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Med Sci (Paris). 2011 November; 27(11): 924–926.
Published online 2011 November 30. doi: 10.1051/medsci/20112711003.

Un virus, hôte indésirable de L. guyanensis, détermine la gravité de la forme mucocutanée de la leishmaniose

Catherine Ronet,1 Stephen M. Beverley,2 and Nicolas Fasel1*

1Département de biochimie, Faculté de biologie et médecine, Université de Lausanne,chemin des Boveresses 155, 1066 Epalinges, Suisse
2Department of Molecular Microbiology, School of Medicine, Washington University, 660 S. Euclid Avenue, Saint-Louis, MO 63110, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Immunité acquise, physiologie, Humains, Inflammation, complications, étiologie, Leishmania guyanensis, immunologie, virologie, Leishmaniose cutanéomuqueuse, classification, diagnostic, Modèles biologiques, Infections opportunistes, Infections à virus à ARN, Virus à ARN

Les différentes formes cliniques de leishmanioses

Les leishmanies sont des parasites protozoaires de la famille des Kinetoplastidae qui sont transmis à l’homme par la piqûre d’insectes hématophages, les phlébotomes, et sont les agents responsables des leishmanioses, infections présentes chez environ 12 millions de personnes dans le monde [ 1]. Depuis quelques années, les leishmanioses sont en recrudescence, ce qu’expliquent principalement l’apparition de résistances aux traitements et des co-infections avec le VIH (virus de l’immunodéficience humaine). Parmi les nombreuses espèces de leishmanies, environ une vingtaine sont pathogènes pour l’homme, comme Leishmania major, L. donovani, L. infantum ou bien encore, en Amérique Centrale et Amérique du Sud, L. mexicana, L. chagasi ou L. braziliensis. Selon l’espèce infectante, les leishmanioses se manifestent par des symptômes cliniques très divers ; les principales sont la leishmaniose cutanée (LC), la leishmaniose viscérale et la leishmaniose mucocutanée (LMC).

Les leishmanioses cutanées sont caractérisées par le développement de papules indolores évoluant vers des ulcérations qui généralement se résolvent de manière spontanée laissant cependant des cicatrices. La leishmaniose viscérale, également appelée Kala-azar, est une forme sévère de leishmaniose dont le diagnostic clinique est difficile ; elle se caractérise par des poussées de fièvre irrégulières, une perte de poids, une anémie et une hépatosplénomégalie. Ce type de leishmaniose n’est pas seulement dangereux pour l’homme mais aussi pour le chien car certaines espèces y sont très susceptibles. En l’absence de traitement, l’issue en est fatale. La leishmaniose mucocutanée (LMC) se différencie des autres leishmanioses par plusieurs aspects. Présente en Amérique du Sud, elle est causée principalement par des parasites protozoaires des espèces L.braziliensis, L.guyanensis et L.panamensis. Généralement, la LMC fait suite à une première lésion au site de la piqûre (Figure 1A). Cette lésion primaire se distingue de la lésion cutanée causée par L. major par une ulcération plus extensive et plus profonde, une évolution plus torpide, un potentiel de dissémination cutanée à distance (Figure 1B), voire une atteinte des muqueuses de la face souvent extrêmement mutilante (Figure 1C). Ces lésions secondaires sont massivement infiltrées par les cellules du système immunitaire, bien que le nombre de parasites présents soit relativement faible.

La réponse immunitaire innée est responsable de l’exacerbation de la réponse inflammatoire à Leishmania

Il est bien établi que non seulement l’espèce de parasite et sa virulence, mais aussi la réponse immunitaire de l’hôte, sont des facteurs importants pour le développement et/ou le contrôle de l’infection. Au cours d’un travail récent, nous avons démontré qu’un virus, membre de la famille des Totiviridae, est présent dans certaines souches de L. guyanensis et joue un rôle déterminant pour le développement de la réponse hyperinflammatoire ainsi que pour l’exacerbation de l’infection [ 2]. Nous avons basé notre étude sur deux types de clones dérivés d’une souche de L. guyanensis hautement disséminante (métastatique) chez le hamster : des clones non métastatiques (M−) et des clones M+ , qui, au contraire des M−, ont la capacité de disséminer depuis le site initial de l’infection et d’induire des lésions secondaires [ 35]. Sachant que, peu après leur transmission par leur vecteur dans la peau de l’hôte, les parasites Leishmania sont phagocytés par les macrophages, nous avons tout d’abord infecté des macrophages de souris avec des clones M+ et M− et déterminé que seuls les parasites M+ induisaient une forte transcription des gènes codant pour des cytokines et des chimiokines pro-inflammatoires (IL[interleukine]-6 et TNF-α [tumor necrosis factor], CXCL10 et CCL5), et leur sécrétion abondante. La production de ces médiateurs inflammatoires est précédée, dans les premières heures, par la production d’interféron de type I, l’IFN-β, qui pourrait agir via une boucle autocrine stimulant ainsi une production accrue de cytokines et chimiokines (Figure 2).

Dans le compartiment endosomal où les parasites résident et se répliquent, certains membres de la famille des récepteurs Toll-like sont exprimés : TLR3, 7/8 et 9. Ces récepteurs reconnaissent respectivement l’ARN double brin, l’ARN simple brin et de l’ADN double brin [ 6] et induisent la production de cytokines et chimiokines pro-inflammatoires par l’intermédiaire des facteurs de transcription IRF3 et NF-κB. L’utilisation de macrophages déficients pour les différents TLR ainsi que pour des molécules adaptatrices impliquées dans la transmission du signal comme la molécule TRIF (TIR-domain-containing adapter-inducing interferon-β), nous a permis de conclure que cette réponse antivirale induisait tout d’abord la production d’IFN-β puis celle d’IL-6, de TNF-α, de CXCL10 et de CCL5 et qu’elle était dépendante de la présence du récepteur endosomal TLR3, décrit pour son rôle dans la reconnaissance d’ARN double brin lors d’infections virales et l’activation des gènes des interférons de type I [ 7]. En dégradant spécifiquement l’ADN génomique et les ARN simple brin contenus dans les extraits nucléiques de parasites, nous avons confirmé que la réponse inflammatoire était due à la présence d’ARN double brin présent uniquement dans les parasites M+.

Le rôle déterminant d’un virus infectant L. guyanensis dans la réponse inflammatoire au parasite

Nous référant aux travaux antérieurs décrivant la présence de virus à ARN double brin dans certaines espèces de leishmanies d’Amérique du Sud, nous avons analysé les différentes souches utilisées dans notre étude et confirmé que seuls les parasites M+ étaient infectés par ces virus nommés leishmania RNA virus (LRV) [ 8, 9] et classés dans la famille des Totiviridae, famille qui regroupe aussi des virus infectant la levure du boulanger et d’autres parasites comme Trichomonas vaginalis. L’analyse de parasites isolés de lésions LMC a révélé qu’ils contenaient aussi du LRV, alors que celui-ci était absent dans les parasites issus de patients souffrant de LC. Ces parasites isolés de patients ainsi que des parasites isogéniques, c’est-à-dire ayant le même génome mais se distinguant par la présence ou l’absence de LRV, ont donné les mêmes résultats en termes de réponse inflammatoire après infection des macrophages. Finalement, nous avons confirmé nos résultats dans un modèle animal : lorsque des souris déficientes en TLR3 ou TRIF ont été infectées par injection de parasites M+ dans le coussinet plantaire, elles développent une réponse hyperinflammatoire qui se traduit par le dévelopement de lésions de taille inférieure à celle observée dans les souris contrôles exprimant TLR3 ou TRIF, et qui contiennent un plus petit nombre de parasites. Ces résultats confortent le fait que la présence de LRV dans les parasites M+ est le facteur dominant dans la réponse inflammatoire observée dans les LMC due à L. guyanensis et dans la pathogénicité du parasite.

En conclusion

Ce travail met en évidence le fait que la réponse immunitaire innée dirigée contre le parasite L. guyanensis est modulée par la présence d’un virus à l’intérieur du parasite lui-même. De plus, il semble que la présence de LRV soit un facteur favorisant la dissémination de l’infection vers des sites distants et la formation de lésions métastatiques. Cette observation est intéressante non seulement au niveau évolutif dans la relation entre le parasite et le virus, mais aussi parce qu’elle pourrait avoir des implications importantes tant au niveau diagnostique (la présence de LRV serait un facteur aggravant) que thérapeutique puisqu’une approche associant des drogues anti-Leishmania et des molécules anti-inflammatoires pourrait être nécessaire pour traiter les LMC, leishmanioses qui sont souvent résistantes au traitement conventionnel par les dérivés de l’antimoine.

Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Emilie Fasel et P.Desjeux pour les images de lésions, Annette Ives, Slavica Masina, Haroun Zangger, Florence Prevel, Giulia Ruzzante, Silvia Fuertes-Marraco, Frederic Schutz, Haroun Zangger, Melanie Revaz-Breton, Lon-Fye Lye, Suzanne M. Hickerson, Hans Acha-Orbea et Pascal Launois, pour leur contribution au travail original et Mary-Anne Hartley, Patrik Castiglioni pour leur participation aux dernières expériences, Ce travail a été financé par le FNRS n°3100A0-116665/1 et IZ 70Z0-191421 (NF) et le NIH NoAI 29646 (SMB).

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