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Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 365–367.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284011.

Transfert nucléaire chez l’homme
Difficile reprogrammation sept ans après le Cloningate

Laure Coulombel1*

1médecine/sciences, 2, rue d’Alésia, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Bovins, Clonage d'organisme, éthique, méthodes, tendances, médecine vétérinaire, Recherche sur l'embryon, Développement embryonnaire, génétique, physiologie, Femelle, Humains, Modèles biologiques, Techniques de transfert nucléaire, Ovocytes, cytologie, Ovis

Quinze ans après Dolly et Marguerite

Quatorze ans se sont écoulés depuis la naissance de la brebis Dolly en 1997 [1] et de la vache Marguerite en 1998 à l’Inra, deux mammifères « clonés », c’est-à-dire nés du transfert d’une cellule somatique dans un ovocyte énucléé, dont on a ensuite déclenché les premières divisions embryonnaires. Dolly et Marguerite vécurent longtemps et eurent beaucoup d’enfants. Quelques années plus tard étaient obtenues des lignées de cellules souches embryonnaires (CSE) à partir de blastocystes établis par transfert nucléaire (nt) chez la souris [2] - et plus récemment chez des primates non humains [3]. Si aucun obstacle insurmontable ne s’oppose en théorie à la reprogrammation de noyaux somatiques humains par l’environnement de l’ovocyte, ces recherches sont non seulement techniquement très difficiles, mais surtout elles se heurtent aux questions éthiques que soulève la collecte d’ovocytes humains - le « cloningate » de Woo Suk Hwang est encore dans toutes les mémoires [4] - et, dans de nombreux pays dont la France, à l’interdiction de cette technique de transfert nucléaire. Les données publiées sont donc très rares, et ne concernent que le développement jusqu’au stade blastocyste d’un ovocyte énucléé dans lequel un noyau somatique a été transféré [57], mais aucune lignée de cellules ntCSE n’en a été dérivée.

L’intérêt même du transfert nucléaire est mis en doute depuis la découverte retentissante par S. Yamanaka que l’expression transitoire de trois ou quatre facteurs de transcription dont Oct4 permet de reprogrammer (presque) n’importe quelle cellule somatique en une cellule souche pluripotente (appelée iPS ou induced pluripotent stem cell). Le père de Dolly, Ian Wilmut, avait même proclamé, dans une interview à la BBC en novembre 2007 qui avait fait grand bruit, que le transfert nucléaire n’avait plus aucun intérêt. La reprogrammation par transfert nucléaire est pourtant un exemple plus abouti de reprogrammation que les iPS, puisqu’elle aboutit à un zigote totipotent. Les iPS, comme les cellules ES, étant « seulement » pluripotentes, et incapables - si elles ne sont pas insérées dans un blastocyste hôte [8] - de se développer en un embryon. Ces ntCSE permettraient donc peut-être d’explorer les mécanismes très précoces du développement embryonnaire, ce d’autant que la pluripotence des CSE humaines est probablement assez limitée [8](), et pourraient être moins « instables » que les iPS. Ces arguments ont été développés par des scientifiques du CIRM (California institute for regeneration medicine) dans un article paru dans Nature Biotechnology en août 2011 [9], qui prônait la poursuite de ces recherches.

(→) Voir Nouvelle, page 370 de ce numéro

Échec de reprogrammation par transfert nucléaire chez l’homme

Or, deux mois plus tard, en octobre 2011, une équipe new yorkaise publie dans Nature [10] la première étude analysant en détail les évènements induits par le transfert d’un noyau somatique humain dans un ovocyte humain. La force de ce travail vient du grand nombre d’ovocytes utilisés (n = 270) assurant la reproductibilité des observations [10]. Le débat éthique sur les conditions d’obtention de ces ovocytes est d’ailleurs ouvert par les auteurs dans un article séparé publié dans Cell Stem Cell [11] (voir plus loin). Les auteurs ont utilisé les conditions classiques du transfert nucléaire : fusion de la cellule fibroblastique (en l’injectant sous la membrane pellucide) avec un ovocyte au stade de métaphase II préalablement énucléé, migration du noyau dans l’ovocyte, activation artificielle de l’ovocyte par ionomycine. Les fibroblastes provenaient ici de deux hommes adultes, un individu normal et un patient diabétique. Tous les ovocytes énucléés et fusionnés avec un fibroblaste puis activés (n = 31) déclenchent bien la première division de clivage mais le développement s’arrête systématiquement au stade 6-10 cellules, et n’aboutit jamais à un blastocyste (Figure 1A). Cet échec n’est pas imputable à la technique d’énucléation ou de transfert per se, mais en partie à l’âge du noyau. En effet, ce blocage de croissance n’existe pas si le noyau transféré est celui d’une cellule embryonnaire, par exemple un noyau de blastomère1 (Figure 1C) ou de CSE, comme cela avait été montré précédemment. D’autre part, 76 % des ovocytes contrôles fécondés in vitro par un gamète mâle (16/21), et 25 % des 52 ovocytes activés artificiellement sans énucléation (déclenchant un processus de parthénogenèse) se développent en une morula compactée puis en un blastocyste. Que se passe t-il donc lorsqu’un noyau somatique adulte est substitué au noyau de l’ovocyte ? Ce noyau n’est pas reprogrammé, et est transcriptionnellement « inactif » : au jour 3, il n’exprime ni les gènes spécifiques de son programme antérieur, ni ceux caractéristiques d’un zygote transcriptionnellement actif. Les auteurs montrent que pour déclencher la reprogrammation du noyau de fibroblaste adulte, la présence du génome de l’ovocyte (donc du noyau haploïde) est nécessaire. La démonstration est faite en fusionnant le fibroblaste avec un ovocyte qui n’a pas été énucléé : dans ce cas, les embryons (triploïdes car leur noyau contient le génome somatique diploïde et le génome haploïde de l’ovocyte) atteignent le stade blastocyste dans 21 % des cas (13/63 ovocytes) (Figure 1B). De la masse interne de ces blastocystes triploïdes, les auteurs ont dérivé 2 lignées de cellules ES (une dérivant des noyaux fibroblastiques du patient diabétique et l’autre de l’individu normal). Ces CSE, amplifiées pendant plus de 100 doublements de population en 6 mois, sont également triploïdes, et leur génome mitochondrial est d’origine exclusivement ovocytaire. Des anomalies chromosomiques sont détectées dans une des deux lignées de CSE. Ces anomalies touchent les chromosomes 12 et 17 classiquement atteints aussi dans les CSE issues de blastocystes préimplantatoires « classiques ». Le profil transcriptonnel de ces lignées ntCSE est proche de celui d’autres cellules pluripotentes : lignées de CSE humaines de référence, ou lignées de CSE issues d’embryons parthénogénétiques, ou iPS issues de la reprogrammation des fibroblastes des deux individus dont les noyaux ont été transférés dans les ovocytes. Une prouesse technique basée sur le calcul du rapport (dans l’ADN génomique ou ADNc) des SNP (single nucleotide polymorphisms) exprimés par les allèles somatiques (x2) ou ovocytaire (x1) permet aux auteurs de distinguer les transcrits d’origine somatique ou ovocytaire dans cet hybride, et apporte la preuve de la reprogrammation du noyau somatique. Une observation importante, qui devra être confirmée, est que la reprogrammation serait « complète », sans qu’il n’y ait trace de « mémoire épigénétique » du fibroblaste d’origine dans le noyau somatique reprogrammé. Cette observation fragmentaire ne permet pas à elle seule d’affirmer que ces cellules ntCSE ont un degré de reprogrammation plus complet que celui des iPS issus des mêmes fibroblastes de peau, mais la question mérite d’être posée.

Il est difficile de prédire si ce type de recherches va ou non se poursuivre : indépendamment des difficiles questions éthiques que soulève la question du don d’ovocytes, l’intérêt scientifique est certain : l’identification des facteurs clés produits par l’ovocyte et les cellules embryonnaires précoces qui sont requis pour la reprogrammation permettrait de définir des conditions de transfert nucléaire efficace en l’absence du génome ovocytaire. Il s’agit probablement de facteurs de transcription maternels présents dans l’œuf non fécondé et le zygote. Le facteur Glis1, récemment identifié comme facilitant la reprogrammation des iPS, est un bon candidat [12].

Des questions éthiques difficiles, une recherche controversée

Dans un article publié simultanément dans Cell Stem Cell [11], les auteurs de l’article de Nature discutent le point éthique très délicat du don d’ovocytes à visée de recherche. Une autre prise de position est également publiée, celle de I. Hyun, ancien président du sous-comité de l’ISSCR (international society for stem cell research) pour l’utilisation d’éléments du corps humain [13]. Les auteurs posent très clairement le problème de la rétribution des femmes donnant des ovocytes dans le cadre d’un programme de recherche, arguant que ces recherches ne pourront pas être poursuivies si les femmes ne sont pas rétribuées, compte tenu des inconvénients liés à la procédure de recueil. Dans leur article de Nature, les auteurs de l’article expliquent en détail leur démarche : 16 femmes parmi les 252 qui ont participé à un programme de don d’ovocytes initialement dans un objectif de reproduction ont été sélectionnées sur des critères très précis. Toutes ont été dédommagées quelle que soit la destination du don, reproduction ou recherche, et la possibilité d’un don à la recherche n’était jamais proposée d’emblée.

Cette étude a été faite aux États-Unis, pays dans lequel la procédure du don d’ovocytes dans le cadre d’une procédure d’AMP (assistance médicale à la procréation) s’accompagne du versement d’une somme (5 à 8 000 $) en dédommagement des frais occasionnés, somme qui n’est considérée ni comme un paiement des ovocytes euxmêmes, ni comme incitant les femmes à prendre des risques. En revanche, si le don d’ovocytes est destiné uniquement à un protocole de recherche, la rétribution des femmes n’est pas autorisée par les bonnes pratiques éditées par the US National Academy of Science (NAS) ou par le California Institute for Regenerative Medicine (CIRM), et les chercheurs américains financés par l’état fédéral ou le CIRM ne pourront pas utiliser les lignées dérivées par Noggle et al. [10]. Au contraire, l’ASRM (american society for reproductive medicine) recommande ce dédommagement, que le prélèvement se fasse dans un but reproductif ou de recherche. Le nouveau directeur du CIRM, Alan Trounson - le père du premier bébé « éprouvette » australien - semblerait, lui aussi, adopter une position plus souple que l’attitude initiale prônée par cet institut. Au Royaume-Uni, la HFEA2 dans un communiqué en date d’octobre 2011 vient de modifier les conditions de dédommagement des femmes donnant des ovocytes, qui reçoivent désormais une somme de 750 £ au lieu de 250 £ précédemment. Cette modification a été approuvée par le Nuffield Council of Bioethics, celui-ci allant plus loin dans son rapport et prônant une compensation pour les donneuses d’ovocytes à visée de recherches. Quant à l’ISSCR (un organisme international qui se veut l’expression de la communauté scientifique), ses recommandations n’approuvent ni d’interdisent explicitement cette rétribution, mais remarquent que les considérations financières ne doivent pas être une incitation au don, ni le paiement fonction du nombre ou de la qualité des ovocytes. En France, le don d’ovocytes comme tous les dons d’éléments du corps humain est encadré par la loi de bioéthique ; celle-ci (révisée en 2011) interdit toute rémunération en contrepartie du don d’ovocytes, les donneuses bénéficiant de la prise en charge des frais occasionnés par le don. Le transfert nucléaire, comme la création d’embryons à visée de recherches, sont interdits par la loi de bioéthique.

Conflits d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 On désigne par ce terme les cellules des premières divisions embryonnaires qui, en théorie, sont équivalentes et totipotentes.
2 Human fertilization embryology authority.
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