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Med Sci (Paris). 2012 May; 28(5): 462–464.
Published online 2012 May 30. doi: 10.1051/medsci/2012285006.

Le paludisme : quelle place pour l’axe hepcidine-fer ?

Sophie Vaulont,1* Laurent Rénia,2 and Dominique Labie1

1Institut Cochin, Inserm U1016, CNRS UMR 8104, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
2Singapore immunology network (SIgN), 8A biomedical grove, immunos building, level 4, Singapore
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Peptides antimicrobiens cationiques, génétique, métabolisme, physiologie, Hepcidines, Humains, Fer, Paludisme, étiologie, parasitologie, Souris, Modèles biologiques, Plasmodium berghei, Transduction du signal, Surinfection, prévention et contrôle, Répartition dans les tissus

 

Le fer fait partie des nutriments les plus convoités par les pathogènes pour se multiplier. Ces derniers ont de fait développé des systèmes sophistiqués pour récupérer de façon maximale, parfois aux dépens de l’hôte, ce métal si précieux [1]. Au cœur de cette bataille, l’hepcidine joue un rôle important dans la défense de l’hôte. L’hepcidine est une hormone hyposidérémiante, induite lors d’épisodes infectieux, qui agit en limitant l’export du fer des entérocytes (provenant du fer alimentaire) et des macrophages (provenant du catabolisme de l’hémoglobine) [2]. Les données récentes de la littérature sur le paludisme proposent un bel exemple de la place importante tenue par l’axe hepcidine-fer dans la compétition hôte-pathogène.

Physiopathologie du paludisme

Le paludisme, malaria dans la littérature anglophone, est une des maladies infectieuses les plus fréquentes au monde, responsable chaque année de plus d’un million de décès, transmise par la piqûre d’un moustique femelle infecté [3]. Cette piqûre introduit dans l’organisme l’agent infectieux, le Plasmodium. En Afrique subsaharienne, l’agent infectieux dominant est le Plasmodium falciparum et le principal vecteur l’Anopheles gambiae. Introduit au niveau de la peau, le sporozoïte gagne la circulation et les sinusoïdes hépatiques. Il parvient ainsi aux hépatocytes, il y forme une vacuole parasitophore où il croît et se multiplie en formant des milliers de mérozoïtes. Ce sont ceux-ci qui, libérés dans la circulation, envahissent et détruisent les globules rouges (GR) et sont donc responsables de la maladie, alors que le stade hépatique est cliniquement silencieux. L’hémolyse des GR provoquée par les mérozoïtes contribue au développement de l’anémie et à la libération d’hémozoïne (polymère de molécules d’hème produit par le parasite après digestion de l’hémoglobine) qui est responsable de fortes fièvres.

Chaque cycle réplicatif, de deux jours dans le cas de P. falciparum, libère une vague de mérozoïtes qui envahissent de nouveaux GR. À cette phase de multiplication asexuée succède, après un temps variable, le développement de certains mérozoïtes en formes sexuées du parasite, les gamétocytes, qui pourront être prélevés par une autre piqûre de l’anophèle. C’est dans l’organisme du vecteur qu’a lieu la reproduction sexuée du Plasmodium, aboutissant à la formation de sporozoïtes qui gagneront ses glandes salivaires et pourront être l’agent d’une nouvelle transmission.

Dans les zones où le paludisme est endémique, les individus peuvent êtres exposés à plusieurs centaines de piqûres de moustiques infectés par an, conférant un risque de surinfection. Cependant, au cours d’études épidémiologiques, plusieurs auteurs ont constaté qu’il existait un effet « parasite-dépendant » protecteur en fonction de l’âge. Alors que les jeunes enfants de moins de 6 ans présentent une parasitémie sanguine élevée, ils ont cependant un risque moindre de surinfection. Avec l’âge, la parasitémie sanguine diminue et les enfants/adultes deviennent alors sujets aux surinfections. Les mêmes études épidémiologiques insistent par ailleurs sur l’extrême fréquence d’autres infections associées, microbiennes ou virales, ainsi que sur l’importance des diverses carences nutritionnelles. La comorbidité est une donnée presque constante du patient africain.

Dans quelle mesure un modèle murin pouvait-il expliquer les observations cliniques, l’influence de l’âge sur les surinfections, et identifier un mécanisme protecteur ?

Le parasite, via l’augmentation de l’hepcidine, provoque la redistribution du fer dans l’organisme 

Pour identifier les mécanismes de résistance à la surinfection, Portugal et al. [4] ont infecté des souris par inoculation de sporozoïtes Plasmodium berghei-GFP (Pb-GFP, green fluorescent protein) et, après apparition du parasite dans le sang, ont réalisé une surinfection secondaire avec Plasmodium berghei-Luciférase (Pb-Luc) (Figure 1). Les auteurs montrent qu’au-delà d’un certain seuil de parasitémie Pb-GFP, les souris deviennent résistantes à l’infection hépatique provoquée par l’inoculation secondaire Pb-Luc [4]. Cette résistance se traduit par la réduction du nombre et de la taille des formes exoérythrocytaires (EEF) dans le foie et l’absence totale de parasites Pb-Luc dans le sang.

Cette résistance ne semble pas être spécifique de la souche de parasites et elle est perdue si les souris infectées sont traitées par la chloroquine, un agent antipaludéen, ce qui renforce l’idée que la présence des parasites est nécessaire à l’induction de cette résistance. Comment les parasites induisent-ils cette résistance et protégent-ils ainsi l’hôte d’une surinfection ?

Une analyse transcriptomique différentielle hépatique a permis de révéler l’augmentation d’un certain nombre de gènes impliqués dans la réponse immunitaire (récepteurs Toll-like, chimiokines, composants du complément et interféron), et la réponse proapoptotique. Toutefois, ceux-ci n’ont pas été retenus, car des études partielles menées dans des modèles dépourvus de ces molécules ne montrent aucune modification du processus de résistance à la surinfection. Un gène du transcriptome a cependant rapidement retenu l’intérêt des auteurs, celui codant pour l’hepcidine. Ce petit peptide hormonal qui permet de régler l’homéostasie du fer dans l’organisme [5, 6] se trouve augmenté après la première infection. La distribution du fer serait-elle alors altérée par l’infection Pb-GFP ?

En défendant sa niche, le parasite pourrait protéger l’organisme d’une surinfection

C’est effectivement le cas, à partir d’un certain seuil de parasitémie, les macrophages hépatiques et spléniques se chargent en fer alors qu’à l’inverse, les hépatocytes deviennent déficients en fer. Ce déficit en fer pourrait être la clé de la résistance à la surinfection : le nouveau parasite serait alors privé de carburant hépatique pour son développement. Pour démontrer le rôle du fer dans le développement du parasite, les auteurs réalisent des expériences d’infection, mais sur des souris prétraitées avec du fer ou avec un chélateur du fer. Ils observent qu’effectivement, le fer augmente - et le déficit en fer réduit - le développement du parasite. Pour valider l’effet causal de l’augmentation de l’hepcidine dans la résistance à la surinfection, les auteurs montrent qu’une augmentation d’hepcidine seule (obtenue par différents procédés : injection du peptide, souris transgéniques surexprimant l’hepcidine ou infectées avec un adénovirus-hepcidine), sans infection primaire, conduit à une résistance partielle. Ces résultats, qui suggèrent un rôle protecteur de l’hepcidine dans la défense de l’hôte contre le parasite, viennent d’être confirmés par une équipe chinoise qui montre que le prétraitement des souris par le LPS (lipopolysaccharide) - agent bactérien connu pour induire l’hepcidine -, tout comme l’injection d’un lentivirus-hepcidine, protègent de l’infection sanguine, alors qu’à l’inverse, l’inhibition de l’hepcidine par des anticorps anti-hepcidine exacerbe l’infection [7].

De façon intéressante, Portugal et al. [4] observent que les taux d’ARNm codant pour l’hepcidine corrèlent parfaitement avec la parasitémie mesurée par Pb-GFP et qu’au-delà d’un certain seuil, ils sont inversés et corrélés au développement hépatique Pb-Luc. Reste à expliquer comment l’hepcidine est augmentée au cours de l’infection. Cette question importante semble controversée. Pour Portugal et al. [4], l’induction de l’hepcidine pourrait être multifactorielle (BMP [bone morphogenic protein], IL[interleukine]-6 et autres facteurs) alors que pour Wang et al. [7], l’induction de l’hepcidine serait médiée par l’IL-6 (et non la voie BMP) et l’hémozoïne pourrait contribuer à l’augmentation de cette cytokine pro-inflammatoire.

Il est à noter que l’augmentation des taux d’hepcidine avait déjà été rapportée chez de jeunes patients infectés [8, 9]. Les auteurs avaient alors souligné le rôle potentiel de cette augmentation d’hepcidine dans la pathogenèse de l’anémie.

Peut-on extrapoler ces résultats obtenus chez la souris à l’homme ?

Il est souvent difficile de transposer l’observation des mécanismes de tolérance ou de résistance observés au cours de l’étude expérimentale d’un pathogène à un « monde réel » où les sujets sont simultanément exposés à des pathogènes multiples. Or, on l’a dit, la comorbidité est habituelle chez l’enfant africain. Des observations déjà anciennes et nombreuses ont constaté que l’infection par le Plasmodium se double très souvent d’une infection par des salmonelles non typhoïdiques (NTS) : Salmonella enterica serovar1 Typhimurium et Salmonella enterica serovar Enteritidis. Un tableau clinique non spécifique est souvent grave avec environ 20 % d’évolution fatale [10].

Quel serait le rôle possible du fer dans l’interaction entre le Plasmodium parasite et les Salmonella NTS ? Requis pour le développement du Plasmodium, le fer est aussi un nutriment indispensable à celui de la bactérie. Or, la redistribution du fer vers les macrophages, et peut-être les polynucléaires, leur fournit ce nutriment. Dans une étude récente sur un modèle murin de co-infection par le Plasmodium yoelii et Salmonella typhimurium évoluant vers une bactériémie mortelle, les auteurs montrent le rôle clé de l’hème oxygénase (HO) : cette enzyme, induite par l’hème libéré par l’hémolyse des GR infectés par Plasmodium, serait responsable d’une augmentation de fer dans les cellules myéloïdes immatures, ainsi que de la diminution d’espèces réactives bactéricides, deux conditions favorables au développement de Salmonella [11].

Conclusion

Une augmentation des taux d’hepcidine dans le paludisme pourrait rendre compte de la résistance à la surinfection par redistribution du fer et contribuer au développement de l’anémie, complication et cause majeure de la mortalité due au parasite chez l’enfant. Ces études relancent de fait le débat sur les stratégies thérapeutiques de supplémentation en fer dans les zones de paludisme endémique. Les nouvelles données acquises dans le modèle murin apportent de nouvelles pistes de recherche qui restent à confirmer chez l’homme.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Au sein de chacune des sous-espèces de Salmonella enterica, il est possible de distinguer des sérovars caractérisés par leurs antigènes somatiques (0), flagellaires (H) et, éventuellement, par leur antigène Vi (virulence). Le terme de sérovar est préféré à celui de sérotype.
References
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