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Med Sci (Paris). 2011 October; 27(10): 903–904.
Published online 2011 October 21. doi: 10.1051/medsci/20112710022.

A propos de… Une publication impulsive…

Stéphane Doly1*

1Inserm/UPMC UMR-S 839, Institut du Fer à Moulin; 8-10, rue des Fossés-Saint-Marcel, 75005Paris, France
Corresponding author.
 

Monsieur, J’ai lu avec intérêt votre chronique parue dans médecine/sciences sur l’impulsivité et la mutation Q20* des récepteurs 5-HT2B [ 1] (→). En tant que co-auteur de l’article que vous commentez, j’aimerais pouvoir contrebalancer votre vision des choses.

(→) Voir m/s n° 4, avril 2011, p. 439

Certes, votre chronique critique avant tout la mise en scène et l’enrobage accrocheur qui ont été construits autour de cet article, mais une lecture un peu rapide laisse l’impression que nous (les auteurs) faisons également partie de ces « imposteurs de la génétique » .

D’un point de vue plus général, je suis entièrement d’accord avec vous. Nombre d’articles publiés dans des revues prestigieuses (et pas seulement en génétique) ont tendance a faire « pschitt » après une lecture approfondie, mais sont pourtant largement relayés par les journalistes, ou, pire, dans d’autres articles scientifiques. Cette « surcommercialisation » de la science (il en faut un peu quand même) est exaspérante, surtout quand elle se drape ensuite, de façon abusive, dans les couleurs de « l’excellence » , réduisant de facto l’autre science à la médiocrité. Pour être honnête, certains de mes articles précédents, dont le facteur d’impact était ridicule comparé à celui de Nature, ont plus d’importance à mes yeux, mais j’imagine que cela est vrai pour beaucoup d’autres chercheurs.

Cependant, voici les précisions que j’aimerais apporter :

« La mutation Q20* est bien trois fois plus fréquente chez les impulsifs que chez les témoins, mais cette formulation masque la réalité des chiffres… 17 (sur 228) des impulsifs portent Q20*, versus 7témoins sur 295 » [1].

Ces chiffres sont clairement énoncés dans l’article, nous n’avons pas cherché à les masquer.

«Les auteurs mentionnent brièvement un individu homozygote Q20*/Q20* et indiquent que ce dernier aurait tendance à un comportement violent sous l’influence de l’alcool, - phénotype caractéristique s’il en est  ! Pourtant, l’effet de la mutation à l’état homozygote devrait être beaucoup plus marqué chez cette personne que chez les hétérozygotes » [1].

Oui, un comportement violent sous l’influence de l’alcool est un phénotype… certaines personnes ont des réactions opposées, suggérant potentiellement une influence génétique.

Non, une mutation à l’état hétérozygote n’a pas forcément un effet moins marqué qu’à l’état homozygote. Elle peut induire des compensations plus importantes ou différentes de celles induites à l’état homozygote et ainsi avoir un impact différent sur le trait de caractère complexe que l’on observe, y compris l’accentuer.

«Au total, les auteurs ont certes identifié une mutation qui peut jouer un certain rôle dans la tendance à l’impulsivité, mais il me semble que les données rapportées dans cet article ne méritaient pas un full paper dans Nature, et qu’elles auraient gagné à être plus solidement étayées » [1].

Nous savons, vous comme moi, qu’identifier « le » gène de l’impulsivité ne rime à rien face à la complexité des mécanismes impliqués dans ce type de comportement et la myriade de gènes mis en jeu. Ceci était très clairement mentionné dans la discussion de notre article :

« Thus, the Q20* allele can be regarded as one determinant of behavioural variation. However, the presence of Q20* was not in itself sufficient: male sex, testosterone level, the decision to drink alcohol, and probably other factors such as stress exposure, all have important roles. Although relatively common in Finland, HTR2B Q20* is unlikely to explain a large fraction of the overall variance in impulsive behaviours. There are likely to be many pathways to impulsivity in its various manifestations, and the genetic association may be present only in the most phenotypically extreme » [ 2]. Il me semble difficile d’être plus nuancé.

Sur ce dernier point, je regrette également que dans votre paragraphe « Une exploitation journalistique irresponsable » , vous n’ayez pas mentionné les interviews de David Goldman, auteur correspondant de cet article [ 3], dans lesquelles il précise systématiquement que ce n’est pas « le » gène de l’impulsivité et qu’être porteur de cette mutation n’est pas une fatalité. Ce dernier point aurait encore accentué le « décalage » entre le « news and views » [ 4] et l’article original. S’il y a imposture, les imposteurs ne sont pas nécessairement les auteurs euxmêmes, ce qui reste ambigu dans votre chronique.

Enfin, bien que critiquable dans ses limites propres, cet article s’inscrit dans un projet de recherche global sur le rôle, jusqu’alors inconnu chez l’homme, de ce récepteur dans des fonctions centrales. Dans ce cadre, il a le mérite de mettre en lumière le rôle potentiel du récepteur 5-HT2B dans l’impulsivité chez l’homme. Si les données publiées dans Nature sont solidement étayées, leurs limites (évoquées en partie dans votre chronique) illustrent bien combien il est difficile d’étudier un « trait de caractère » complexe, dont les mécanismes sont encore largement inconnus et dont l’étude nécessitera encore de nombreux articles décrivant « des gènes de l’impulsivité » avant d’être plus complètement disséqués, sans qu’aucun d’entre eux, considéré individuellement, ne réponde de manière satisfaisante à la question.

Ne vous méprenez pas sur ce message. Votre chronique, en un sens, me fait plaisir et au fond je l’approuve en grande partie. Je prendrai bien garde dans mon prochain article (un mutant du récepteur 5-HT2B associé à une population de cocaïnomanes), à ne pas le « vendre » comme « le » gène de l’addiction, mais je ne suis pas responsable de ce que les journalistes en feront… Très cordialement, Stéphane Doly

Réponse de Bertrand Jordan

Merci à Stéphane Doly de m’avoir fait part de ses réactions que médecine/sciences publie avec, bien sûr, son accord. Je ne reviendrai pas sur tel ou tel point technique qui pourrait donner lieu à discussion, il me semble plus utile de souligner combien cet épisode illustre les risques de dérapage médiatique inhérents aux travaux sur la génétique du comportement - dérapages dont les médias sont bien sûr les principaux acteurs mais auxquels collaborent aussi dans une certaine mesure les revues scientifiques, sans oublier parfois les chercheurs euxmêmes…

B. Jordan

CoReBio PACA 1, case 901, Parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France.

brjordan@club-internet.fr

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données vpubliées dans cet article.

References
1.
Jordan B. Chronique génomique. Une publication impulsive…. Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :439.–442.
2.
Bevilacqua L , Doly S , Kaprio J , et al. A population-specific HTR2B stop codon predisposes to severe impulsivity . Nature. 2010; ; 468 : :1061.–1066.
4.
Kelsoe JR. Behavioural neuroscience: a gene for impulsivity . Nature. 2010; ; 468 : :1049.–1050.