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Med Sci (Paris). 2012 March; 28(3): 325–328.
Published online 2012 April 6. doi: 10.1051/medsci/2012283023.

Chroniques génomiques : Les tests génétiques grand public ont-ils une utilité clinique ?

Bertrand Jordan1*

1CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Accès à l'information, Participation communautaire, Tests diagnostiques courants, Dépistage génétique, Agences gouvernementales, Humains, Internet, Autosoins

Retour sur un essai aux résultats peu concluants

J’ai déjà eu l’occasion de dire ici mon peu d’estime pour les prétendus examens génétiques de prédisposition vendus par Navigenics, 23andMe ou DecodeMe (entre autres) [1, 2], en m’appuyant notamment sur un rapport très sévère du Government Accounting Office (GAO) à la suite d’un test en « caméra cachée » [3]. Je citais dans ma conclusion les paroles d’un clinicien qui affirmait : « La manière la plus exacte pour ces compagnies d’évaluer les risques de maladie serait pour elles de faire payer 500 dollars aux consommateurs en leur demandant leur ADN et une histoire médicale familiale détaillée, puis de jeter l’ADN et de faire des prévisions fondées exclusivement sur l’histoire familiale. » Un article tout récemment publié par la revue Genetic Epidemiology [4] apporte des données qui permettent de tester cette affirmation. Je consacre donc une chronique à l’examen de ces informations tout à fait éclairantes.

La Scripps Genomic Health Initiative

Le « matériau » qui permet cette étude est fourni par le projet SGHI (Scripps Genomic Health Initiative) lancé par l’institut Scripps (La Jolla, Californie, États-Unis) à la fin de 2008 et visant à examiner les motivations et le vécu de sujets qui ont recours à de tels tests de prédisposition [5]. Dûment approuvé par les comités d’éthique concernés, ce projet a regroupé plus de 3 000 volontaires qui ont fourni leur ADN afin qu’il soit analysé par Navigenics, l’une des entreprises les plus en vue dans ce secteur. Les volontaires ont payé de leur poche une partie de la facture, non sans avoir au préalable rapporté leur histoire médicale tant familiale que personnelle au fil d’un questionnaire détaillé portant sur 51 affections1,. Une fois les résultats du Navigenics Health Compass connus (Figure 1), on a pu en évaluer l’impact psychologique, l’influence sur d’éventuels changements de mode de vie et, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, la corrélation entre les indications fournies par Navigenics et les données médicales tant familiales que personnelles [4].

Une certaine cohérence…

Parmi les 23 affections pour lesquelles Navigenics donne une évaluation du risque, 16 font partie des 51 retenues pour le questionnaire médical. C’est donc sur ces 16 maladies que va porter l’étude comparative. Dans un premier temps, les auteurs ont recherché sur cet échantillon si les résultats du Navigenics Health Compass étaient corrélés avec l’histoire médicale familiale ou personnelle des participants. Vu la taille de l’échantillon (plus de 3 000 personnes), on peut valablement faire une telle étude. Si elle n’a aucun sens au niveau individuel, comme je l’avais relevé précédemment [1] (ce n’est pas parce qu’on a un risque élevé pour une affection que l’on en sera forcément atteint), elle devient pertinente si le nombre de cas est suffisant, comme pour le diabète de type 2 : la prévalence publiée est de 6,7 % et, de fait, dans l’échantillon, près de la moitié des participants ont au moins un membre atteint dans leur famille2 et près de 3 % (soit une centaine de personnes) souffrent effectivement de cette maladie. Parmi les 16 affections étudiées et présentées dans l’ordre décroissant d’héritabilité sur le Tableau I, toutes permettent ainsi une étude sur l’association avec l’histoire familiale, et la moitié environ sont suffisamment fréquentes pour autoriser l’étude de la relation avec l’histoire médicale personnelle. De fait, une corrélation très significative entre les indications de Navigenics et l’histoire médicale familiale est trouvée pour cinq affections (Tableau I) et, pour trois d’entre elles (maladie de Graves, diabète de type 2 et syndrome des jambes sans repos), avec l’histoire médicale personnelle. Ces cas de corrélation positive correspondent tous à des affections relativement fréquentes (donc statistiquement évaluables au sein de l’échantillon) et présentant une forte héritabilité (de 0,6 à 0,7). Au total, concluent les auteurs de l’étude, le Navigenics Health Compass donne bien - pour les maladies fortement héritables et relativement fréquentes - des résultats cohérents avec les données de l’histoire médicale du patient et de sa famille. Cela apparaît donc comme une validation partielle du test commercialisé par cette entreprise : il « capture » effectivement une fraction suffisante des déterminants génétiques de l’héritabilité pour fournir une évaluation du risque qui est cohérente (ou du moins corrélée) avec l’histoire familiale et, dans quelques cas, avec l’histoire personnelle des patients. Ce résultat positif n’était pas évident a priori : comme l’ensemble des snip (single nucleotide polymorphism) connus ne rend compte que d’une faible part de l’héritabilité d’une affection [6], la corrélation aurait fort bien pu être inexistante.

Mais qu’en est-il de la valeur ajoutée ?

Mais l’interrogation réellement pertinente est la suivante : le test Navigenics procure-t-il une information additionnelle par rapport à l’histoire familiale ? Cette dernière est après tout très informative [7], facile à obtenir, son coût est très faible sinon nul, et le test génétique ne se justifie réellement que s’il apporte des résultats plus complets et plus précis. Ce point peut être examiné en étudiant la valeur prédictive de l’histoire médicale familiale pour la santé du patient (repérée par son histoire médicale personnelle), et en voyant si l’ajout des résultats du test Navigenics améliore ou non cette prédiction. Ce point est examiné [4] en utilisant le formalisme des courbes ROC (receiver operating characteristic), très courant dans l’industrie du diagnostic mais peut-être moins connu des lecteurs de médecine/sciences - je vais donc en donner le principe [8]. Il s’agit d’un diagramme mis au point à l’origine dans le secteur des télétransmissions (d’où son nom) qui permet de représenter les performances d’un test en termes de sensibilité et de spécificité. Ces deux variables ne sont pas indépendantes : si l’on ajuste les paramètres d’un test (par exemple, la valeur du signal à partir duquel on considère que le résultat est positif) afin d’augmenter la sensibilité, on va du même coup générer plus de faux positifs et donc diminuer la spécificité. Dans un test de pur dépistage (sérologie VIH par exemple), on privilégiera la sensibilité, quitte à avoir quelques faux positifs qui seront éliminés par le test de confirmation plus spécifique (et plus coûteux) que l’on fera passer à tous les positifs en première intention. Dans d’autres cas au contraire, on privilégiera la spécificité. Les performances d’un test peuvent être représentées sur un graphique, appelé « courbe ROC » (Figure 2A), dans lequel un test parfait (parfaitement sensible et parfaitement spécifique) serait représenté par un point (en haut à gauche sur le graphique), un très bon test par une courbe montant très vite jusqu’au maximum, et un test sans valeur (pas différent d’un tirage au hasard) par une diagonale. On peut attribuer une valeur numérique à la qualité d’un diagnostic en calculant la surface comprise sous la courbe (AUC, area under the curve) : pour un test presque parfait, elle est proche de 1, pour un test sans aucun intérêt elle est de 0,5. On considère en général qu’un test clinique doit avoir une AUC au moins égale à 0,8 pour être utilisable.

Les auteurs ont alors étudié les performances d’un test prédisant l’histoire médicale personnelle à partir de l’histoire médicale familiale du même patient, et ont déterminé ses performances sur l’échantillon du projet SGHI. Selon les affections choisies, la valeur d’AUC obtenue oscille entre 0,55 et 0,68, des valeurs modestes mais significatives, confirmant ainsi que l’on peut dans une certaine mesure évaluer le risque d’une personne pour une affection à partir de son histoire médicale familiale. La question est alors : si l’on ajoute aux données familiales les résultats de l’analyse Navigenics, améliore-t-on la qualité de la prévision ? Comme on le voit sur la Figure 2B, la réponse est non : la courbe « sans Navigenics » et celle « avec » sont pratiquement confondues, l’analyse génétique telle qu’elle est pratiquée (et vendue) par cette entreprise n’ajoute donc rien aux informations familiales. La citation rappelée au début de cette chronique se trouve ainsi validée expérimentalement : une bonne histoire familiale vaut bien mieux que les analyses « génome entier » telles qu’elles sont pratiquées actuellement. Le seul cas de figure où le Navigenics Health Compass pourrait présenter un intérêt, selon les auteurs, est celui d’une personne adoptée, puisqu’en principe elle n’a pas accès aux données de sa famille biologique. Convenons que cela restreint considérablement le public concerné.

Une étude en vraie grandeur, des données objectives

Il faut donc souligner l’intérêt de cette étude et féliciter les auteurs de l’avoir entreprise : dans ce secteur commercialement très actif et idéologiquement « chaud » que constituent les tests génétiques grand public, on manque cruellement de données objectives tant sur la validité clinique que sur les résultats de leur mise en pratique3. Les démonstrations qu’apporte cette étude sont les bienvenues et devraient mettre un terme à certains fantasmes. Soulignons cependant qu’elles ne sont valables qu’à l’instant présent : avec l’amélioration des connaissances sur la corrélation génotype/phénotype et le passage probable du génotypage d’un million de snip au séquençage intégral du génome des clients, la qualité des informations fournies va s’améliorer, et certaines des conclusions développées ci-dessus seront sans doute à revoir.

Conflits d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Il s’agissait de 9 affections cardiaques, 15 types de cancer, 15 affections cérébrales ou mentales, 3 pulmonaires et 9 diverses.
2 Grands-parents, parents, oncles et tantes, frères et soeurs et enfants.
3 Les mêmes auteurs ont également évalué les conséquences d’un tel test sur le niveau d’anxiété, le comportement alimentaire et le niveau d’exercice physique des intéressés, et constaté que ces paramètres n’étaient pratiquement pas modifiés par le passage du test.
References
1.
Jordan B. Les tests génétiques en « caméra cachée » . Med Sci (Paris). 2001; ; 27 : :103.-106.
2.
Ducournau P, Gourraud PA, Rial-Sebbag E, et al. Tests génétiques en accès libre sur Internet : stratégies commerciales et enjeux éthiques et sociétaux . Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :95.-102.
3.
Direct-to-consumer genetic tests: misleading test results are further complicated by deceptive marketing and other questionable practices . GAO-10-847T July 22, 2010. Disponible à l’adresse www.gao.gov/new.items/d10847t.pdf..
4.
Bloss CS, Topol EJ, Schork NJ. Association of direct-to-consumer genome-wide disease risk estimates and self-reported disease . Genet Epidemiol. 2011 ; Novembre 29; (online). doi: 10.1002/gepi.20664..
5.
Bloss CS, Schork NJ, Topol EJ. Effect of direct-to-consumer genomewide profiling to assess disease risk . N Engl J Med. 2011; ; 364 : :524.-534.
6.
Jordan B. À la recherche de l’héritabilité perdue… . Med Sci (Paris). 2010; ; 26 : :541.-543.
7.
Valdez R, Yoon PW, Qureshi N, et al. Family history in public health practice: a genomic tool for disease prevention and health promotion . Annu Rev Publ Health. 2010; ; 31 : :69.-87.