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Med Sci (Paris). 2012 August; 28(8-9): 714–716.
Published online 2012 August 22. doi: 10.1051/medsci/2012288014.

Réparation de l’ADN
Comment trouver le bon partenaire ?

Judith Miné-Hattab1* and Rodney Rothstein1

1Department of genetics and development, Columbia University Medical Center, 701 West 168th street, Hammer Bldg, Room 1608, 10032New York, NY, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Chromosomes de champignon, composition chimique, physiologie, Cassures double-brin de l'ADN, Réparation de l'ADN, génétique, Enzymes de réparation de l'ADN, ADN fongique, Endonucleases, Prévision, Génome, Humains, Déplacement, Rad51 Recombinase, Recombinaison génétique, Saccharomyces cerevisiae, cytologie, Protéines de Saccharomyces cerevisiae, Similitude de séquences d'acides nucléiques

 

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Photo: cellule de levure Saccharomyces cerevisiae contenant environ 20 cassures double brin induites par irradiation gamma ; les traces jaunes et rouges indiquent les trajectoires de deux chromosomes homologues. L’image finale est une mosaïque réalisée à partir des différentes images du film réalisé sur la cellule (© Judith Miné-Hattab).

 

Tout au long de la vie d’une cellule, son ADN est la cible d’une grande variété d’agents capables de l’endommager. Parmi les différents types de cassures de l’ADN, les cassures double-brin sont les plus génotoxiques : une seule cassure incorrectement réparée est mutagène ou létale pour la cellule. La réparation de l’ADN est donc un processus essentiel permettant de préserver l’intégrité de notre génome [ 1]. Chez les eucaryotes, il existe deux mécanismes de réparation des cassures double-brin : la recombinaison non homologue et la recombinaison homologue. Cette dernière utilise une séquence d’ADN homologue intacte comme modèle afin de réparer la séquence endommagée. La séquence intacte peut être située sur la chromatide sœur : on parle alors de recombinaison intra-homologue. Cependant, des séquences homologues plus éloignées, présentes sur le chromosome homologue ou sur un autre chromosome, peuvent également servir de modèle ; on parle alors respectivement de recombinaison inter-homologue ou ectopique. Le processus de recherche d’homologie est étonnamment efficace sachant à quel point notre génome est compacté à l’intérieur du noyau [ 2, 3].

Les chromosomes explorent leur environnement

Grâce à l’évolution récente des techniques de microscopie et d’analyse d’images, il est possible de suivre en temps réel le mouvement d’une région d’ADN spécifique, appelée locus, à l’intérieur du noyau de cellules vivantes. À partir de la position de ce locus en fonction du temps, on peut déterminer l’espace que ce dernier peut explorer au sein du noyau en calculant son déplacement carré moyen1 en fonction de l’intervalle de temps. Dans le cas d’un mouvement confiné, le déplacement carré moyen atteint un plateau proportionnel au volume de confinement du locus. En effet, pour de grands intervalles de temps, la distance moyenne parcourue par le locus devient indépendante de l’intervalle de temps écoulé, car le locus observé ne peut sortir d’un certain volume de confinement. Des études pionnières ont ainsi montré que les chromosomes de la levure ont un mouvement confiné ne leur permettant d’explorer qu’un petit volume du noyau [ 4, 5]. De récentes études suggèrent indirectement un changement de mobilité de l’ADN qui a subi une lésion [ 612], mais le mécanisme permettant à cet ADN endommagé de trouver son partenaire afin de restaurer sa séquence reste énigmatique.

Dans un article récemment publié dans Nature Cell Biology, nous avons suivi le mouvement de deux chromosomes homologues en l’absence et en présence de cassures double-brin dans des cellules diploïdes de levure Saccharomyces cerevisiae [ 13]. Nous avons ainsi observé une augmentation importante de la dynamique des chromosomes après induction d’une cassure double-brin, leur permettant ainsi d’explorer un volume nucléaire jusqu’à dix fois supérieur à ce qu’il est en l’absence de dommage. En conséquence, l’appariement entre chromosomes homologues est dix fois plus fréquent après induction d’une cassure double-brin. Cette mobilité accrue des chromosomes requiert les protéines de recombinaison homologue Rad51 et Sae2 et contribue à faciliter le processus de recherche d’homologie. Il est intéressant de noter que la mobilité des chromosomes non endommagés est également affectée dans ces conditions et augmente avec le nombre de cassures double-brin.

L’hypermobilité des chromosomes facilite l’appariement des chromosomes homologues

Pour observer la mobilité des chromosomes homologues in vivo, nous avons développé des souches de levures diploïdes dans lesquelles deux locus homologues ont été marqués par des molécules fluorescentes grâce à l’introduction des opérateurs tetO et lacO et de leurs partenaires de liaison fluorescents TetR-RFP (rouge) et LacI-YFP (jaune) (Figure 1A). Ces locus ainsi marqués sont visualisés par microscopie à champ large (Figure 1B). De plus, un site de coupure unique I-SceI a été placé à proximité du locus marqué par le RFP, permettant d’induire de manière contrôlée une cassure double-brin unique dans le génome. La protéine Rad52 fusionnée au fluorophore bleu CFP a été utilisée comme marqueur de la présence d’une cassure double-brin. Ce système nous a permis de mesurer la distance entre locus homologues ainsi que le mouvement de ces locus en l’absence, puis en présence, d’une cassure double-brin. En l’absence de cassure, les chromosomes homologues sont éloignés et n’explorent que 3 % du volume nucléaire (Figure 2A). Leur probabilité d’appariement spontané est alors extrêmement faible. Au contraire, 2 h après induction d’une cassure double-brin, la fréquence d’appariement des locus homologues est environ 10 fois supérieure et leur dynamique augmente de telle sorte que leurs volumes de confinement se recouvrent. Le chromosome endommagé est le plus affecté, et explore un volume dix fois plus grand que celui qu’explore un chromosome non lésé. De façon inattendue, le partenaire homologue dont la séquence est restée intacte, ainsi que les chromosomes non homologues, sont également plus mobiles et explorent un volume quatre fois plus grand qu’en l’absence de dommage (Figure 2B). Le volume exploré par les chromosomes augmente avec le nombre de cassures dans la cellule (Figure 2C). La recherche d’homologie ne semble pas être un processus de recherche dirigé vers une cible, mais plutôt une modification non orientée de la mobilité des chromosomes, en particulier du chromosome endommagé. Ceci leur permet d’explorer un volume plus large du noyau, augmentant ainsi la fréquence de collisions entre des chromosomes normalement éloignés en l’absence de dommage. Le coefficient de diffusion, qui reflète la vitesse moyenne à laquelle se déplacent les chromosomes, reste cependant inchangé en présence de cassures. Ceci pourrait s’expliquer par un changement général de l’état de la chromatine en réponse à une cassure double-brin dans le génome qui, pour autant, ne modifie pas la dynamique locale de l’ADN.

Les protéines de recombinaison homologue contrôlentl’hypermobilité des chromosomes

Nous avons ensuite montré que l’appariement des chromosomes homologues et leur hypermobilité sont dépendants des protéines de recombinaison homologue [13]. En effet, l’absence de la protéine Sae2, impliquée dans la dégradation de la séquence endommagée en ADN simple brin, retarde l’appariement des locus homologues ainsi que leur hypermobilité. De plus, l’absence de la protéine Rad51, l’une des protéines essentielles de la recombinaison, inhibe l’appariement et l’hypermobilité des chromosomes en présence de cassures. Ceci confirme également que l’hypermobilité des chromosomes est corrélée à la recherche d’homologie et l’appariement des chromosomes homologues. Le rôle des microtubules, des filaments d’actine ou des topoisomérases sur la mobilité des chromosomes n’a pas encore été élucidé. Une étude publiée par Dion et al., simultanément à la nôtre, met également en évidence une augmentation de la mobilité des chromosomes cassés dans des cellules de levure haploïdes [ 14]. Dans cette condition haploïde, le chromosome endommagé n’a pas de partenaire homologue. Il effectuerait alors une recherche d’homologie pendant plusieurs heures avant d’être relocalisé en périphérie du noyau [ 8, 9, 11]. Dion et al. ont montré que la mobilité des chromosomes en présence de ces cassures irréparables est dépendante des protéines Rad51, Mec1 (analogue de ATR, ataxia telangiectasia Rad3-related protein), de la fonction ATPase de Rad54 et de la protéine Rad9 (partageant des similitudes avec Brca1, breast cancer 1) [14]. De manière intéressante, la présence de cassures simple-brin ne modifie pas la mobilité des chromosomes [14].

Recherches futures : dynamique de l’ADN et intégrité du génome

L’hypermobilité des chromosomes en présence de cassures double-brin semble être un processus conservé parmi les organismes [ 10, 12, 15], son amplitude étant probablement moindre dans les cellules humaines que dans celles de levure. L’augmentation de la mobilité des chromosomes pouvant favoriser des évènements de recombinaison ectopique et être source de translocations pathologiques, l’étude des mécanismes régulant cette hypermobilité nous permettra de mieux comprendre comment nos cellules maintiennent l’intégrité de leur génome.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail a été financé par une bourse EMBO long-term fellowship (J.M.H.), une bourse Marie Curie International Outgoing Fellowship (J.M.H.), la Fondation Bettencourt-Schueller (J.M.H.), une bourse de la Fondation Philippe (J.M.H.), et une bourse du National Institutes of Health (NIH) (GM67055, R.R.).

 
Footnotes
1 Dans le cas d’un mouvement brownien à une dimension (ligne droite), le déplacement d’une particule peut se faire soit en « pas » en avant, soit en « pas » en arrière. De plus, il est impossible de prédire cette direction, l’une (avant) et l’autre (arrière) étant équiprobables. Si l’on essaye de calculer la distance parcourue par cette particule en additionnant un à un les déplacements effectués à chaque pas (en prenant en compte que le déplacement à chaque « pas » arrière est soustrait de la distance totale parcourue), on arrive à la conclusion que la distance probable parcourue par cette particule est proche de zéro. Cependant, si au lieu d’additionner les déplacements, on additionne les carrés de ces déplacements, alors on ajoute une quantité positive à la distance totale qui croît donc à chaque pas. Ceci permet donc d’obtenir une meilleure évaluation de l’espace exploré par la particule. Le déplacement carré moyen est défini par une relation mathématique établie par Louis Bachelier en 1900. Suivant la forme de la courbe de déplacement carré moyen, on peut ensuite déterminer si le mouvement de la particule observée est directif, brownien ou brownien confiné (d’après la thèse de Sébastien Le Roux, 2008).
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