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Med Sci (Paris). 2011 April; 27(4): 362–364.
Published online 2011 April 28. doi: 10.1051/medsci/2011274010.

Méningite néonatale à streptocoque du groupe B
Identification d’un facteur de virulence essentiel

Asmaa Tazi,1,2 Olivier Disson,3 Samuel Bellais,1 Abdelouhab Bouaboud,1 Isabelle Tardieux,1 Patrick Trieu-Cuot,4 Marc Lecuit,3,5 and Claire Poyart1,2,4*

1INSERM U1016, Institut Cochin ; CNRS (UMR 8104) ; Faculté de médecine, Université Paris Descartes, Paris, France
2APHP, Service de bactériologie, Centre national de référence des streptocoques, Hôpital Cochin, France
3Institut Pasteur, Groupe micro-organismes et barrières de l’hôte ; INSERM Avenir U604, Paris, France
4Institut Pasteur, Unité de biologie des bactéries pathogènes à gram positif, URA CNRS 2172, Paris, France
5APHP, Service des maladies infectieuses et tropicales, Centre d’infectiologie Necker-Pasteur, Hôpital Necker-Enfants malades ; Faculté de médecine, Université Paris Descartes, Paris, France
Symptomatologie et épidémiologie des infections néonatales à streptocoque du groupe B

L’infection néonatale à streptocoque du groupe B se manifeste par deux syndromes distincts : un syndrome précoce survenant au cours de la première semaine de vie et un syndrome tardif se déclarant de 7 jours à 3 mois après la naissance [ 1]. Le syndrome précoce résulte d’une contamination du nouveau-né durant l’accouchement par ingestion et/ou inhalation des sécrétions vaginales maternelles colonisées par le streptocoque du groupe B (Figure 1). La contamination du nouveau-né peut alors aboutir à une translocation bactérienne à travers l’épithélium pulmonaire et à une infection systémique [1]. Le mode de transmission et la physiopathologie du syndrome tardif demeurent en revanche méconnus, bien qu’une transmission mère-enfant soit également suspectée. Une colonisation intestinale précoce suivie d’une translocation digestive permettant l’accès de la bactérie à la circulation sanguine constitue un scénario hautement probable [ 3, 4]. Les données épidémiologiques collectées par le Centre national de référence des streptocoques indiquent qu’une proportion importante de syndromes précoces et la majorité des syndromes tardifs sont associés à un sérotype capsulaire particulier de streptocoque du groupe B, le sérotype III [ 5]. Les souches de sérotype III comprennent un nombre limité de complexes clonaux définis par multi locus sequence typing (MLST) [ 6]. Parmi ceux-ci, le séquence-type (ST) ST-17 est fortement associé aux cas de méningites néonatales et a donc été désigné « hypervirulent » [6]. Ce qualificatif qui repose sur des données d’épidémiologie moléculaire n’avait jusqu’à présent jamais été validé ar des approches expérimentales. Le clone ST-17 est également très majoritairement responsable des cas de syndrome tardif. C’est sur la base de ces données épidémiologiques qui suggèrent que le clone ST-17 possède une virulence accrue dans le contexte néonatal que nous avons recherché des facteurs de virulence spécifiques au clone ST-17 pouvant expliquer son hyperpathogénicité chez les nouveau-nés et son tropisme pour le système nerveux central.

Identification d’une protéine de surface (HvgA) spécifique des souches hypervirulentes ST-17

Le clone ST-17 exprime-t-il des molécules exposées à la surface bactérienne pouvant justifier de capacités accrues d’adhésion et d’invasion cellulaires ? Par analyse comparative des génomes séquencés de streptocoques du groupe B, nous avons identifié des variants alléliques d’une protéine de surface [ 7, 8]. L’un de ces variants, BibA, avait été précédemment étudié et sa contribution à l’adhésion de streptocoques du groupe B aux cellules épithéliales avait été montrée [ 9]. L’autre variant, strictement spécifique des souches ST-17 [7, 8], a été désigné HvgA (hypervirulent group B streptococcus adhesin) et nous avons exploré son rôle dans l’infection néonatale au streptocoque du groupe B en combinant des approches in vitro et in vivo [ 10].

HvgA : un déterminant essentiel de l’adhésion du clone ST-17 aux cellules épithéliales et endothéliales
L’adhésion aux cellules épithéliales pulmonaires d’une souche de streptocoque ST-17 exprimant HvgA est similaire à celle d’une souche de streptocoque du groupe B d’un autre clone exprimant BibA. En revanche, la souche ST-17 adhère de façon significativement plus importante aux cellules épithéliales intestinales, aux cellules endothéliales de capillaires cérébraux et aux cellules épithéliales des plexus choroïdes constituant la barrière hématoencéphalique. Nous avons montré plus généralement que les souches cliniques hypervirulentes ST-17 adhèrent 2 à 10 fois mieux aux cellules épithéliales intestinales et aux cellules endothéliales de capillaires cérébraux que des souches cliniques non ST-17. Ces données suggèrent que les bactéries exprimant HvgA possèdent de meilleures capacités d’adhésion aux cellules des barrières intestinale et hématoencéphalique. Afin de confirmer cette hypothèse et de déterminer la contribution de HvgA dans la virulence du streptocoque ST-17, un mutant de streptocoque du groupe B ST-17 dans lequel le gène codant pour HvgA est inactivé (ΔhvgA) a été construit. Les capacités d’adhésion de ce mutant à toutes les cellules testées sont fortement réduites par rapport à celles de la souche sauvage ST-17. De plus, l’expression de HvgA dans une espèce relativement proche phylogénétiquement, mais non pathogène et non adhérente (Lactococcus lactis), confère à celle-ci des capacités d’adhésion aux cellules épithéliales intestinales et aux cellules endothéliales de capillaires cérébraux. Ces données in vitro établissent indiscutablement que l’expression de HvgA par les streptocoques du groupe B leur confère une capacité d’adhésion accrue et spécifique.
HvgA : un déterminant essentiel à la colonisation intestinale et au franchissement de la barrière intestinale
L’adhésion importante des streptocoques du groupe B ST-17 aux cellules épithéliales intestinales et aux cellules endothéliales cérébrales in vitro a-telle pour effet d’entraîner in vivo une meilleure adhésion aux cellules constituant les barrières intestinale et hématoencéphalique, et ceci par une virulence accrue ? Plusieurs modèles murins mimant au mieux l’infection néonatale chez l’homme ont été utilisés pour tester cette hypothèse.

Les capacités de colonisation digestive d’une souche ST-17 et d’une souche non ST-17 ont été comparées après leur inoculation par voie orale à des souris et la quantification des bactéries au niveau fécal. La souche ST-17 colonise plus durablement et plus massivement le tube digestif qu’une souche contrôle non ST-17, et le mutant ΔhvgA possède des capacités de colonisation altérées par rapport à la souche sauvage. Dans des expériences où on créait une compétition pour la colonisation chez des animaux infectés par un mélange contenant à parts égales chaque souche, la souche ST-17 supplante totalement la souche non ST-17 et le mutant ΔhvgA en moins d’une semaine, indiquant que HvgA confère un avantage sélectif à cette étape initiale de l’infection.

Les capacités de franchissement de la barrière intestinale ont également été étudiées. L’infection par une souche ST-17 de souris pré-sevrées entraîne un taux de mortalité très élevé, contrairement à l’infection par la souche mutante ΔhvgA, suggérant que HvgA contribue à la survenue d’une infection systémique. Chez des animaux axéniques infectés par la souche ST-17, des bactéries adhérant aux entérocytes et présentes dans la lamina propria ont pu être observées par microscopie confocale (Figure 1B). Ces données démontrent le rôle crucial de HvgA dans la colonisation intestinale et la translocation digestive des streptocoques du groupe B ST-17.

Contribution de HvgA à l’invasion du système nerveux central
La quantité de bactéries dans le cerveau des souris infectées oralement par la souche ST-17 était plus élevée que chez les souris infectées par la souche mutante ΔhvgA, ce qui suggérait que HvgA pouvait également contribuer à l’invasion du système nerveux central. Afin d’étudier spécifiquement la traversée de la barrière hématoencéphalique, nous avons mis au point un modèle animal dans lequel des souris sont infectées par des injections intraveineuses répétées à 12 heures d’intervalle avec un inoculum bactérien qui n’entraîne pas la mort rapidement, afin d’éviter une perméabilité non spécifique de la barrière hématoencéphalique liée à un processus inflammatoire massif. Alors que les bactériémies induites par la souche sauvage ST-17 ou par son mutant ΔhvgA sont similaires 48 heures après la première injection, le mutant ΔhvgA possède des capacités d’invasion du système nerveux central significativement altérées. Le suivi en temps réel de l’infection par des bactéries bioluminescentes révèle une importante émission de bioluminescence encéphalique des animaux infectés par la souche ST-17, contrairement aux animaux infectés par la souche mutante ΔhvgA. L’analyse histopathologique du système nerveux central des animaux 48 heures après l’inoculation montre chez les animaux infectés par ST-17 une infection massive des plexus choroïdes, des méninges, des microvaisseaux cérébraux et du parenchyme cérébral (Figure 1C), observations similaires aux observations anatomo-histopathologiques observées chez un nouveau-né décédé d’infection néonatale tardive. Ces données in vivo démontrent le rôle de HvgA dans l’invasion du système nerveux central par les souches ST-17 et corroborent les données in vitro.

Ces résultats ont apporté la première explication moléculaire du caractère hypervirulent du clone ST-17 et ont permis de mettre en évidence un déterminant majeur du tropisme neuroméningé du streptocoque du groupe B chez le nouveau-né. La découverte de cette protéine et de son rôle crucial au cours de l’infection pourrait avoir des implications majeures dans la mise au point de nouveaux outils diagnostiques. Cette protéine pourrait aussi constituer une cible vaccinale pour la prévention des méningites à streptocoque du groupe B.

Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
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