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Med Sci (Paris). 2011 August; 27(8-9): 707–709.
Published online 2011 August 31. doi: 10.1051/medsci/2011278011.

La pauvreté en sites d’initiation de la réplication rend-elle fragile certaines régions du génome ?

Anne Letessier,1 Daniel Birnbaum,1 Michelle Debatisse,2,3,4 and Max Chaffanet1*

1Centre de recherche en cancérologie de Marseille, UMR891 Inserm, Institut Paoli-Calmettes, 27, boulevard Leï Roure, 13009Marseille, France
2Institut Curie, centre de recherche, 26, rue d’Ulm, 75248Paris, France
3UPMC Université Paris 6, 75005, Paris
4CNRS UMR 3244, 75248Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Acid anhydride hydrolases, génétique, Aphidicoline, pharmacologie, Transformation cellulaire néoplasique, Cassure de chromosome, Sites fragiles de chromosome, effets des médicaments et des substances chimiques, Réplication de l'ADN, Génome humain, Humains, Lymphocytes, métabolisme, ultrastructure, Mitose, Modèles génétiques, Protéines tumorales, Syndromes néoplasiques héréditaires, Conformation d'acide nucléique, Contrainte mécanique

 

Les sites fragiles communs (SFC) sont des régions du génome où surviennent des cassures récurrentes lorsque les cellules sont exposées à des agents chimiques ou des conditions de cultures particulières (Encadré 1). Ils sont présents chez tous les individus, sont souvent conservés entre les espèces et chevauchent des gènes de grande taille codant pour de petits transcrits. Les SFC sont au nombre d’une centaine dans le génome des lymphocytes humains, mais seul un petit nombre d’entre eux est particulièrement instable et rend compte de plus de 80 % des lésions observées après exposition aux inducteurs [ 1]. L’intérêt pour les SFC vient de ce qu’ils sont considérés comme des sites préférentiels de réarrangements chromosomiques dans différents types de cancers [ 2, 3] et leurs altérations interviendraient à des stades précoces de l’oncogenèse [ 4].

Trois grandes questions se posent encore à propos de ces régions : (1) quelles sont les causes favorisant les cassures ? (2) Quel est le mécanisme de leur instabilité ? et (3) quelles sont les conséquences de l’instabilité sur la biologie de la cellule ? Les mécanismes de l’instabilité des SFC ont longuement été débattus et sont restés spéculatifs jusqu’à récemment. Une étude du laboratoire du Pr. Michelle Debatisse, publiée en février dans le journal Nature, a identifié les bases moléculaires de la fragilité des SFC [ 5].

Hypothèses expliquant la fragilité des sites fragiles communs

L’instabilité des SFC était jusque là attribuée à la présence de séquences intrinsèquement difficiles à répliquer [1]. En effet, malgré l’absence d’identification de séquence consensus, l’analyse des SFC a montré que ces sites comportent de grandes régions riches en dinucléotides AT, présentant une grande flexibilité de l’ADN, capables de former des structures secondaires. En présence de l’inducteur classique des SFC, l’aphidicoline - un inhibiteur des ADN polymérases -, il a été montré que la réplication des SFC est spécifiquement retardée. Il a aussi été montré qu’en présence de cette drogue, les hélicases ont tendance à progresser plus vite que les polymérases, engendrant l’apparition de longues régions simple brin à la fourche de réplication [1]. Au niveau des SFC, qui contiennent des séquences capables de former des structures secondaires [1, 6, 7], l’ADN simple brin structuré pourrait bloquer la progression des fourches, conduisant à la persistance de séquences non répliquées lors de l’entrée en mitose et à l’apparition de cassures double brin lors de la condensation des chromosomes. Cependant, des études à haut débit n’ont pas confirmé la richesse particulière des SFC en séquences capables de former des structures secondaires [ 8]. De plus, une étude de la dynamique de réplication du SFC FRA6E, situé en 6q26 (Encadré 2), n’a pas montré de ralentissement spécifique de la vitesse de progression des fourches le long de ce site [ 9]. Les mécanismes impliqués dans l’instabilité des SFC restaient donc mal définis.

1. Inducteurs des sites fragiles communs

In vitro :

  • inhibition partielle de la réplication : aphidicoline, 5-azacytidine, BrdU, FUdR ;
  • condensation prématurée des chromosomes : calyculine A ;
  • inhibition partielle de la transcription : camptothécine, actinomycine D.

In vivo :

  • facteurs exogènes : caféine, éthanol, fumée de cigarette, pesticides ;
  • agents de chimiothérapie : 5-azacytidine, actinomycine D, méthotrexate, camptothécine ;
  • facteurs liés au microenvironnement tumoral : pH, hypoxie.

Les bases moléculaires de la fragilité des SFC et les mécanismes qui y sont associés viennent d’être identifiés, notamment pour FRA3B situé en 3p14 [5], le site le plus fragile du génome des lymphocytes. Letessier et al., ont analysé la dynamique de réplication de la région la plus instable de FRA3B, qui contient l’oncosuppresseur FHIT (fragile histidine triad) [ 10]. L’approche originale des auteurs a combiné le peignage moléculaire, l’immunodétection des brins d’ADN néosynthétisés et l’hybridation par FISH (fluorescence in situ hybridization) de 29 sondes formant un « code barre » couvrant 1,6 Mb de séquence unique de FRA3B. Ces sondes ont permis de repérer et d’orienter sans ambiguïté les molécules d’ADN portant tout ou partie du gène FHIT. Ceci a permis de mesurer la vitesse de progression des fourches de réplication, de déterminer s’il existe des zones de ralentissement ou d’arrêt des fourches et de localiser les événements d’initiation et de terminaison de la réplication au sein de FRA3B. L’étude a été réalisée sur deux types de cellules, des cellules lymphoblastoïdes B transformées par le virus d’Epstein-Barr (JEFF) et des fibroblastes normaux (MRC-5) qui présentent respectivement un taux élevé et faible de cassures dans FRA3B en présence d’aphidicoline.

Fragilité des SFC et déficit en événements d’initiation de réplication

L’étude a montré que la fragilité de FRA3B n’est pas comme on le croyait liée à un ralentissement ou à un blocage spécifique des fourches de réplication, mais à l’existence d’une région pauvre en événements d’initiation de la réplication. Alors que dans les fibroblastes les événements d’initiation de la réplication sont distribués sur l’ensemble du locus, dans les cellules lymphoblastoïdes, ils sont exclus d’une région d’environ 700 kb centrée sur l’exon 5 du gène FHIT qui correspond au cœur du SFC. Ce résultat implique que, dans les cellules lymphoblastoïdes, le cœur du site est répliqué par les fourches venant des régions flanquantes, où les événements d’initiation surviennent à une fréquence normale. Ces fourches doivent donc parcourir de longues distances pour terminer la réplication du cœur. En analysant la cinétique de réplication de FRA3B dans ces deux types cellulaires, Letessier et al., ont également montré que la réplication de FRA3B s’achève très tardivement au cours de la phase S, voire en G2. Dans les cellules lymphoblastoïdes où le cœur de FRA3B est pauvre en événements d’initiation, la réplication complète du locus est spécialement dépendante de la vitesse de progression des fourches. La fragilité de FRA3B est spécifique des cellules présentant ce type de profil de réplication qui conduit, en conditions de stress réplicatif, à une entrée en mitose de cellules n’ayant pas complètement répliqué le cœur du site. Ces conclusions ont été étendues au deuxième SFC le plus actif, FRA16D situé en 16q23.2 (Encadré 2). Le fait que les programmes de réplication, déterminés par des facteurs épigénétiques, soient modulables et spécifiques d’un type cellulaire donné [ 11- 14], explique les variations des niveaux de fragilité des SFC dans différents types cellulaires. Les auteurs ont donc proposé l’hypothèse selon laquelle les SFC seraient des régions épigénétiquement définies correspondant aux dernières régions pauvres en événements d’initiation à être répliquées dans un type cellulaire donné (Figure 1).

Si notre connaissance du mécanisme des cassures des SFC s’est améliorée, il reste à déterminer si la fragilité de ces sites est une cause ou une conséquence de l’instabilité génétique présente dans les tumeurs, et si les gènes qu’ils contiennent jouent ou non un rôle dans le processus oncogénique. En d’autres termes, il faut déterminer le rôle de ces régions dans l’oncogenèse. Cependant, historiquement, les SFC ont été majoritairement cartographiés dans les lymphocytes [ 15]. En accord avec ces nouveaux résultats [5], pour déterminer l’implication des SFC dans les remaniements génomiques associés aux différents types de cancers, une carte de ces SFC devra être établie dans le type cellulaire dont le cancer est originaire.

2. Sites fragiles communs (SFC)

Les SFC de chaque chromosome sont identifiés par les lettres « FRA » (= fragile) suivies par le numéro du chromosome et une lettre qui indique le site fragile identifié sur ce chromosome. Cette lettre est déterminée par la chronologie des découvertes des sites. Tout nouveau site fragile décrit aura la lettre suivante de l’alphabet pour les distinguer le long d’un même chromosome.

FRA3B : site fragile commun, induit par l’aphidicoline, fra(3)(p14.2)

FRA6E : site fragile commun, induit par l’aphidicoline, fra(6)(q26)

FRA16D : site fragile commun, induit par l’aphidicoline, fra(16)(q23.2)

Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
References
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Durkin SG , Glover TW . Chromosome fragile sites . Annu Rev Genet. 2007; ; 41 : :169.-192.
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Bignell GR , Greenman CD , Davies H , et al. Signatures of mutation and selection in the cancer genome . Nature. 2010; ; 463 : :893.-898.
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Letessier A , Millot GA , Koundrioukoff S , et al. Cell-type-specific replication initiation programs set fragility of the FRA3B fragile site . Nature. 2011; ; 470 : :120.-123.
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Schwartz M , Zlotorynski E , Kerem B . The molecular basis of common and rare fragile sites . Cancer Lett. 2006; ; 232 : :13.-26.
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