Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 341–343.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284002.

Quand trop de myélinisation détruit la myéline

Sylvain Bartolami1,2* and Nicolas Tricaud1

1Équipe Avenir « myéline » Inserm U1051, institut des neurosciences de Montpellier, hôpital Saint-Éloi, 80, rue Augustin Fliche, 34091Montpellier cedex 5, France
2Université Montpellier 2, place Eugène Bataillon, 34095Montpellier cedex 5, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Protéines adaptatrices de la transduction du signal, génétique, métabolisme, physiologie, Animaux, Maladie de Charcot-Marie-Tooth, anatomopathologie, Maladies démyélinisantes, étiologie, Humains, Protéines membranaires, Modèles biologiques, Gaine de myéline, ultrastructure, Dégénérescence nerveuse, Neuréguline-1, Phosphohydrolase PTEN

 

L’augmentation de la vitesse de conduction nerveuse, grâce au processus de myélinisation, est un élément essentiel de l’émergence des vertébrés. Dans le système nerveux périphérique, les cellules de Schwann s’enroulent en plusieurs tours de spires membranaires compactes autour de l’axone qui constituent des manchons électriquement isolants - les gaines de myéline - séparés par les nœuds de Ranvier. La succession de ces gaines augmente la vitesse de conduction nerveuse car les potentiels d’action doivent sauter d’un nœud de Ranvier à un autre, ce qui accélère leur vitesse de propagation. L’épaisseur et la longueur de la gaine de myéline sont donc des paramètres essentiels de la conduction de l’influx nerveux. L’importance fonctionnelle de la myéline est particulièrement mise en exergue lorsque survient une réduction de la conduction nerveuse comme dans les pathologies démyélinisantes très handicapantes, par exemple les maladies de Charcot-Marie-Tooth (CMT) [1].

Régulation de la myélinisation

La myélinisation est propre aux axones de gros calibre (supérieur à 1 µm). L’étape de myélinisation est induite via la synthèse de facteurs trophiques dont le plus connu est la neuréguline 1 (NRG1) de type III [2]. Cette protéine transmembranaire est présentée par l’axone et interagit avec les récepteurs erythroblastic leukemia viral oncogene homolog 2/3 (erbB2/3) des cellules de Schwann [3, 4]. L’activation de ces récepteurs provoque la différenciation des cellules de Schwann immatures en cellules de Schwann myélinisantes, puis stimule la production de myéline par ces cellules [2] via la voie de signalisation de la phosphoinositide-3 kinase (PI3K) et de la protéine kinase B (AKT) [5].

Certaines maladies de Charcot Marie Tooth se traduisent par un dépôt anormal de myéline sous forme d’accumulations focales qui suggèrent un excès de myélinisation. C’est notamment le cas lors de certaines mutations du gène codant pour la myotubularin-related protein 2 (MTMR2) dans la CMT de type 4B. Dans les nerfs de souris, MTMR2 interagit avec la protéine de polarité cellulaire Disks large homolog 1 (Dlg1), suggérant l’intervention d’un processus de polarisation de la cellule de Schwann lors de la myélinisation. Après avoir étudié la polarisation cellulaire des cellules de Schwann myélinisantes [6], nous avons montré que Dlg1 et MTMR2 participaient à un mécanisme prévenant un excès de myélinisation dans ces cellules. Ces résultats ont été obtenus via une approche d’ARN interférence qui permet d’inhiber la synthèse d’une protéine cible à l’aide de short hairpin RNA (ARNsh) ciblant l’ARNm sur le RNA-induced silencing complex (RISC) [7]. Cette inhibition de l’expression d’une protéine est possible in vivo en utilisant des vecteurs viraux exprimant les ARNsh spécifiquement dans les cellules de Schwann [6]. De tels virus, injectés dans le nerf sciatique de souris nouveau-nés, ont été utilisés pour éteindre l’expression de Dlg1 pendant la myélinisation. Privées de Dlg1, les cellules de Schwann produisent des gaines de myéline significativement plus épaisses que celles que produisent des cellules de Schwann infectées avec un virus contrôle (Figure 1AC). À l’inverse, lorsque Dlg1 est surexprimée dans les cellules de Schwann via un vecteur viral, celles-ci sont incapables de synthétiser la gaine de myéline. Ces résultats montrent que Dlg1 participe à un mécanisme d’inhibition de la myélinisation. Cependant, quel est son mode d’action ?

Le couple Dlg1/PTEN : un frein à la myélinisation au cours du développement et chez l’adulte

Nous nous sommes basés sur le fait que Dlg1 peut interagir avec la phosphatase with sequence homology to tensin (PTEN) qui inhibe l’activation d’AKT [8, 9]. Des expériences de co-immunoprécipitation ont confirmé que Dlg1 et PTEN interagissaient bien dans les cellules de Schwann [7]. De plus, la quantité de PTEN présente dans ces cellules était directement liée au niveau d’expression de Dlg1. Ce résultat suggérait que Dlg1 pouvait contrôler la quantité de PTEN disponible, et donc l’activation d’AKT et la régulation de la myélinisation. En effet, l’inhibition in vivo de l’expression de PTEN induit un excès de myélinisation comparable à celui qui est observé lorsque Dlg1 est éteint, suggérant que ces deux facteurs coopèrent pour inhiber la myélinisation. L’utilité d’un tel mécanisme de régulation est manifeste lors du développement du nerf sciatique de la souris. En effet, douze jours après la naissance, l’épaisseur de la myéline commence à tendre vers l’optimal, et la quantité de Dlg1 et de PTEN atteint un pic qui s’accompagne ensuite d’un fléchissement du degré de myélinisation. Ce mécanisme de limitation de la myélinisation semble persister chez l’adulte car l’inhibition de l’expression de Dlg1 chez des souris plus âgées induit également la production de manchons de myéline hypertrophiés (Figure 1D) qui finissent par dégénérer [7]. Le freinage exercé par Dlg1 sur la myélinisation est donc nécessaire pour éviter un excès de myélinisation puis une démyélinisation. Mais qui enclenche ce frein ?

Défaut du frein de la myélinisation exercé par Dlg1 dans les CMT 4B

Compte tenu de son rôle clé dans la myélinisation, l’influence de NRG1 sur le duo Dlg1/PTEN a été étudiée. De fait, les quantités de Dlg1 et de PTEN s’accroissent lorsque les cellules de Schwann sont stimulées par la NRG1. En effet, cette dernière inhibe l’ubiquitinylation de Dlg1 et de PTEN, bloquant leur dégradation par le protéasome. En conséquence, les deux protéines ainsi protégées s’accumulent et exercent une inhibition croissante sur la voie PI3K/AKT. Lorsque Dlg1 devient prédominant - ce qui arrive vers la fin de la 3e semaine de vie chez la souris -, la myélinisation est contrainte de s’arrêter. Ainsi la NRG1 active deux voies antagonistes : l’une, via PI3K/AKT, stimule la myélinisation ; l’autre, via Dlg1 et PTEN, la stoppe (Figure 2AB).

Mais notre résultat le plus marquant [7] est d’avoir établi un lien entre cette régulation de la myélinisation et certaines CMT. En effet nous avons effacé Dlg1 dans le nerf sciatique de souris dont le gène Mtmr2 a été invalidé et qui représentent donc un modèle de la CMT de type 4B [10]. La suppression de Dlg1 n’induit pas d’excès de myélinisation indiquant que, chez ces mutants CMT-4B, Dlg1 n’exerce pas son rôle de frein de la myélinisation. Ces résultats suggèrent que la défaillance du mécanisme inhibant la myélinisation est à l’origine de l’excès de myélinisation qui s’accompagne d’une démyélinisation caractéristique la CMT de type 4B (Figure 2CD).

En résumé, au cours du développement, une myélinisation optimale des axones nécessite un processus de freinage, reposant sur Dlg1 et PTEN, couplé, via NRG1, au processus de stimulation axonale. Dans les nerfs matures, la perte de fonction de Dlg1 provoque un excès de myélinisation suivi d’une démyélinisation. La perturbation de ce mécanisme de freinage pourrait donc jouer un rôle majeur dans la physiopathologie des neuropathies démyélinisantes caractérisées par une myélinisation excessive focale comme on l’observe dans la maladie de CMT de type 4B.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions J.L. Pasquier pour son aide à la réalisation des figures.

References
1.
Vallat JM, Funalot B. La maladie de Charcot-Marie-Tooth . Med Sci (Paris). 2010; ; 26 : :842.–847.
2.
Nave KA, Salzer JL. Axonal regulation of myelination by neuregulin 1 . Curr Opin Neurobiol. 2006; ; 16 : :492.–500.
3.
Lee KF, Simon H, Chen H, et al. Requirement for neuregulin receptor erbB2 in neural and cardiac development. Nature. 1995; ; 378 : :394.–398.
4.
Riethmacher D, Sonnenberg-Riethmacher E, Brinkmann V, et al. Severe neuropathies in mice with targeted mutations in the ErbB3 receptor . Nature. 1997; ; 389 : :725.–730.
5.
Taveggia C, Zanazzi G, Petrylak A, et al. Neuregulin-1 type III determines the ensheathment fate of axons . Neuron. 2005; ; 47 : :681.–694.
6.
Ozçelik M, Coter L, Jacob C, et al. Pals1 is a major regulator of the epithelial-like polarization and the extension of the myelin sheath in peripheral nerves . J Neurosci. 2010; ; 30 : :4120.–4131.
7.
Cotter L, Ozçelik M, Jacob C, et al. Dlg1-PTEN interaction regulates myelin thickness to prevent damaging peripheral nerf overmyelination . Science. 2010; ; 328 : :1415.–1418.
8.
Salemena L, Carracedo A, Pandolfi PP. Tenets of PTEN tumor suppression . Cell. 2008; ; 133 : :403.–414.
9.
Contreras-Paredes A, De la Cruz-Hernández E, Martínez-Ramírez I, et al. E6 variants of human papillomavirus 18 differentially modulate the protein kinase B/phosphatidylinositol 3-kinase (akt/PI3K) signaling pathway . Virology. 2009; ; 383 : :78.–85.
10.
Suter U, Scherer SS. Disease mechanisms in inherited neuropathies . Nat Rev Neurosci. 2003; ; 4 : :714.–726.