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Med Sci (Paris). 2011 February; 27(2): 220–222.
Published online 2011 March 8. doi: 10.1051/medsci/2011272220.

Exomes, le retour… Exomes et mutations de novo dans le retard mental
Chroniques génomiques

Bertrand Jordan1*

1Marseille-Nice Génopole, case 901, Parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Déficience intellectuelle, génétique, Mutation

 

Décidément, le séquençage d’exomes, malgré ses limites, s’avère être une approche très efficace. En témoigne notamment un récent article paru dans Nature Genetics et dû à des équipes néerlandaises de l’université de Nijmegen [ 1]. Son titre, « A de novo paradigm for mental retardation », est certes un peu prétentieux : ce n’est peut-être pas aux auteurs d’un « papier » d’affirmer qu’ils ont découvert un nouveau paradigme… Néanmoins, les résultats présentés sont fort intéressants. En étudiant par séquençage dix cas de retard mental apparus sans antécédents familiaux ni anomalie génétique détectable, ils montrent en effet que la plupart sont dus à des mutations ponctuelles à effet dominant, apparues de novo chez ces patients. La fréquence jusque-là insoupçonnée de telles altérations éclaire un certain nombre de questions, et notamment la persistance dans la population humaine d’affections d’origine génétique qui auraient normalement dû disparaître compte tenu de leur effet délétère sur la fécondité des individus affectés.

Des chiffres très utiles

L’article commence par citer des chiffres récents : un nouveau-né serait porteur de 50 à 100 nouvelles mutations, parmi lesquelles une (en moyenne) modifierait la séquence en acides aminés d’une protéine1. Ces valeurs, très utiles pour fixer les idées et orienter une discussion, sont tirées d’une publication parue début 2010 dans Proc Natl Acad Sci USA [ 2] et dont j’avoue qu’elle m’avait échappé. À tort, car elle est passionnante, même si l’on peut ne pas être d’accord avec l’auteur sur les conclusions sociologiques qu’il tire de ses résultats. Elle met au clair bon nombre de points sur la nature et le rythme de l’évolution humaine, comme l’indique d’ailleurs son titre : « Rate, molecular spectrum, and consequences of human mutation ». En résumant outrageusement les conclusions de cet article (fondées sur l’analyse détaillée de diverses bases de données), on peut en extraire quelques chiffres : notre taux de mutation est d’environ 10−8 par nucléotide et par génération, les insertions et délétions sont vingt fois moins fréquentes que les mutations ponctuelles (et il y a trois à quatre fois plus de délétions que d’insertions), et les cellules somatiques mutent dix fois plus vite que les cellules germinales, ce qui aboutit à une charge mutationnelle très importante à l’âge mûr2. L’article des Proc Natl Acad Sci USA revient ensuite sur l’évolution des populations humaines et formule des conclusions inquiétantes sur la détérioration du patrimoine génétique dans les pays riches (où la sélection est fortement atténuée du fait du niveau de vie et des progrès de la médecine), à l’échéance relativement proche d’un ou deux siècles. N’étant pas spécialiste du domaine, j’ignore la solidité de ces dernières conclusions, mais le fait qu’il s’agisse de l’article inaugural d’un nouvel élu à l’Académie des sciences nord-américaine incite à penser que nous n’avons pas affaire à un marginal farfelu ou à un Prix Nobel sur le retour.

Une stratégie qui devient classique

Revenons-en à nos auteurs hollandais. Leur objectif était d’identifier des mutations de novo responsables de cas de retard mental par ailleurs inexpliqués. Pour ce faire, ils ont choisi dix malades présentant un retard mental modéré ou sévère sans antécédent familial, avec un profil normal selon l’examen cytogénétique et l’analyse par array CGH, et sans expansion des triplets responsables du syndrome de l’X fragile. Les exomes de ces dix patients et de leurs parents ont alors été isolés par hybridation en phase liquide, puis séquencés (sur une machine SOLiD), afin d’obtenir en moyenne 3 gigabases de séquence pour chaque échantillon. Ce chiffre peut sembler élevé, mais compte tenu du fait que la cible (l’ensemble de l’exome ciblé par la technique de purification) correspond à presque 40 mégabases et que 20 à 25 % des séquences obtenues tombent en dehors de cette cible, la redondance réelle est de l’ordre de 50, soit 25 par chromosome, ce qui est peut-être un peu « juste » pour identifier à coup sûr des mutations ponctuelles. L’analyse de ces séquences révèle, évidemment, un très grand nombre de variants qu’il va falloir soigneusement trier afin d’aboutir à ceux qui peuvent être significatifs.

Tri et vérification des résulats

En fait, environ 22 000 différences ponctuelles (par rapport à la séquence de référence3,) sont trouvées chez chaque malade. Une fois retirées celles qui se situent dans les séquences intergéniques, dans les introns (hors sites d’épissage), et celles qui changent un codon en un codon synonyme, il reste en moyenne 5 640 variants par personne. Les auteurs écartent alors tous ceux qui sont représentés dans dbSNP4, la base de données des Snip qui concerne a priori uniquement des personnes dites normales : il ne subsiste alors que 143 variants par malade. À ce stade, on peut comparer parents et enfants pour éliminer les substitutions qui existaient chez les ascendants : il reste alors de 2 à 7 variants par malade, 51 en tout. L’hypothèse, rappelons-le, est que le retard mental constaté est dû à une nouvelle mutation présente chez le malade, dont l’effet serait alors dominant : on attend donc a priori une mutation par personne, touchant un gène dont l’altération provoque un dysfonctionnement du système nerveux ou un défaut de sa mise en place. Mais encore faut-il s’assurer qu’il s’agit réellement de mutations et non d’erreurs de séquençage - et ce souci n’est pas trivial puisqu’une vérification utilisant la bonne vieille technique de Sanger ne laisse, sur ces 51 différences, que 13 variants confirmés chez les malades, dont 9 seulement sont absents chez les parents et représentent donc des mutations de novo. Cela indique clairement que la multiplicité adoptée pour le séquençage des exomes était insuffisante : rappelons que dans l’approche exomique précédemment commentée [ 3], les chercheurs avaient opté pour une couverture de 200 fois5. Bien sûr, la critique a posteriori est facile, mais ce point souligne l’importance de la qualité du séquençage pour de telles investigations.

Les informations fonctionnelles confirment l’hypothèse

À ce stade, on peut maintenant examiner les gènes dans lesquels sont repérées ces neuf mutations. Un premier résultat rassurant : deux d’entre eux (RAB39B et SYNGAP1) 6, sont déjà connus et ont été impliqués dans le retard mental, ce qui confirme la validité de l’approche employée. Parmi les sept restants, quatre (DYNC1H1, YY1, DEAF1 et CIC) 7, ont une fonction compatible avec un rôle dans le retard mental en cas d’altération. Trois enfin (ZNF599, BPIL3 et PGA5) 8, n’ont apparemment pas de rapport avec l’affection étudiée (Tableau I). Finalement, l’investigation a détecté neuf mutations missense apparues de novo chez dix personnes (en accord avec l’estimation d’une modification de ce type par nouveau-né), a retrouvé deux gènes connus pour leur implication dans le retard mental, en a découvert quatre autres dont l’implication est probable, et trois pour lesquels n’existe actuellement aucun argument. Les auteurs renforcent leurs conclusions en s’appuyant sur des données statistiques telles que la probabilité de présence des mutations observées dans la base de données pathologiques Human Gene Mutation Database 9 comparée à celle qui s’applique à dbSNP : pour les quatre gènes probables, la première est beaucoup plus forte que la deuxième, ce qui confirme leur implication dans des processus morbides. Au total, cet article n’apporte pas de preuve absolument formelle : l’idéal serait d’identifier d’autres exemples de mutation dans ces gènes chez d’autres patients atteints de retard mental - mais cela risque d’impliquer le séquençage de milliers de malades. Les conclusions avancées sont néanmoins très vraisemblables et apportent un éclairage nouveau en pathologie génétique.

Il se confirme donc que les mutations de novo jouent un rôle important dans l’apparition et le maintien au sein de la population humaine d’affections dont l’on pourrait attendre qu’elles disparaissent en raison de la très faible fécondité de leurs porteurs. Et ce phénomène n’est pas limité aux gènes « monstrueux » comme celui de la dystrophine, avec ses presque trois mégabases et ses 79 exons qui en font une cible mutationnelle majeure : il a lieu aussi pour des maladies très multigéniques et dont la cible génétique, comprenant des centaines de gènes, est de ce fait très étendue. Ce point avait déjà été repéré pour les CNV (copy number variation), les événements de novo représentant par exemple une fraction notable des cas d’autisme [ 4], on voit ici qu’il concerne également les mutations ponctuelles, dont l’apparition est peut-être plus difficile à déceler. On peut d’ailleurs spéculer, comme le fait Jim Lupski dans un intéressant News and Views publié dans le même numéro de Nature Genetics [ 5], sur le timing d’apparition de ces mutations, et même sur la possibilité d’autres altérations qui aboutiraient, elles, à des capacités intellectuelles extraordinaires ! Sans aller aussi loin, les informations apportées par cet article constituent des éléments importants, qu’il va falloir prendre en compte tant dans le diagnostic que pour le conseil génétique.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Le chiffre exact est de 0,86.
2 On comprend mieux, indépendamment de toutes les difficultés techniques, le faible rendement du clonage reproductif chez l’animal pratiqué à partir de cellules adultes.
5 D’ailleurs les variants non confirmés s’avèrent être aussi ceux dont la lecture initiale était la moins fiable : cinq passages en moyenne, contre dix-sept pour ceux qui sont authentifiés après reséquençage.
6 RAB39B code pour un membre de la famille de l’oncogène RAS ; SYNGAP1 pour la synaptic Ras GTPase activating protein 1.
7 DYNC1H1 code pour une dynéine cytoplasmique, YY1 pour le facteur de transcription yin-yang 1, DEAF1 pour un facteur qui régule le récepteur5-HT1A dans le cerveau humain, et CIC pour un membre de la superfamille des facteurs de transcription HMG-box.
8 ZNF599 n’a pas de fonction connue, BPIL3 est impliqué dans la réponse immune innée, PGA5 dans l’activté protéasique de l’estomac.
References
1.
Vissers L , de Ligt J , Gilissen C , et al. A de novo paradigm for mental retardation . Nat Genet. 2010; ; 42 : :1109.-1112.
2.
Lynch M . Rate, molecular spectrum, and consequences of human mutation . Proc Natl Acad Sci USA. 2010; ; 107 : :961.-968.
3.
Jordan B . Du bon usage des exomes . Med Sci (Paris). 2010; ; 26 : :1111.-1113.
4.
Sebat J , Lakshmi B , Malhotra D , et al.. Strong association of de novo copy number mutations with autism . Science. 2007; ; 316 : :445.-449.
5.
Lupski JR . New mutations and intellectual function . Nat Genet. 2010; ; 42 : :1036.-1038.