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Med Sci (Paris). 2011 June; 27(6-7): 671–673.
Published online 2011 July 1. doi: 10.1051/medsci/2011276022.

Des microARN contrôlent la fabrication de cils vibratiles chez les vertébrés

Benoît Chevalier,1 Laurent Kodjabachian,2 Christelle Coraux,3 Pascal Barbry,1* and Brice Marcet1**

1CNRS, Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire, UMR-6097, Sophia-Antipolis; Université de Nice-Sophia-Antipolis, Sophia-Antipolis, F06560, France
2CNRS, Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy, UMR-6216; Université de la Méditerranée, Marseille, F13288, France
3Inserm U903, Reims, F51092, France; Université de Reims Champagne-ArdenneReims, F51100, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Bronches, cytologie, sécrétion, Mouvement cellulaire, génétique, Cils vibratiles, métabolisme, Mucoviscidose, anatomopathologie, Embryon non mammalien, Épiderme, embryologie, ultrastructure, Cellules épithéliales, Analyse de profil d'expression de gènes, Humains, Protéines et peptides de signalisation intracellulaire, physiologie, Protéines membranaires, microARN, Mucus, Récepteur Notch1, Vertébrés, Xenopus laevis

Cellules multiciliées, un rôle-clé dans de multiples fonctions tissulaires

Les cellules multiciliées bordant la surface de certains tissus sont présentes chez tous les vertébrés et possèdent à leur surface des centaines de cils vibratiles, organites constitués de microtubules (Figure 1). Le battement coordonné des cils vibratiles permet un mouvement liquidien efficace, qui joue un rôle important dans divers processus physiologiques comme l’évacuation par l’appareil respiratoire des particules inhalées piégées dans le mucus (clairance mucociliaire), la circulation du liquide céphalo-rachidien ou la migration de l’embryon dans le tractus génital [ 1, 2]. Les dyskinésies ciliaires, la mucoviscidose, l’asthme, les broncho-pneumopathies chroniques obstructives ou encore l’hydrocéphalie sont autant de maladies où un dysfonctionnement primaire ou secondaire des cils vibratiles peut contribuer à l’aggravation de symptômes respiratoires, cérébraux, ou reproductifs [1, 2]. L’élucidation des mécanismes gouvernant la synthèse de ces cils vibratiles apparaît ainsi comme une question fondamentale de biologie avec des implications biomédicales évidentes.

La fabrication des cils vibratiles (multiciliogenèse) intervient au cours du développement et lors de la régénération de certains épithéliums spécialisés, notamment mucociliaires. La multiciliogenèse nécessite : (1) la sortie du cycle cellulaire ; (2) la production de centaines de corps basaux grâce à la multiplication massive de centrioles (centriologenèse) ; (3) la migration et l’ancrage des corps basaux à la surface apicale où ils jouent le rôle de centre organisateur des microtubules, à la base de chaque cil [ 3]. Quels sont les mécanismes contrôlant l’élaboration de multiples cils vibratiles dans une même cellule ? Afin de répondre à cette question, nous nous sommes intéressés à deux exemples d’épithélium mucociliaire : le premier borde les voies aériennes des mammifères; le second correspond à l’épiderme d’embryons d’amphibiens. Tous deux disposent à la fois de cellules sécrétrices de mucus et de cellules multiciliées [ 46] (Figure 1A et 1B). Nous avons entrepris une étude comparative systématique de la multiciliogenèse dans l’épithélium bronchique humain et dans l’épiderme d’embryon de xénope (Xenopus laevis) afin d’identifier les microARN et leurs gènes cibles potentiellement impliqués dans la mise en place de la multiciliogenèse.

Les microARN (miARN ou miR) appartiennent à une classe de petits ARN simple brin non codants régulateurs, contrôlant de nombreux processus biologiques en réprimant l’expression génique par différents mécanismes post-transcriptionnels [ 7]. Chaque miARN est capable de cibler un ou plusieurs ARN messagers (ARNm) par le jeu d’appariements avec une ou plusieurs séquences généralement localisées dans la région 3’ non traduite des cibles. La découverte des miARN a fourni un nouveau paradigme associant répression de gènes-clés et destin cellulaire. Des miARN ont ainsi été impliqués dans la morphogenèse pulmonaire ou dans certaines pathologies respiratoires [7- 10]. Nous avons récemment démontré le premier lien fonctionnel, conservé des amphibiens à l’homme, entre une famille de miARN et la multiciliogenèse [ 11].

Expression de la famille miR-449 pendant la multiciliogenèse

Nous avons établi par séquençage à haut débit les signatures des miARN au cours de la différenciation mucociliaire de l’épithélium bronchique humain et de l’épiderme embryonnaire de xénope. La famille miR-449 (miR-449a, miR-449b et miR-449c) représente les miARN les plus fortement induits pendant la multiciliogenèse chez les deux espèces. Par différentes approches combinant hybridation in situ, immunohistochimie, tri cellulaire et séquençage, nous avons pu établir la spécificité d’expression des miR-449 dans les cellules multiciliées dans nos deux modèles [11] (Figure 1). Une analyse de synténie du gène hôte Cdc20b du cluster miR-449 révèle la conservation du locus dans tous les génomes de vertébrés examinés. Bien que la fonction de CDC20B demeure inconnue, nous avons montré la corégulation de CDC20B et de miR-449 pendant la multiciliogenèse, suggérant une possible synergie entre le miARN et son gène hôte.

Chez les deux espèces, l’invalidation spécifique de miR-449 (à l’aide d’oligonucléotides antisens) réprime fortement la multiciliogenèse, causant la réduction concomitante du nombre de cellules exprimant la tubuline (un marqueur des cils vibratiles) et la centrine-2 (un marqueur des corps basaux). Malgré leur différenciation avortée, les cellules déficientes pour miR-449 maintiennent leur identité de précurseurs ciliés et continuent d’exprimer l’ARNm foxJ1, qui code pour un régulateur-clé de la multiciliogenèse chez les vertébrés [3] (Figure 2). Précisons que l’invalidation de miR-449 n’altère pas la ciliogenèse des cellules portant un cil vibratile unique, suggérant une action spécifique de miR-449 sur la multiciliogenèse. Ces résultats suggèrent que les miR-449 sont requis pour le déclenchement de la multiciliogenèse à une étape précoce, avant la centriologenèse [11].

miR-449 réprime le cycle cellulaire et la voie Notch1/Delta1

En analysant le transcriptome au cours de la différenciation ou en réponse à la surexpression de miR-449, nous avons identifié des cibles potentielles de miR-449. Un premier groupe de cibles, validées expérimentalement, code pour des protéines impliquées dans la régulation du cycle cellulaire (amphiréguline, cycline B1, cycline E2 et Cdc25A). Ces résultats sont en accord avec la capacité de miR-449 à bloquer le cycle cellulaire, une étape cruciale avant l’engagement dans la centriologenèse [11].

Le second groupe de cibles validées dans les deux espèces correspond au récepteur Notch1 et à son ligand Delta-1 (DLL1). Dans nos deux modèles, l’activation de la voie de signalisation Notch est incompatible avec la différenciation des cellules multiciliées. Les régions des transcrits Dll1 et Notch1 contenant les sites de fixation de miR-449 sont conservées de la grenouille à l’homme. Chez l’homme, les miARN de la famille miR-449 répriment l’expression à la fois de Dll1 et de Notch1 tandis qu’ils inhibent seulement l’expression de Dll1 chez le xénope. Plusieurs expériences indiquent que, dans nos deux modèles, les miR-449 contrôlent la multiciliogenèse en agissant directement sur la voie de signalisation Notch : (1) l’expression des transcrits et des protéines DLL1 et/ou Notch1 est réprimée par la surexpression de miR-449 tandis que l’effet opposé est observé après son invalidation ; (2) DLL1 et/ou Notch1 sont faiblement exprimées dans les cellules multiciliées qui expriment fortement miR-449 par rapport aux cellules environnantes dans l’épithélium mucociliaire humain ; (3) l’injection dans l’épiderme de xénope d’un ARNm Dll1 synthétique dépourvu des sites de fixation de miR-449 réprime la multiciliogenèse, tout comme le fait la perte de miR-449 ; (4) des oligonucléotides complémentaires des sites de liaison conservés de miR-449 dans les transcrits Notch1 ou Dll1 protègent ces transcrits contre l’action de miR-449. Ces oligonucléotides protecteurs provoquent l’élévation des transcrits et des protéines endogènes Notch1 et/ou DLL1 et répriment la multiciliogenèse. Les effets de l’invalidation de miR-449 sur la multiciliogenèse sont ainsi mimés par des agents bloquant l’interaction entre miR-449 et ses cibles de la voie Notch ; (5) enfin, l’invalidation de Dll1 ou Notch1 augmente la multiciliogenèse et la rétablit de manière efficace dans les embryons de xénope invalidés pour miR-449. L’ensemble de ces données indiquent que les miR-449 déclenchent le processus de multiciliogenèse en réprimant directement les cibles DLL1 et Notch1.

À la recherche des effecteurs-clés de la multiciliogenèse

En conclusion, notre étude révèle pour la première fois le rôle joué par les miARN de la famille miR-449 en tant que régulateurs-clés et conservés de la multiciliogenèse chez les vertébrés. La famille miR-449 favorise la centriologenèse et contribue à la différenciation des cellules multiciliées en réprimant directement la voie de signalisation Notch et des molécules liées au cycle cellulaire (Figure 2) [11]. En ce sens, ces miARN peuvent apparaître comme des chefs d’orchestre modulant simultanément plusieurs voies de signalisation importantes afin de promouvoir le phénotype multicilié. La poursuite de la recherche des cibles de miR-449 et de la voie Notch devrait identifier les effecteurs-clés de la multiciliogenèse, qui restent très largement méconnus. Un autre candidat particulièrement intéressant est CDC20B puisque cette protéine paraît être un nouveau composant des corps basaux coexprimé avec miR-449 [11]. Gageons qu’en fournissant de nouvelles connaissances sur les mécanismes conservés contrôlant la multiciliogenèse, notre étude pourrait également ouvrir la voie à l’élaboration de nouvelles stratégies thérapeutiques visant à traiter les pathologies associées à des défauts de cils vibratiles. Le succès de notre étude comparative chez deux tétrapodes distants illustre enfin la pertinence de l’adage selon lequel « rien en biologie n’a de sens qu’à la lumière de l’évolution ».

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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