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Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 353–355.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284006.

Approche optogénétique de suppression de la plasticité synaptique induite par la cocaïne
Normalisation de la sensibilisation locomotrice

Christian Lüscher1,2 and Vincent Pascoli1*

1Department of basic neurosciences, medical faculty, university of Geneva, 1211Geneva, Suisse
2Clinic of neurology, department of clinical neurosciences, Geneva university hospital, 1211Geneva, Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Comportement, effets des médicaments et des substances chimiques, Sensibilisation du système nerveux central, génétique, Cocaïne, pharmacologie, Troubles liés à la cocaïne, physiopathologie, psychologie, Potentiels évoqués, Humains, Locomotion, physiologie, Système de signalisation des MAP kinases, Souris, Souris transgéniques, Modèles biologiques

La plasticité synaptique, support de l’addiction

La consommation de cocaïne provoque des altérations comportementales pouvant conduire à l’addiction. L’addiction est caractérisée par une perte de la liberté individuelle se manifestant par un affaiblissement du contrôle de la consommation en dépit des conséquences néfastes ressenties, et par un fort risque de rechute après une période de sevrage. Une meilleure connaissance des circuits neuronaux impliqués et la modélisation animale des différentes facettes de l’addiction ont permis d’accroître notre compréhension des mécanismes de l’addiction aux drogues. Il est notamment établi que les drogues d’abus modifient l’efficacité des connexions entre les neurones dans les circuits cérébraux de la récompense [1] et que cela contribue aux altérations comportementales caractéristiques de l’addiction [2].

La découverte que ces changements (plasticité synaptique) sont réversibles chez la souris établit la preuve de concept que ce type de stratégie pourrait être élaboré pour traiter l’addiction aux drogues [3]. La plasticité synaptique, le processus par lequel les connexions (synapses) entre les cellules nerveuses sont renforcées ou réduites selon leur niveau d’activité, est naturellement essentielle pour le développement et l’apprentissage. Cependant, la plasticité synaptique est également impliquée dans certaines pathologies neurologiques (ou psychiatriques), notamment celles qui résultent de la consommation abusive de drogues, celle-ci représentant alors une forme d’apprentissage pathologique.

Plasticité synaptique induite par la cocaïne : une caractéristique des neurones MSN exprimant D1R

Nous avons restreint notre étude à une partie du système de récompense, le striatum ventral (ou noyau accumbens [NAc]) et au principal type cellulaire qui le constitue, les neurones épineux de taille moyenne (medium-sized spiny neurons [MSN]). Ces neurones intègrent les signaux provenant des aires limbiques et corticales contrôlant les comportements motivés via le neurotransmetteur glutamate et les signaux transmis par la dopamine et provenant de l’aire tegmentale ventrale (ATV) (Figure 1). Puis, ces neurones MSN communiquent avec les circuits moteurs qui engagent la réponse comportementale. La cocaïne, comme les autres drogues addictives, provoque une forte élévation de la concentration en dopamine dans les structures cérébrales recevant les terminaisons des neurones dopaminergiques de l’ATV, notamment le NAc. Cette élévation de dopamine est à l’origine des effets renforçants [4] et d’adaptations neuronales précoces [5].

Les neurones MSN peuvent être divisés en deux populations de même taille selon le sous-type de récepteur de la dopamine qu’ils expriment, D1R ou D2R [6]. L’utilisation de souris transgéniques exprimant la protéine fluorescente eGFP (enhanced green fluorescent protein) spécifiquement dans les MSN de type D1R ou D2R permet l’identification de ces neurones lors des enregistrements électrophysiologiques. Ces deux populations projettent vers différentes structures et ont différentes fonctions, même si ces distinctions sont moins claires pour le NAc que pour le striatum dorsal. Nous avons montré que la cocaïne provoquait un renforcement (potentialisation) des synapses glutamatergiques spécifiquement sur les D1R-MSN [3].

Voie de signalisation ERK et plasticité synaptique

Parmi les voies de signalisation engagées par l’excès de dopamine, la phosphorylation de ERK (extracellular signal-regulated kinase) dans le NAc est particulièrement intéressante parce qu’elle est impliquée dans les adaptations comportementales induites par la cocaïne [7] et parce qu’elle est dépendante de la stimulation coordonnée des D1R et des récepteurs au glutamate NMDA [8, 9]. In vitro, la potentialisation à long terme (LTP) des synapses glutamatergiques des MSN dépend de la stimulation de ces mêmes récepteurs [10]. La LTP est une forme de plasticité synaptique dans laquelle l’activité renforce les synapses glutamatergiques, généralement via l’insertion dans la membrane plasmique du neurone postsynaptique d’un plus grand nombre de récepteurs au glutamate (de type α-amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazolepropionic acid receptor [AMPAR]). Dans un travail récent nous avons montré que la plasticité synaptique induite par la cocaïne nécessite l’activation de ERK (Figure 1) [3]. La voie ERK pourrait intervenir dans l’adressage rapide des AMPAR à la membrane [11] et dans le maintien de cette plasticité via les régulations épigénétiques induites par les drogues [12, 13].

La suppression de la plasticité synaptique induite par la cocaïne efface la sensibilisation locomotrice

Nous avons étudié la plasticité synaptique induite par la cocaïne associée à la sensibilisation locomotrice : on désigne ainsi l’augmentation de la réponse locomotrice qui est observée lors d’administrations répétées de la drogue, et qui persiste longtemps après son arrêt. La potentialisation de ces synapses par la cocaïne suit le même décours temporel que la sensibilisation locomotrice : les deux phénomènes sont observés une semaine après l’instauration du traitement à la cocaïne, mais ne le sont plus un mois après. Une théorie influente dans le domaine de l’addiction propose que les propriétés « motivationnelles » de la cocaïne (qui poussent les consommateurs à rechercher la drogue) seraient responsables de la sensibilisation [14]. Pour établir une relation causale entre le renforcement des synapses glutamatergiques chez les animaux sensibilisés à la cocaïne et l’expression comportementale de cette sensibilisation locomotrice, nous avons testé si, en l’absence de potentialisation, la sensibilisation persistait ou était supprimée. Pour cela nous avons utilisé l’optogénétique qui permet de contrôler par des flashs de lumière (470 nm) l’activité des neurones. En pratique, la protéine sensible à la lumière (channel rhodopsin [ChR2]) est introduite via un vecteur viral dans le cortex infralimbique, et des canules dans lesquelles passent les fibres optiques sont implantées dans le NAc, ce qui permet de stimuler sélectivement par la lumière les terminaisons glutamatergiques. La stimulation de ces neurones à une basse fréquence (1 Hz, protocole de long term depression [LTD]) permet la « dépotentialisation » de la transmission glutamatergique sur les MSN par un mécanisme postsynaptique (réduction du nombre de AMPAR à la membrane des MSN). L’application de ce traitement abolit complètement la sensibilisation locomotrice, ne laissant apparaître qu’une réponse non sensibilisée lors d’une réexposition à la cocaïne (Figure 2). Ainsi, en effaçant la plasticité synaptique induite par la cocaïne chez des souris, nous avons rétabli la réponse comportementale initiale [3].

Implications et perspectives

Cette étude prouve que des neuroadaptations précoces induites par quelques injections de cocaïne sont réversibles. Ceci est surprenant sachant que les individus ayant une addiction ont des changements très persistants de leur cerveau et une vulnérabilité à la rechute tout au long de leur vie. Notre approche est innovante parce qu’elle diffère significativement des approches pharmacologiques précédemment testées. Ce traitement par la lumière, en agissant directement sur l’activité synaptique, aboutit à une réelle normalisation relayée par les mêmes mécanismes physiologiques que ceux qu’utilise le cerveau pour réguler l’efficacité de ses synapses. Chez l’homme, cela pourrait être effectué par stimulation cérébrale profonde (deep brain stimulation [DBS]) ou par stimulation magnétique transcrânienne plutôt que par une approche optogénétique [15], mais à ce jour nous n’avons pas de preuve que cette approche soit efficace chez des toxicomanes. Préalablement aux études cliniques chez l’homme, il faudrait évaluer cette stratégie dans des modèles plus sophistiqués d’addiction chez l’animal, impliquant notamment une prise volontaire de cocaïne par l’animal.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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