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Med Sci (Paris). 2012 March; 28: 3–4.
Published online 2012 April 9. doi: 10.1051/medsci/2012281s101.

Sciences humaines, économiques et sociales
Ricochets d’idées sur la génomique et les essais cliniques

Claire Julian-Reynier1*

1Institut Paoli-Calmettes, UMR 912 Inserm-IRD - université Aix-Marseille, 232, boulevard Sainte Marguerite, 13009Marseille, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Essais cliniques comme sujet, économie, tendances, Biologie informatique, Dépistage génétique, éthique, Génomique, Humains, Élimination des déchets médicaux, méthodes, Tumeurs, diagnostic, génétique, anatomopathologie, Participation du patient, Relations entre professionnels de santé et patients, Plan de recherche, Sciences sociales, Recherche médicale translationnelle

 

Ce numéro hors série de médecine/sciences rend compte d’expériences de recherche et de réflexions de synthèse sur le thème des innovations en génomique et de leurs applications à l’oncologie clinique. La démarche qui sous-tend cet exercice est d’un genre difficile à qualifier. Son objectif était de faire fonctionner notre cerveau collectif dans le cadre d’une journée de restitution de réflexions sur des recherches menées depuis plusieurs années au sein d’équipes de recherche du cancéropole PACA [1]. Ce champ de la biomédecine est éclairé par des biologistes, puis abordé par des chercheurs en sciences humaines, économiques et sociales, chacun avec ses méthodes et ses propres cadres théoriques de référence. Le partenariat avec les cliniciens et avec les patients est au centre de cette réflexion. Pour chacune de ces approches, plusieurs disciplines se sont associées, afin de mieux définir les enjeux et de répondre aux questions soulevées par ces innovations biomédicales dans le cadre de leur transfert à la pratique clinique.

L’approche extrêmement originale de Jean-Philippe Cointet et al. [2], basée sur l’analyse de plusieurs milliers d’articles scientifiques via des analyses de réseaux, illustre, dans le cadre d’une analyse socio-épistémique, les collaborations nouvelles entre sociologues des sciences et informaticiens. Ce premier chapitre introduit le contexte scientifique général dans lequel se sont développées les connaissances en génomique du cancer au cours des dernières années, et montre comment ces connaissances ont très rapidement conduit au développement d’essais thérapeutiques ciblés sur les caractéristiques génomiques d’une tumeur [3]. Les travaux portant sur l’analyse de l’expression génique ont changé la représentation des cancers et tout particulièrement celle du cancer du sein. L’hétérogénéité moléculaire de cette maladie a conduit à sa redéfinition complète en sous-entités dont l’évolution clinique est corrélée à l’expression génomique, elle-même suggestive de nouvelles thérapeutiques spécifiques devant être testées par la suite [3]. Pour être capable de transférer ces molécules à la pratique clinique, il faut résoudre le dilemme que pose la prise en charge des coûts collectifs de la maladie cancéreuse [4]. La désescalade thérapeutique que permet le couplage des traitements aux tests identifiant les anomalies tumorales spécifiques peut être, dans certaines conditions, une piste vers une meilleure efficience des stratégies de prise en charge [4].

L’analyse génomique des tumeurs soulève la question de la décision des patients de participer aux recherches visant à valider de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques. Cette participation à la recherche, aux côtés de l’activité clinique, est considérée de manière très positive par les patients et la population française, même si l’implication des patients dans cette décision n’est pas encore forcément optimale [5]. Cette participation peut être sollicitée en amont du traitement initial, pour connaître la signature génomique de la tumeur et permettre l’inclusion du patient dans un essai clinique ou une cohorte ; elle peut aussi intervenir en aval, dans un deuxième temps, à distance de la maladie et de son traitement. Pour que cette possibilité existe, et après l’accord du patient, il faut conserver le prélèvement tumoral initial dans une tumorothèque pour son utilisation ultérieure. On pourrait penser que donner son autorisation d’utiliser pour la recherche une tumeur dont il a plutôt envie d’oublier l’existence est sans conséquence pour le patient ; cette question fait cependant l’objet de débats dans la mesure où l’étendue de cette autorisation, notamment à la transmission des données cliniques, n’est pas forcément bien comprise [5].

Les études cliniques basées sur l’analyse génomique de la tumeur comprennent ainsi une séquence de multiples consentements commençant en amont de la chirurgie afin d’organiser au mieux, techniquement, l’analyse génomique de la tumeur et la mise en place d’essais ou d’études cliniques. La participation du patient à la recherche est ainsi sollicitée dans un contexte de stress maximal, puisqu’elle est contemporaine de, voire préalable à, l’établissement du diagnostic formel de « son » cancer. Les entretiens réalisés auprès de patientes ayant participé à l’étude clinique SAO2 (voir Encadré, page 17 de ce numéro) ont clairement mis en évidence que la terminologie utilisée dans le cadre des analyses génomiques est source d’interprétations pouvant conduire à de vrais contresens sur la nature héréditaire du cancer de la personne traitée [6]. La sonorité des expressions « génomique » et « génétique » est ainsi source de confusion pour les femmes, et, chose importante, ces confusions ne sont pas exprimées auprès du corps médical. Ceci renvoie non seulement au concept de health literacy [7, 8] qui souligne la nécessité de posséder un minimum de connaissances sur le vocabulaire employé pour comprendre les enjeux de ce qui se trame dans un contexte donné, ici la santé, la génomique et l’oncologie, mais aussi à tout un système de croyances subjectives autour de la maladie et de ses représentations individuelle ou collective.

Enfin le dernier point abordé est celui de l’information donnée aux patients quant aux résultats de la recherche. Dans la majorité des études réalisées, les patients expriment la volonté de connaître les résultats des recherches auxquelles ils ont participé ; ainsi la loi française a souhaité formaliser cette possibilité. Ceci sous-entend d’organiser ce retour d’informations auprès des patients, plusieurs années après ; un tel processus est loin d’avoir été mis en place en pratique. Mais quels résultats les patients souhaitent-ils connaître ? Pourquoi ne les consultent-ils pas lorsqu’on les leur propose sur internet ? A. Sarradon-Eck et al. nous rapportent ce que les patients attendent de ce retour de résultats [9]. Leur texte montre que le retour d’informations tel qu’il est proposé ne correspond pas vraiment à ces attentes : pour la majorité des patients, un échange individuel avec le corps médical ayant pris en charge la maladie est une nécessité. Le clinicien-chercheur a engagé son patient dans ce qui peut être qualifié de parcours chimio-thérapeutique du combattant, il lui doit bien en retour un échange en face à face, pour lui expliciter les enjeux des résultats de la recherche pour lui-même et non seulement pour la « science » en général, à partir des résultats statistiques anonymes et peu accessibles [9].

Ainsi que le souligne Matt Ridley « Tout ce que nous utilisons aujourd’hui combine des idées différentes, est produit par de nombreuses personnes et échappe au savoir de l’individu… les réalisations de ce cerveau collectif sont plus brillantes que tout ce que nous pouvons comprendre. C’est pourquoi la planification centralisée ne peut pas marcher. Nous ne pouvons expliquer au cerveau collectif ce qu’il doit faire » [10]. Ainsi notre objectif n’était pas de cerner de manière exhaustive les enjeux de SHES concernant un champ d’innovations biomédicales en plein développement, ou de « faire le tour d’une question par des approches croisées» de manière transdisciplinaire [11]. Il était d’ouvrir des pistes, de suggérer des réflexions par des idées combinées, articulées, mêlant le plus d’acteurs possibles de la clinique, de la recherche et de la société civile, mêlant des groupes de réflexion portés par des représentants de leurs disciplines, groupes décrits comme générateurs de plus d’idées novatrices que des individus isolés [12]. Ainsi, de manière exemplaire, les initiatives de représentants des patients [13] nous rappellent que l’implication de ces derniers, aux côtés des cliniciens et des chercheurs, est un maillon indispensable à la réflexion et à l’action collective.

Ces recherches n’auraient pu être menées sans l’initiative des appels d’offres de l’Institut national du cancer [14] et sans le soutien bienveillant d’autres institutions1 dont la confiance et l’intelligence ont donné un espace de liberté nécessaire à l’expression d’idées nouvelles et attractif pour des chercheurs de SHES. Nous souhaitons que la lecture de ce numéro hors série de médecine/sciences puisse, elle aussi, être génératrice de connaissances et d’idées nouvelles.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les recherches présentées dans ce numéro spécial ont été soutenues par les contrats : INCA R06120AA ; INCA R0801 IIAA ; PHRC 2006 : APN « Cancer », projet 24-17 ; Conseil Régional PACA R07124AA.

 
Footnotes
1 Le Conseil régional PACA, l’Inserm, l’institut Paoli-Calmettes.
References
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