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Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 358–360.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284008.

Rôle des fibrilles amyloïdes dans la transmission du VIH

Nadia R. Roan,1* Marielle Cavrois,1 and Warner C. Greene1

1Gladstone Institute of Virology and Immunology, University of California at San Francisco, San Francisco, CA94158, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Amyloïde, analyse, métabolisme, physiologie, Animaux, Susceptibilité à une maladie, Infections à VIH, étiologie, anatomopathologie, VIH-1 (Virus de l'Immunodéficience Humaine de type 1), Humains, Mâle, Modèles biologiques, Sperme, composition chimique, Maladies sexuellement transmissibles virales

 

Comme en témoignent les 34 millions de personnes infectées en 2010, le VIH/Sida demeure un problème de santé publique majeur [1]. Une grande partie des infections mondiales se concentrent en Afrique sub-saharienne où la transmission lors de rapports hétérosexuels est le mode de propagation le plus courant. Comme cette transmission se produit quasiment toujours en présence de sperme, il est essentiel d’élucider l’effet du sperme sur la transmission du virus.

Le sperme, un facteur facilitateur de l’infection VIH

Loin d’être un véhicule passif pour le VIH, le sperme peut grandement augmenter l’infection par le VIH in vitro. Plusieurs groupes ont publié que la présence de sperme augmente dramatiquement l’infection de lignées cellulaires et de cellules primaires par le VIH [26]. Quels sont les facteurs présents dans le sperme responsables de cet effet ? Un certain nombre de composants du liquide séminal, dont la fonction physiologique est de protéger les spermatozoïdes lors de leur voyage vers l’ovule, peuvent protéger également les virions. C’est le cas des amines basiques comme la spermine, la spermidine, putrescine, cadavérine, etc., qui évitent la dénaturation des spermatozoïdes dans l’environnement acide de l’appareil vaginal et qui, malheureusement, empêchent aussi l’inactivation du virus [79]. D’autres composants du sperme, plus récemment identifiés par Munch et al. forment des fibrilles amyloïdes capables d’augmenter l’infectivité du VIH [2]. Ces fibrilles ont été nommées SEVI pour semen-derived enhancer of viral infection. L’augmentation du pouvoir infectieux du VIH conférée par SEVI est plus marquée lorsque l’inoculum viral est limité, une situation qui semble survenir lors de la transmission du VIH. Des expériences de dilution limite du virus ont montré que les fibrilles de SEVI peuvent augmenter l’infection par un facteur de 100 000 [2]. Une dose de VIH qui serait donc insuffisante pour être infectieuse pourrait devenir, dans ce contexte, hautement infectieuse.

Les fibrilles amyloïdes du sperme

Les fibrilles amyloïdes sont des polymères de feuillets β et ont été déjà associées à des maladies neurologiques, maladies d’Alzheimer et de Huntington par exemple. SEVI est constitué de fragments de la phosphatase acide prostatique (PAP), une protéine produite par la prostate et sécrétée dans le sperme. Lors d’études visant à caractériser davantage le SEVI endogène présent dans le sperme, nous avons identifié une seconde substance amyloïde formant des fibrilles qui, elle aussi, améliore considérablement l’infection par le VIH [5]. Ces fibrilles sont dérivées de fragments de la séménogéline (SEM) [10], un des constituants majeurs du coagulum de sperme. Cette observation, publiée l’année dernière dans Cell Host and Microbe, suggère que de multiples protéines du sperme humain peuvent former des fibres amyloïdes favorisant l’infection par VIH [5].

SEVI et les fibrilles amyloïdes de SEM partagent de multiples propriétés. Toutes deux sont formées de fragments de protéines abondantes dans le sperme humain. SEVI dérive de la PAP. Les fibrilles SEM dérivent de la SEM qui est produite par les vésicules séminales et sécrétée dans le sperme (Figure 1). PAP et SEM sont présentes dans le sperme à des concentrations de l’ordre de plusieurs milligrammes [11, 12]. SEVI et les fibrilles amyloïdes de SEM partagent également des propriétés biophysiques. En solution aqueuse, le monomère de SEVI et les peptides de SEM s’assemblent spontanément en fibrilles amyloïdes, qui peuvent être révélées par un marquage à la Thioflavine T ou au rouge-Congo, ou par microscopie électronique [2, 5]. En raison de l’abondance de multiples résidus basiques, SEVI et les fibrilles de SEM sont chargés très positivement. Lorsque leurs charges sont neutralisées par des polymères anioniques, SEVI et les fibrilles SEM perdent leur capacité à augmenter l’infection au VIH des cellules cibles [35]. De plus, le sperme traité avec ces polymères anioniques ou duquel on a éliminé les facteurs chargés positivement, perd lui aussi son activité facilitatrice de l’infection [35]. Ces fibrilles semblent donc favoriser l’infection en diminuant la répulsion électrostatique entre les membranes chargées négativement du virus et de la cellule cible (Figure 1).

Rôle des fibrilles amyloïdes du sperme dans le pouvoir infectieux du VIH

SEVI et les fibrilles SEM endogènes sont-elles responsables de la capacité du sperme à augmenter l’infection par le VIH ? Deux arguments expérimentaux suggèrent de façon indirecte qu’elles sont responsables au moins en partie de cette activité. D’une part, l’abondance de SEVI et SEM dans le sperme de différents donneurs corrèle avec la capacité relative de ces échantillons de sperme à augmenter l’infection par le VIH [5, 13]. D’autre part, les échantillons de sperme provenant de patients présentant une obstruction du canal éjaculateur sont à la fois moins riches en SEVI et en fibrilles SEM, et sont complètement dépourvus de la capacité à augmenter l’infection par le VIH in vitro [5].

Plusieurs questions émergent de l’identification de ces fibrilles amyloïdes favorisant l’infection in vitro de cellules par le VIH. À quel moment se forment-elles in vivo ? Leur concentration est-elle contrôlée ? Quelle est leur fonction physiologique ? Des fragments de SEM étant détectés dans les vésicules séminales [14], il est possible que les fibrilles de SEM commencent à se former avant l’émission du sperme. Bien que les fibrilles de SEVI et SEM soient dérivées de protéines complètement différentes, elles possèdent les mêmes propriétés biophysiques. Ceci suggère qu’elles pourraient avoir un rôle naturel commun, par exemple comme aide au processus de reproduction. En effet, la fusion des spermatozoïdes avec les ovocytes ressemble à celle du VIH avec sa cellule cible [15]. Ces fibrilles pourraient donc jouer un rôle fondamental dans la fertilisation de l’ovocyte.

Il reste essentiel d’évaluer in vivo dans quelle mesure le sperme et ces fibrilles amyloïdes favorisent la transmission du VIH. Une étude basée sur des modèles de macaques rhésus et de souris humanisées est en cours. Si leur rôle est confirmé dans ces modèles in vivo, il deviendrait essentiel que la prochaine génération de microbicides cible non seulement le VIH mais aussi les facteurs du sperme favorisant sa transmission. Des agents de désagrégation des fibrilles [6, 16] ou empêchant leur interaction avec les virus [4] pourraient être utilisés en combinaison avec des inhibiteurs viraux pour former un microbicide plus efficace pour prévenir la transmission sexuelle du VIH.

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