012 August; 28(8-9): 757–763.
Published online 2012 August 22. doi: 10.1051/medsci/2012288018.

Utilisation des lymphocytes T régulateurs en thérapies cellulaires dans les maladies auto-immunes

Guilaine Boursier,*1 Aurélie Siri,**1 and Hubert de Boysson1

1UMPC Université Paris 6, Master sciences et technologies, mention biologie moléculaire et cellulaire, parcours immunotechnologies et biothérapies, Paris 6 (PRES Sorbonne Universités), 4, place Jussieu, 75005Paris, France
Corresponding author.
1G. Boursier et A. Siri ont contribué de façon équivalente à cet article.

Voir le premier article de cette série de deux articles : Siri A, de Boysson H, Boursier G. Med Sci (Paris) 2012 ; 28, n° 6-7, pages 646-51 [31].

 

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Photo : lymphocytes T (© Guilaine Boursier).

 

Maladies auto-immunes et lymphocytes T régulateurs (Treg)

L’équilibre entre les lymphocytes T (LT) CD4+ effecteurs ou conventionnels (Teff) et les lymphocytes T régulateurs (Treg) est indispensable au maintien de la tolérance immunitaire. Les maladies auto-immunes se développent lorsque cette tolérance est rompue chez des patients ayant une prédisposition génétique. Des facteurs environnementaux ou immunologiques peuvent être impliqués dans le déclenchement de ces pathologies. Par exemple, une réactivité croisée entre certains autoantigènes et des antigènes microbiens serait un des mécanismes expliquant l’apparition d’une auto-immunité () [ 32].

(→) Voir l’article de M. Mirabel et al., m/s n°6-7, juin-juillet 2012, page 633

La mutation de certaines molécules régulant négativement l’activité des LT, telles que le CTLA-4 (cytotoxic T-lymphocyte antigen 4), peut également entraîner l’apparition de maladies auto-immunes. Les thérapies visant à restaurer la fonctionnalité ou le nombre des Treg in vivo dans un certain nombre de pathologies pourraient donc être envisagées dans le futur. L’utilisation de ces cellules est également envisageable lors des transplantations, comme traitement de la maladie du greffon contre l’hôte et dans l’allergie [ 24, 31].

  • Dans le diabète de type 1, la réponse effectrice auto-immune dirigée contre les cellules β des îlots de Langerhans du pancréas conduit à la destruction de ces cellules. Chez les souris NOD (non obese diabetic), modèle murin de diabète de type 1, la déplétion ou l’altération des Treg entraîne une destruction accélérée des cellules β des îlots [4]. À l’inverse, la maladie ne se développe pas si l’on transfère des Treg spécifiques d’antigènes de ces mêmes cellules [ 5].
  • Dans le lupus érythémateux disséminé, il existe un déficit quantitatif et qualitatif en Treg, qui sont plus susceptibles à l’apoptose induite par Fas (ou CD95) [ 6]. Le transfert de Treg dans un modèle de souris lupique, avant et après le développement de la maladie, entraîne un ralentissement de l’évolution de la pathologie [ 7].
  • Les souris ayant reçu des Treg simultanément à l’induction expérimentale d’une encéphalite auto-immune, qui représente un modèle murin de sclérose en plaques, sont protégées de l’apparition de la pathologie, et l’infiltration du système nerveux central par des cellules inflammatoires y est moindre. Le transfert de Treg chez des souris déficientes pour le gène codant pour l’IL(interleukine)-10, une cytokine régulatrice, ne montre pas la même efficacité, suggérant que cette cytokine intervient dans la protection qu’exercent les Treg contre l’encéphalite auto-immune expérimentale [ 10].
  • L’implication des Treg a également été démontrée dans des modèles expérimentaux d’auto-immunité comme la polyarthrite rhumatoïde, la polymyosite et le psoriasis ; le transfert de Treg CD4+CD25+ peut y montrer une diminution de la sévérité de la pathologie [ 9, 10].
  • L’immunité locale de l’intestin est finement régulée afin de permettre une réponse adaptée contre les agents pathogènes, tout en épargnant la flore commensale et les antigènes alimentaires. La maladie de Crohn est due à une dérégulation de cette immunité - principalement envers les antigènes de la flore intestinale - qui est responsable d’une colite inflammatoire. Chez ces patients, l’étude de biopsies de côlon a révélé un taux élevé de Treg Foxp3+ dans la lamina propria. Les Treg de la lamina propria ont la propriété de sécréter de l’IL-10, une cytokine anti-inflammatoire qui semble être un élément clé de la régulation de l’inflammation du côlon chez la souris [ 8].

Ces expériences établissent l’importance des Treg dans le contrôle de la réponse auto-immune ainsi que du cas particulier de la maladie de Crohn ; ces cellules pourraient donc représenter une thérapie cellulaire d’avenir pour la restauration de la tolérance immunitaire dans les maladies auto-immunes où les Treg sont le plus souvent quantitativement et/ou qualitativement déficitaires. De nombreux travaux ont permis de développer des méthodes d’isolement et d’amplification ex vivo des Treg de patients en vue de leur utilisation, le plus souvent de manière autologue (Figure 1), pour restaurer ou induire la tolérance.

La thérapie cellulaire par Treg

Dans des modèles murins d’auto-immunité, le transfert adoptif de Treg permet d’obtenir de nettes améliorations cliniques [10]. In vitro, les capacités suppressives des Treg dépendent de leur activation via le TCR (T cell receptor), suggérant que les Treg spécifiques de l’antigène sont plus efficaces que des Treg polyclonaux [ 11]. On peut penser que ces thérapies cellulaires seraient d’autant plus efficaces que les Treg seraient purs, stables dans leur fonction et à longue durée de vie. Différentes stratégies d’isolement et/ou d’enrichissement de Treg humains polyclonaux ou spécifiques d’antigènes ont été décrites, mais aucune n’est à ce jour consensuelle. Ces stratégies varient selon le type de Treg utilisés. On distingue les Treg naturels CD4+CD25+Foxp3+, dérivés du thymus (nTreg), et les Treg induits (iTreg), différenciés en périphérie () [31].

(→) Voir l’article de A. Siri et al., m/s n°6-7, juin-juillet 2012, page 646

Les Treg envisagés à ce jour en thérapie cellulaire sont les nTreg CD4+ et les Treg induits de type 1 (Tr1) producteurs d’IL-10. Quelques essais cliniques de thérapie cellulaire en cours de développement dans les maladies auto-immunes sont présentés dans le Tableau I .

Utilisation des nTreg CD4+
L’objectif des stratégies utilisant les nTreg est d’augmenter la quantité de nTreg fonctionnels polyclonaux chez le patient. Dans cette approche, un échantillon de sang est prélevé chez le patient, puis les nTreg sont purifiés, cultivés et réinjectés à ce même patient. Une fois réinjectés en périphérie, les Treg migrent vers les tissus lymphoïdes et les sites inflammatoires attaqués par le système immunitaire. Les nTreg exprimant fortement CD25 sont purifiés à partir des cellules mononucléées périphériques en utilisant des billes magnétiques, et les Treg de phénotype CD4+CD25fortCD127faible par cytométrie de flux. Ils constituent environ 2 à 4 % des LT CD4+, et le nombre de Treg que l’on peut purifier par patient est de l’ordre d’une centaine de millions. Ce nombre est insuffisant pour provoquer un effet clinique. Une phase d’amplification est donc indispensable. Plusieurs équipes ont développé des techniques d’enrichissement des nTreg murins et humains in vitro. Les Treg prolifèrent de manière polyclonale en présence d’anticorps monoclonaux anti-CD3 et anti-CD28 et de fortes quantités d’IL-2, ce qui permet de multiplier leur nombre par 100 à 2 700 fois en quelques semaines. Ces méthodes respectent les bonnes pratiques de fabrication (BPF) requises pour la production de produits cellulaires cliniques et sont donc utilisables en thérapie humaine. L’ajout de cellules nourricières ou de cellules présentatrices d’antigène modifiées permet d’augmenter encore ce rendement [ 12]. Les Treg ainsi amplifiés in vitro semblent stables et expriment plusieurs marqueurs spécifiques, incluant CD25 (chaîne a du récepteur de l’IL-2), CTLA-4, CD62L (L-sélectine), GITR (glucocorticoid-induced tumor necrosis factor receptor family-related gene) et Foxp3 [31]. Par ailleurs, leur capacité suppressive est meilleure après amplification [ 13, 14]. Une approche alternative sans phase d’expansion est proposée dans le traitement de l’uvéite1. Dans cet essai, il est envisagé d’administrer des nTreg préalablement activés pour enclencher leur programme suppresseur directement dans le vitré (Encadré 1) L’utilisation des Treg dans le traitement de la myosite à inclusion est également présentée dans l’ Encadré 2 .

1. Utilisation des Treg dans l’uvéite

Interview du Dr Benoit Salomon, CNRS UMR 7087, CERVI, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, France.

La thérapie cellulaire par administration de Treg est une approche prometteuse dans le traitement des maladies auto-immunes et inflammatoires chroniques. Son efficacité nécessite la présence de Treg activés dans le tissu cible, car l’activation des Treg est indispensable à la mise en place de leur fonction suppressive. C’est pourquoi des Treg spécifiques d’antigènes du tissu cible, qui vont se réactiver localement, sont plus efficaces que des Treg polyclonaux pour contrôler ces pathologies. Cependant, seuls les Treg polyclonaux peuvent être purifiés à ce jour en condition de grade clinique. Nous avons alors testé une approche alternative dans un modèle murin d’uvéite consistant à injecter, directement dans la chambre postérieure de l’œil, des Treg polyclonaux préactivés avant injection pour les rendre suppresseurs. Nos résultats valident cette approche thérapeutique. En effet, nous montrons que l’injection dans le vitré de Treg polyclonaux, préactivés pendant deux jours en culture, induit une rémission de l’uvéite. Sur la base de ces données précliniques, nous proposons un essai de phase I/II chez des patients souffrants d’uvéite sévère bilatérale, réfractaire aux traitements de référence et présentant une faible acuité visuelle.

2. Utilisation des Treg dans la myosite à inclusion

Travaux du Pr Olivier Benveniste, service de médecine interne, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, France.

La myosite à inclusion est une maladie inflammatoire rare du muscle survenant après 50 ans et pour laquelle aucun traitement efficace n’existe. Elle se caractérise par une infiltration dans le muscle de lymphocytes T CD8+ autoréactifs responsables d’une destruction des fibres musculaires, ainsi qu’une part dégénérative avec accumulations de protéines telles que la protéine β amyloïde formant des vacuoles (inclusions). Dans un modèle expérimental de myosite chez la souris, le Pr O. Benveniste a montré que la suppression des Treg accélérait le cours de la maladie, tandis que l’injection de Treg permettait d’éviter la maladie et diminuait l’infiltration par les LT CD8+. Ces résultats ont permis d’envisager un essai clinique de phase I/II mené par cette équipe à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Les patients retenus bénéficieront d’une injection intraveineuse de Treg polyclonaux autologues. Les cellules sanguines seront prélevées chez les patients par cytaphérèse, et le tri des Treg se fera sur l’expression de CD25. Une phase d’amplification ex vivo dans un milieu de culture adapté est prévue pendant environ un mois, permettant d’obtenir un grand nombre de Treg avec une pureté supérieure à 90 %. L’utilisation d’un gène suicide permettra de supprimer au besoin ces cellules, en cas de prolifération ou de dysfonctionnement in vivo. L’efficacité de cette thérapie sera jugée, notamment sur l’évolution clinique.

Les limites de l’utilisation des nTreg en thérapie cellulaire
L’enrichissement et la production de nTreg spécifiques d’antigènes de grade clinique sont encore des défis techniques. Même si leur efficacité semble supérieure à celle des Treg polyclonaux dans les modèles animaux, leur faible fréquence in vivo est un obstacle majeur pour leur isolement. Des techniques innovantes sont actuellement étudiées afin d’amplifier ces cellules rares [1416].

La réglementation des essais de thérapie cellulaire requiert que les protocoles de purification et d’amplification cellulaires soient compatibles avec une utilisation en clinique humaine, notamment en termes de stérilité, d’identité, de pureté et de viabilité des produits de thérapie cellulaire. Certains des LT CD25fort sélectionnés sont des Teff activés susceptibles de proliférer plus vigoureusement que les Treg dans le cas d’une culture prolongée [4, 13]. Afin de limiter cette contamination, l’adjonction de rapamycine dans les cultures de Treg a été testée. En effet, cet immunosuppresseur largement utilisé en transplantation augmente la prolifération des Treg mais surtout inhibe celle des Teff [ 17]. Parmi les autres marqueurs spécifiques des Treg, Foxp3 s’avère inutilisable pour leur isolement ; ce marqueur intracellulaire nécessite une perméabilisation de la membrane cellulaire qui entraîne la mort de la cellule. De plus, on sait aujourd’hui que Foxp3 est exprimé par certains Teff activés et, même si son niveau d’expression y est inférieur à celui des Treg, il ne peut pas être considéré comme un marqueur de pureté [6]. La faible expression du CD127 ou la positivité de CD45RA permettent de distinguer plus spécifiquement les Treg aux dépens des Teff [31].

La faible fréquence des nTreg, la difficulté de leur purification et de leur amplification en culture, ainsi que l’impossibilité pour le moment d’obtenir des nTreg spécifiques d’autoantigènes de grade clinique sont autant de freins importants à leur utilisation en routine. De plus, l’action suppressive des nTreg n’a pas encore été évaluée in vivo.

Utilisation des Tr1 sécréteurs d’IL-10
Les Tr1 sont des Treg induits in vitro à partir de LT CD4+ naïfs cultivés en présence d’IL-10. Même si on manque de marqueurs membranaires spécifiques pour les caractériser, ils présentent l’avantage de pouvoir être produits et amplifiés in vitro à partir de LT du patient. Après leur injection systémique, les Tr1 migrent aux sites inflammatoires sans activation préalable. Une fois sur place, ils sont activés et exercent leur effet suppresseur grâce à leur importante production d’IL-10 dont l’effet pléiotrope s’exerce à proximité [16]. Cet avantage confère aux Treg producteurs d’IL-10 des fonctions suppressives sur de nombreuses cellules cibles. Le rôle de l’IL-10 dans les capacités suppressives des Tr1 a été largement démontré. Ceci explique que dans un premier temps, des traitements à base d’IL-10 recombinante aient été essayés. Les résultats des essais de phase I/II ont montré une efficacité modérée, obtenue au prix d’effets indésirables liés à une action immunostimulatrice de l’IL-10 à forte dose [ 18]. L’intérêt de la thérapie cellulaire s’est alors imposé comme une alternative intéressante

De nombreuses méthodes d’induction de Tr1 ont été décrites. Cependant, nous ne savons pas si cette population est homogène puisqu’elle n’est caractérisée que par son profil cytokinique. Initialement, les Tr1 ont été induits in vitro à partir de LT CD4+ naïfs via des stimulations répétées du récepteur à l’antigène (TCR) en présence d’IL-10. La vitamine D3, la dexaméthasone, la stimulation du CD2 et certaines cellules dendritiques tolérogènes pourraient également favoriser la différenciation des Tr1 [ 1921].

Contrairement aux nTreg, des Tr1 spécifiques d’un antigène et de grade clinique peuvent aussi être produits. Des Tr1 allogéniques induits in vitro ont ainsi été utilisés pour le traitement de la réaction du greffon contre l’hôte [ 22]. Des Tr1 autologues, dérivés du sang et cultivés en présence d’ovalbumine, sont actuellement en cours d’essai clinique dans la maladie de Crohn [ 23]. Le principe est que ces Tr1 spécifiques de l’ovalbumine sont réactivés localement in vivo après ingestion de cet antigène par les patients. Ils exercent ensuite leur fonction suppressive de manière aspécifique via leur production d’IL-10. Un essai clinique utilisant des Tr1 spécifiques du collagène de type 2 produits selon le même principe a débuté cette année dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. 

Les limites de l’utilisation des Tr1 en thérapie cellulaire
Les Tr1 sont actuellement les seuls Treg induits utilisés en thérapie cellulaire. Bien que leur capacité suppressive ait été démontrée dans différents modèles, l’absence de marqueur spécifique de ces cellules explique que leur existence chez l’homme soit encore controversée. Une fois l’existence de ces Tr1 formellement établie in vivo, il faudra encore les comparer aux Tr1 induits in vitro pour définir leurs similitudes phénotypiques et fonctionnelles. De plus, on connaît très peu de choses de leur durée de vie et de leur stabilité in vivo, deux paramètres importants pour obtenir un effet clinique prolongé.
Limites et perspectives de la thérapie cellulaire par les Treg

Récemment, la notion de plasticité des Treg est apparue : certains Treg ne conservent pas constamment leur capacité suppressive [ 24]. Parmi les nTreg, une minorité de cellules peuvent perdre leur expression de Foxp3 et se différencier en Teff [ 25]. Une telle possibilité de conversion des Treg en Teff est dangereuse, surtout si les Treg injectés sont spécifiques d’un antigène du soi. Prévenir cette différenciation in vivo augmenterait la sécurité des produits de thérapie cellulaire. Chez la souris, la régulation de l’expression de Foxp3 par les nTreg est, entre autres, dépendante de modifications épigénétiques comme la déméthylation de l’ADN ou le remodelage de la chromatine par des histones déacétylases [ 26, 27]. Il faudra néanmoins déterminer si la plasticité des Treg in vivo chez l’homme est comparable à ce qu’elle est dans les modèles murins.

De même, le contrôle de la fonction suppressive in vivo des Treg enrichis in vitro n’a pas encore été évalué. On ne connaît pas encore tous les mécanismes de suppression des Treg humains in vivo et leur identification sur la base de marqueurs membranaires reste difficile. Il est donc nécessaire de valider pour chaque pathologie des modèles fonctionnels in vivo pour évaluer de manière fiable les capacités suppressives des Treg.

Le risque d’immunosuppression systémique lié à une activité excessive des Treg peut entraîner une augmentation de la fréquence des cancers (apparition de cellules cancéreuses ou rechutes cancéreuses) et entraver les réponses anti-infectieuses. Néanmoins, la spécificité antigénique des Tr1 permet de limiter le risque d’immunosuppression systémique, ce qui n’est pas le cas des nTreg polyclonaux.

La plupart des essais de thérapie cellulaire utilisent des Treg CD4+CD25fort ou des CD4+CD25+CD127-. On pourrait envisager d’utiliser des sous-populations de ces Treg enrichies en cellules ayant des fonctions suppressives, une survie ou une migration meilleures. Il a par exemple été observé que parmi les nTreg, les cellules CD45RA+ ont des capacités accrues d’expansion et de survie en culture. Les thérapies géniques offrent également des possibilités intéressantes. La spécification de Treg via leur expression d’une molécule de CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) chimérique reconnaissant un auto-antigène d’intérêt, permet d’augmenter l’effet thérapeutique des Treg dans un modèle de sclérose en plaques [ 28]. Des nTreg polyclonaux rendus spécifiques d’un antigène par transfert de LT portant un récepteur à cet antigène (issus de souris transgéniques) ont été décrits par l’équipe de Bluestone dans le diabète de type 1 chez la souris, et ils pourraient constituer une nouvelle stratégie de thérapie cellulaire. Augmenter la fonction suppressive des LT pourrait aussi être envisagé en forçant l’expression du gène Foxp3 sous le contrôle d’un promoteur spécifique de ces cellules. De même, en cas de mutation du gène Foxp3, comme dans le syndrome IPEX2, [31], le recours aux nucléases en doigt de zinc permettrait de réparer les mutations [ 29]. L’introduction d’un gène suicide peut également être envisagée pour éliminer les Treg en cas d’immunosuppression systémique trop intense. Il pourrait aussi être proposé de transduire certains récepteurs aux chimiokines pour orienter la migration des Treg sur le site d’intérêt. La thérapie génique offre certainement des perspectives d’avenir, mais comporte néanmoins ses propres risques et alourdirait encore le protocole de thérapie cellulaire.

Une question qui n’est pas encore résolue concerne la dose thérapeutique de Treg qui devrait être utilisée. Celle-ci n’est pas standardisée, et dépend certainement des pathologies ciblées, des types de Treg utilisés et de la variabilité individuelle entre patients. Généralement, des doses supérieures à 106 Treg sont nécessaires [ 30]. Or, la faible fréquence des Treg parmi les cellules mononucléées sanguines requiert des phases d’amplification très coûteuses et reste un frein au développement des techniques de thérapie cellulaire.

3. Le parcours ITB (ImmunoTechnologies et Biothérapies)

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Cet article et le précédent [31] sont le fruit d’un travail d’équipe de trois étudiants de 2e année de Master inscrits dans le parcours immunotechnologies et biothérapies qui ont souhaité vous transmettre leur goût pour l’immunologie appliquée. Ce projet de publication, mené dans le cadre d’une activité d’apprentissage par projet [ 1], a été encadré par Benoit Salomon (expert scientifique), François Vinour et Adrien Six (responsables de l’activité projet), Bertrand Bellier et Stéphanie Graff-Dubois (responsables du parcours).

Le parcours immunotechnologies et biothérapies est un parcours proposé dans la spécialité immunologie de la mention biologie moléculaire et cellulaire du master sciences et technologies de l’université Pierre et Marie Curie (PRES Sorbonne Universités) [2]. Ce parcours prépare aux métiers de la recherche appliquée en immunologie et de l’innovation clinique et technologique dans le domaine des sciences biomédicales. Il a la particularité de mêler des étudiants issus des domaines scientifique et médical, se destinant aux laboratoires de recherche et aux industries de santé. De nombreux travaux sont réalisés en groupe [ 3], préparant à la vie professionnelle future où la collaboration, la gestion de projet et la confrontation d’idées sont indispensables.

Pour en savoir plus :

http://www.edu.upmc.fr/sdv/immuno/enseignements/NV591-ITB2011.php

http://www.master.bmc.upmc.fr/fr /

http://itunes.apple.com/itunes-u/immunotechnologies-et-biotherapies/id424482190

Enfin, dans certaines maladies auto-immunes, une résistance des Teff à l’action suppressive des Treg a été démontrée. Le recours précoce à la thérapie cellulaire pourrait minimiser cet effet. Cependant, les maladies auto-immunes sont souvent diagnostiquées tardivement et, à ce jour, il n’existe pas de tests prédictifs de la survenue de telles maladies.

Conclusion

La thérapie cellulaire par Treg semble être une approche personnalisée et attractive. À ce jour, de nombreux travaux en ont confirmé la logique, la faisabilité et la sécurité. Déjà quelques essais cliniques ont débuté dans les maladies auto-immunes. Toutefois, l’utilisation de Treg en immunothérapie est encore limitée par la difficulté d’obtention de cellules spécifiques d’un antigène, et d’un nombre suffisant de Treg stables pour assurer une efficacité clinique. Les résultats des essais cliniques en cours et la poursuite des recherches sur la stabilité et les spécificités fonctionnelles propres à chaque population de Treg devraient apporter des informations précieuses dans les prochaines années. Le transfert de tolérance à des patients présentant des maladies auto-immunes est encore un défi fort coûteux, mais dont le concept est très innovant. L’association à des stratégies de thérapie génique pourrait aider à son optimisation.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Benoit Salomon pour ses conseils avisés lors de la rédaction de ce manuscrit, ainsi que le soutien et l’aide de Leslie Gosse, Jeffrey Bluestone et Arnaud Foussat ainsi que de la promotion ITB 2010-2011 et de son équipe enseignante.

 
Footnotes
1 Une uvéite est une inflammation de l’uvée, quelle que soit son origine et sa localisation : iris, corps ciliaire, vitré, choroïde.
2 Syndrome lié à l’X associant une dérégulation immunitaire, une polyendocrinopathie et une entéropathie ; l’IPEX est habituellement fatal.
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