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Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 339–340.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284001.

Apprivoiser nos ennemis pour en faire des alliés : la « virothérapie » anticancéreuse

Guy Lemay1*

1Département de microbiologie et immunologie, Université de Montréal, case postale 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (Qc), H3C 3J7Canada
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Recherche biomédicale, méthodes, Modèles animaux de maladie humaine, Spécificité d'hôte, physiologie, Humains, Thérapie moléculaire ciblée, tendances, Tumeurs, anatomopathologie, thérapie, Thérapie virale de cancers, utilisation, Spécificité d'organe, Maladies virales, étiologie, Phénomènes physiologiques viraux

 

L’idée que les virus puissent agir comme agents anticancéreux n’est pas nouvelle et date essentiellement du début du xxe siècle ; l’historique du sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une excellente revue [1]. Une compréhension limitée des virus et de leur mode de multiplication ne permit toutefois pas à cette approche d’être retenue, par rapport à d’autres méthodes jugées sans doute plus directes et faciles à maîtriser, telles que la radiothérapie et la chimiothérapie. Pourtant, au cours des dernières années, l’idée d’utiliser des virus comme agents thérapeutiques a refait surface, en grande partie en raison de notre capacité à modifier les génomes viraux et à notre meilleure connaissance des interactions virus-cellules. Alors qu’avant 1990 moins d’une centaine d’articles peuvent être trouvés dans PubMed en utilisant oncolytic virus comme termes de recherche, ce nombre atteint plus de 1 700 pour la période 2000-2010 et plus de 300 pour la seule année 2011 ! Depuis une douzaine d’années, des chercheurs du monde entier se réunissent ainsi tous les deux ans pour discuter des progrès dans la conception de ces virus dits « oncolytiques » (qui lysent ou détruisent les cellules cancéreuses) ; nous étions plus de 200 en 20111.

Les interrogations suscitées par l’utilisation de virus comme agents thérapeutiques ont évolué de façon importante au cours des dernières années. Les craintes d’effets néfastes ont pratiquement disparu à la suite des résultats des nombreux travaux utilisant des modèles animaux. Des premiers essais chez l’humain ont également permis de démontrer l’innocuité de plusieurs virus parmi les plus prometteurs. Les doutes concernant leur sécurité ont donc fait place à un questionnement sur leur efficacité réelle en thérapie. De nouvelles approches sont ainsi envisagées dans le but d’accroître l’activité oncolytique tout en préservant l’innocuité ce qui, en dernier ressort, déterminera le succès de la virothérapie anticancéreuse.

Malgré la centaine d’études cliniques2 et l’adoption en Chine d’un premier virus pour une utilisation en thérapie [2], l’intérêt pour l’amélioration des agents existants et pour l’identification de nouveaux virus à potentiel thérapeutique ne se dément donc pas [3, 4]. Selon l’expression de Roberto Cattaneo, le virus idéal devrait être « ciblé, blindé et armé » [5]. Un virus ciblé infecterait les cellules cancéreuses sans affecter les autres cellules (spécificité) alors que le terme blindé indique qu’il devrait aussi être protégé des attaques du système immunitaire. Un agent thérapeutique armé suggère que l’on pourrait y ajouter des gènes amplifiant la destruction des cellules tumorales infectées (efficacité). Cette destruction pourrait être due à l’effet cytolytique du virus lui-même, au recrutement du système immunitaire, ou à l’expression d’un produit toxique ou potentialisant l’effet de la radiothérapie ou de la chimiothérapie.

Des chercheurs dans le monde entier travaillent donc toujours à l’optimisation de leur virus favori pour l’empêcher d’infecter les cellules normales tout en le rendant dévastateur pour les cellules tumorales. Parmi la multitude de virus à l’étude, on trouve celui de la rougeole [6, 7] () qui, étonnamment, a trouvé son chemin jusque dans la culture populaire. En effet, ce virus est utilisé comme traitement du cancer dans la version 2007 du film de science-fiction Je suis une légende 3,, dans lequel il transforme une partie de la population en zombies4,, un scénario qui fait naturellement sourire les virologistes ! Sur une note plus sérieuse, il n’en demeure pas moins qu’il peut paraître surprenant qu’un virus toujours responsable du décès de plus de 100 000 enfants par an dans le monde5 soit envisagé en thérapie. Son utilisation nécessitera de toute évidence une excellente compréhension de sa biologie et des modifications à apporter à cet agent pathogène afin de le rendre à la fois sans danger et efficace. La disponibilité de souches vaccinales est sans doute un atout pour atteindre cet objectif. Le virus de la rougeole apparaît, en fait, comme un très bon exemple des travaux en cours vers la mise au point d’une virothérapie anticancéreuse.

(→) Voir l’article de Y. Touchefeu et al., page 388 de ce numéro

La première étape de l’infection virale étant l’attachement, ou liaison, à la surface cellulaire, il est certain que l’utilisation de virus se liant de manière préférentielle aux cellules tumorales pourrait s’avérer une excellente stratégie pour augmenter la spécificité d’infection. L’efficacité pourrait aussi être améliorée par cette spécificité de la cible, en diminuant les pertes dues à l’attachement sur des cellules autres que tumorales. Une approche possible consiste à modifier le génome viral par génie génétique afin d’ajouter des séquences peptidiques à la surface externe des particules virales. Cette stratégie a pour but de permettre la liaison à des molécules absentes, ou présentes à un très faible niveau, sur les cellules normales comparativement aux cellules cancéreuses. Cette technique a été utilisée pour des virus oncolytiques tels que l’adénovirus, le parvovirus humain et les virus de la stomatite vésiculaire et de l’herpès [8]. Le virus de la rougeole démontre, lui, une capacité naturelle à s’attacher à plusieurs types de cellules cancéreuses ; l’ajout d’une séquence additionnelle favorisant sa liaison aux cellules du cancer de la prostate cible tout de même l’infection de manière préférentielle vers celles-ci [9].

Au cours des derniers mois, des groupes canadiens et américains ont tour à tour rapporté l’utilisation de la protéine cellulaire nectine-4 comme récepteur du virus de la rougeole au niveau des cellules épithéliales du système respiratoire [1012] (). Cette infection serait un préalable à la sortie du virus et à sa transmission entre individus. Les protéines SLAM et CD46 sont, elles, utilisées lors de l’entrée du virus dans l’organisme et dans les cellules du système immunitaire. De manière intéressante, les trois protéines sont exprimées à des niveaux élevés à la surface des cellules cancéreuses, dont plusieurs lignées dérivées d’adénocarcinomes humains ; ceci explique sans doute en partie l’affinité naturelle du virus pour les cellules tumorales. Des mutants incapables de reconnaître SLAM et CD46 sont toujours capables de s’attacher à la nectine-4, mais ne semblent plus être pathogènes [13] ; ils pourraient donc être de bons candidats comme agents oncolytiques. Ces nouvelles données illustrent bien la nécessité de poursuivre les études afin de mieux rediriger l’infection vers les cellules que l’on souhaite détruire.

(→) Voir l’article de M. Mateo et M. Lopez, page 363 de ce numéro

Il faut toutefois souligner que l’attachement d’un virus à la surface cellulaire n’est que la première étape du cycle de réplication. Plusieurs autres facteurs peuvent influencer la capacité d’un virus à se multiplier dans un type de cellules en particulier. Parmi les stratégies les plus prometteuses visant à obtenir des virus se répliquant uniquement dans les cellules cancéreuses, mentionnons la modification du génome viral par l’ajout de séquences cibles pour des microARN cellulaires. Certains de ces microARN sont présents en quantité très diminuée dans les cellules cancéreuses et la réplication du virus modifié pourrait donc avoir lieu de manière plus ou moins normale dans ces cellules. En revanche, le virus modifié se trouverait dans un cul-de-sac après son entrée dans des cellules normales [14]. Cette approche a été envisagée pour des virus aussi divers que l’adénovirus et les virus herpès, de la stomatite vésiculaire et de la vaccine. Ce même stratagème a aussi été utilisé pour le virus de la rougeole, plus spécifiquement afin de l’empêcher de se multiplier au sein des cellules neuronales exprimant un microARN spécifique de celles-ci [15].

Grâce aux avancées spectaculaires des dernières années, il y a donc tout lieu d’espérer que les virus oncolytiques rejoindront d’ici peu l’arsenal thérapeutique contre le cancer. Le travail se poursuit toujours afin de dompter les ennemis d’hier, dans l’espoir de s’en faire des amis pour mieux combattre celles qui, parmi nos propres cellules, nous trahissent de l’intérieur.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 The 6th International conference on oncolytic viruses as cancer therapeutics, Las Vegas, NV, March 20, 2011.
3 Film de Francis Lawrence (2007) avec Will Smith et Alice Braga.
References
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