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Med Sci (Paris). 2011 May; 27(5): 453–455.
Published online 2011 May 25. doi: 10.1051/medsci/2011275002.

Quand l’environnement du père influence l’expression génique chez l’enfant

Lucas Fauquier1*

1University of Massachusetts Medical School, Department of Biochemistry and Molecular Pharmacology, Worcester, MA 01605, États-Unis

Corresponding author.

MeSH keywords: Aliment pour animaux, Animaux, Croisements génétiques, Méthylation de l'ADN, Susceptibilité à une maladie, Embryon de mammifère, métabolisme, Exposition environnementale, Épigenèse génétique, Femelle, Foetus, Régulation de l'expression des gènes, Humains, Métabolisme des lipides, génétique, Foie, embryologie, Mâle, Souris, microARN, Exposition paternelle, Spermatozoïdes

 

La reproduction dite sexuée consiste en la fusion d’un gamète mâle et d’un gamète femelle provenant de deux individus de types sexuels différents donnant naissance à un œuf ou zygote génétiquement distinct de ses parents. Ce système de reproduction se révèle particulièrement avantageux lorsqu’il s’agit de s’adapter à un nouvel environnement. En effet, ce brassage génétique conduit à la production de nouvelles combinaisons d’allèles et permet donc l’évolution des populations par sélection naturelle. Dès les premières recherches scientifiques sur la reproduction et l’évolution, la question s’est posée de savoir si « l’expérience » acquise par les parents pouvait être transmise à leur descendance. Longtemps considérée comme un mythe, la théorie de la transmission de caractères acquis a récemment connu un regain d’intérêt suite aux considérables progrès effectués dans le domaine de l’épigénétique. En effet, bien que l’ADN proprement dit ne soit généralement pas affecté par l’environnement, certaines informations épigénétiques peuvent l’être et pourraient donc êtres transmises à la descendance via les cellules germinales [1]. Le fait qu’un individu puisse hériter de certains caractères induits chez ses ancêtres par l’environnement a de très lourdes conséquences, mais jusqu’à très récemment, il n’existait que peu d’indices soutenant l’hypothèse d’un effet transgénérationnel de l’environnement, en particulier chez les mammifères.

Des travaux réalisés dans le laboratoire du docteur Michael Skinner ont montré que le traitement de rates enceintes avec le pesticide Vinclozoline entraîne chez leur descendance une diminution de la fertilité de même que des changements comportementaux qui persistent sur plusieurs générations [2, 3]. Par ailleurs, il a été démontré qu’une carence en donneur de groupements méthyl chez des souris enceintes entraîne une diminution de la méthylation de l’ADN au niveau du locus du gène rapporteur Agouti Avy chez la descendance [4] et que ce profil persiste bien après la première génération [5]. Plus récemment, une autre étude a montré que le jeûne chez des souris mâles, avant même la conception, affectait le niveau de glucose sanguin chez leur descendance [6]. Fin 2010, deux autres études indépendantes ont également décrit un effet transgénérationnel de l’alimentation paternelle chez le rongeur. Tout d’abord, une exposition chronique de rats mâles à de la nourriture riche en graisse affecte le fonctionnement biologique des îlots de Langerhans dans le pancréas chez leur descendance [7]. Enfin, des souris sujettes à une surconsommation alimentaire pendant l’enfance développent une résistance à l’insuline et une intolérance au glucose qui peuvent être transmises à la descendance pendant au moins deux générations [8].

Reprogrammation transgénérationnelle de l’expression de gène métaboliques

De récents travaux de notre laboratoire nous ont permis d’explorer de façon plus approfondie les mécanismes impliqués dans l’effet transgénérationnel de l’alimentation paternelle sur le phénotype de sa descendance [9]. Des souris mâles ont ainsi été alimentées soit avec de la nourriture contrôle (souris C) soit avec de la nourriture pauvre en protéines (souris LP), puis ont été accouplées avec des femelles. Des extraits totaux d’ARN ont été réalisés à partir de foies de souris descendantes de ces deux types de croisements afin de comparer leurs profils d’expression génique (Figure 1).

Nous avons trouvé que plusieurs centaines de gènes étaient différentiellement exprimés dans le foie de ces souris en fonction de l’alimentation consommée par leur père. Chez les souris issues des croisements avec les mâles LP, nous avons mis en évidence une surexpression de gènes impliqués dans les voies de biosynthèse des lipides et du cholestérol ainsi que dans la régulation de la transition de la phase S du cycle cellulaire et la réplication de l’ADN par rapport aux souris issues de croisements avec des mâles C. De façon intéressante, ces changements d’expression génique s’accompagnent de différences significatives de la concentration hépatique en différents lipides majeurs tels que le cholestérol et les triglycérides. De plus, nous avons montré que plusieurs microARN sont également différentiellement exprimés en fonction de l’alimentation du père : miR-21, let-7, miR-199 et miR-98 sont surexprimés et miR-210 sous-exprimé dans le foie des petits des souris LP par rapport à ceux des souris C. Cependant, nous n’avons pas pu mettre en évidence de corrélation claire entre les gènes cibles de ces microARN et les changements d’expression génique observés par ailleurs, ce qui laisse penser que ces microARN ne sont probablement que de nouvelles cibles de la reprogrammation environnementale plutôt que des acteurs directement responsables de cette dernière. L’ensemble de ces résultats montre que l’alimentation paternelle peut avoir de vastes conséquences sur le métabolisme de sa descendance.

Ppara : gardien de la mémoire alimentaire ?

Étant donné le rôle central que joue la méthylation de l’ADN dans la transmission d’informations épigénétiques - un exemple emblématique étant celui du processus d’empreinte génomique parentale -, nous avons entrepris de comparer les profils de méthylation des descendants de souris LP et C. Nous avons ainsi pu observer une méthylation distincte de plusieurs gènes selon l’alimentation consommée par le père. Nous avons notamment mis en évidence, chez les individus issus de pères LP, une augmentation significative de la méthylation au niveau d’un enhancer potentiel du gène Ppara (peroxisome proliferator-activated receptor, alpha), un régulateur majeur du métabolisme des lipides [10] (). Par ailleurs, Ppara est sous-exprimé dans le foie de la plupart des souris issues de pères LP et le profil d’expression génique chez ces souris correspond globalement à celui observé chez des souris invalidées pour Ppara. Il est important de noter que l’expression de Ppara dans le foie semble également dépendre de l’alimentation de la mère étant donné que les descendants de souris femelles alimentées avec une nourriture riche en graisse présentent une altération de l’expression hépatique de ce gène [11]. Ces travaux, et les nôtres, suggèrent que Ppara pourrait être un régulateur central intégrant des informations alimentaires ancestrales afin de contrôler le métabolisme chez la descendance.

(→) Voir l’article de S. Lagarrigue et al., page 508 de ce numéro

Effets de l’alimentation sur l’épigénome des spermatozoïdes

Afin d’identifier le porteur de l’information épigénétique responsable de l’effet transgénérationnel observé, nous avons entrepris d’analyser et de comparer le profil de méthylation de l’ADN ainsi que le contenu en ARN dans le sperme de souris LP par rapport aux souris C. Les profils de méthylation du génome des spermatozoïdes prélevés chez les deux groupes d’individus sont globalement similaires et nous n’avons pas détecté de différence significative de méthylation au niveau du gène Ppara en particulier. Néanmoins, de subtiles différences peuvent parfois avoir des conséquences extrêmement importantes et nos résultats ne permettent pas d’exclure la possibilité que la transmission transgénérationnelle de la méthylation de l’ADN au niveau de locus non identifiés puisse être responsable de l’effet observé. Par ailleurs, nous avons pu mettre en évidence que certains ARN messagers sont différentiellement exprimés ou présents dans les spermatozoïdes de souris LP par rapport aux C, sans pouvoir cependant mettre en relation ces différences avec la régulation de la transcription de gènes hépatiques chez la descendance. Pour finir, nous avons observé des diminutions de la triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3 dans les spermatozoïdes de souris LP, en particulier au niveau des promoteurs des gènes Maoa (monoamine oxydase) et Eftud1 (elongation factor Tu GTP binding domain containing 1), sans pouvoir pour autant relier ces différences aux modifications d’expression génique décrites précédemment. Bien que ces études préliminaires de l’épigénome de sperme de souris n’aient globalement pas permis d’expliquer quel(s) mécanisme(s) est (sont) responsable(s) de la reprogrammation environnementale de l’expression de gènes métaboliques observée, elles montrent que les modifications épigénétiques et l’état de compaction du génome dans le sperme peuvent être influencés par l’environnement.

Perspectives et implications médicales

L’ensemble de ces résultats montre que l’alimentation du père influence l’expression génique de l’enfant chez la souris et que certaines informations épigénétiques présentes dans le sperme peuvent être affectées par l’environnement. Nous avons notamment identifié certaines voies de signalisation dont l’expression est particulièrement sensible à l’alimentation du père et nous avons montré que ces changements peuvent avoir de réelles conséquences physiologiques telles que des modifications de la concentration hépatique en différents lipides.

Des études épidémiologiques menées chez l’homme ont montré qu’il existe une relation entre malnutrition chez la mère et risque accru d’obésité et de diabète chez l’enfant [12]. De même, un lien a été identifié entre malnutrition des grand-pères paternels et obésité et maladies cardiovasculaires deux générations plus tard [13, 14]. Nos travaux présentent un modèle mammifère d’étude de la reprogrammation transgénérationnelle induite par l’alimentation qui nous permettra à l’avenir de préciser les conditions d’exposition nécessaires à cette reprogrammation ainsi que d’effectuer des analyses génétiques des mécanismes impliqués dans sa mise en place.

L’ensemble de ces travaux nous encourage à repenser nos méthodes d’analyse dans le cadre des études épidémiologiques de maladies complexes telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, la schizophrénie ou l’alcoolisme. En effet, il semble important que l’analyse des données d’exposition environnementale inclue l’historique d’exposition des parents, voire des grands-parents, en plus de celle des patients eux-mêmes.

Conflits d’interets
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
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