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Med Sci (Paris). 2011 February; 27(2): 170–176.
Published online 2011 March 8. doi: 10.1051/medsci/2011272170.

Approches expérimentale et de modélisation de la signalisation calcique dans les cellules

Laurent Combettes1 and Geneviève Dupont2*

1UMR-S757, Inserm, Université Paris-Sud, Orsay, F-91405, France
2Unité de chronobiologie théorique, Université libre de Bruxelles, Faculté des sciences, Campus Plaine, boulevard du Triomphe, B-1050 Bruxelles, Belgique
Corresponding author.
 

Jusqu’à très récemment, les biologistes mesuraient la concentration d’une protéine ou la vitesse de transformation d’un métabolite par exemple à partir de populations cellulaires. L’extraordinaire développement de nouvelles techniques d’imagerie (microscopie confocale, fluorescence resonance energy transfer [FRET], fluorescence recovery after photobleaching [FRAP], etc.), combiné à l’utilisation de sondes fluorescentes performantes, de protéines chimères (green fluorescent protein [GFP], DsRed, etc.) ou de nanocristaux (quantum dots) permet actuellement une approche quantitative et dynamique de la biologie d’une seule cellule, et rend possible l’analyse par exemple de l’expression spécifique d’un gène ou de la variation d’un flux métabolique. Ces approches révèlent dans bien des cas une assez grande hétérogénéité spatiale, mais aussi temporelle, rappelant, si besoin est, que les cellules sont des entités extrêmement dynamiques [ 1]. De manière plus inattendue, ces observations à l’échelle cellulaire mettent aussi en évidence le caractère aléatoire (stochastique) des événements moléculaires individuels. Le biologiste est dès lors confronté à de nouvelles questions : comment des événements qui se produisent sur des échelles de temps et d’espace très différentes sont-ils coordonnés ? Comment les cellules contrôlent-elles, ou même utilisent-elles, des fluctuations moléculaires pour réaliser des tâches dites robustes ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’associer démarches expérimentales et théoriques. Ce type d’approche pluridisciplinaire, utilisé avec succès depuis de nombreuses années en neurophysiologie, s’étend aujourd’hui à de nombreux aspects de la physiologie cellulaire. La signalisation calcique, objet de cette revue, en est un exemple frappant.

Depuis les travaux de Ringer il y a près de 130 ans, l’importance du calcium dans la physiologie cellulaire n’est plus à démontrer, mais l’extraordinaire complexité de l’organisation dans le temps et dans l’espace de cette signalisation n’a été révelée que grâce aux progrès techniques réalisés depuis une petite vingtaine d’années. En combinant expériences et modélisation, nous avons pu disséquer certains aspects de cette signalisation, notamment dans les hépatocytes. En réponse à une stimulation extracellulaire, les hépatocytes augmentent leur concentration en Ca2+ intracellulaire, celle-ci étant responsable de réponses physiologiques comme la production de glucose, la sécrétion biliaire, l’expression génétique ou la régénération du foie. Dans ces cellules, comme dans la plupart des cellules non excitables [ 2], des agonistes induisent la synthèse d’inositol (1, 4, 5) trisphosphate (InsP3). L’InsP3 formé se fixe sur des récepteurs (InsP3R)/canaux calciques présents dans la membrane du réticulum endoplasmique (RE). La libération de Ca2+ via les récepteurs de l’InsP3 est régulée par la concentration en Ca2+ dans le cytoplasme ; c’est aussi le cas pour les récepteurs de la ryanodine présents dans certains types cellulaires et dont les caractéristiques structurelles et fonctionnelles sont très proches de celles des InsP3R [ 3, 41]. L’activité du canal est stimulée par de faibles concentrations de Ca2+ cytosolique, tandis que des concentrations plus élevées l’inhibent [3, 4]. Cette propriété remarquable d’autorégulation biphasique par le Ca2+ de sa propre concentration cytoplasmique joue un rôle-clé dans l’organisation spatiotemporelle de ce messager. Comme Ca2+ et InsP3 sont requis pour ouvrir le canal, ces deux messagers sont qualifiés de co-agonistes du récepteur de l’InsP3. En outre, la libération de Ca2+ depuis les compartiments intracellulaires est généralement accompagnée par une stimulation de l’influx de Ca2+ depuis le milieu extracellulaire [2].

Augmentations de Ca2+ localisées au niveau subcellulaire : blips, sparks, puffs

Comme tous les canaux, les récepteurs-canaux sensibles à l’InsP3 s’ouvrent et se ferment de manière aléatoire en réponse à un faible taux de stimulation, provoquant de petites augmentations asynchrones de Ca2+. Les techniques de microscopie permettent maintenant d’observer de telles augmentations de Ca2+, qui correspondent à l’activité d’un ou deux récepteurs de l’InsP3. Ces événements microscopiques, qui provoquent des élévations de Ca2+ d’environ 40 nM dans un volume d’1 femtolitre et durent moins de 70 ms, sont appelés blips dans les cellules non excitables [ 5]. Dans les cellules électriquement excitables, ces événements sont connus sous le nom de sparks et résultent de l’ouverture d’un petit nombre de récepteurs de la ryanodine [4]. Dans la cellule, les récepteurs ne sont pas distribués de manière homogène mais sont le plus souvent arrangés en clusters  : ainsi le Ca2+ libéré par un récepteur de l’InsP3R peut stimuler l’activité des autres récepteurs du cluster ( Figure 1 ) puisque, comme nous l’avons vu plus haut, l’activité de ces canaux dépend du niveau de Ca2+ cytosolique. L’arrangement en clusters est indispensable car le Ca2+ est fortement tamponné dans le cytoplasme, ce qui empêche toute communication entre deux canaux distants de plus de quelques centaines de nanomètres. L’activation de l’ensemble des récepteurs de l’InsP3 d’un cluster provoque une augmentation de Ca2+ plus importante et plus longue (environ 170 nM et 500 ms) (appelée puff). Des simulations numériques de ces puffs, fondées sur les caractéristiques électrophysiologiques des récepteurs de l’InsP3, suggèrent que 20 à 30 canaux sont nécessaires pour rendre compte des augmentations de Ca2+ observées in vivo [ 6]. Ces augmentations de Ca2+ sont suffisamment importantes pour provoquer l’activation de clusters proches permettant, dans certaines conditions, la transition entre signalisation calcique locale et globale [ 7] (Figure 1). Blips et puffs ne sont en effet observés qu’à de très faibles niveaux de stimulation, quand seulement quelques récepteurs ont fixé de l’InsP3 et sont donc activables. Pour des niveaux de stimulation plus élevés, tous les clusters participent à la dynamique et l’augmentation de Ca2+ se propage dans l’ensemble de la cellule, telle une vague calcique intracellulaire. Ces vagues parfois spectaculaires1 peuvent adopter différentes formes. Le caractère aléatoire des canaux individuels y est masqué par la loi des grands nombres, et les modèles qui en rendent compte sont déterministes. Dans tous les cas, la modélisation montre que, quelle que soit leur forme, ces vagues sont dues à la propagation, dans un cytosol excitable, d’un pulse de calcium émis localement et de manière répétée [ 8]. Autrement dit, le calcium augmente dans une région spécifique de la cellule (parfois appelée site pacemaker) et active la libération de Ca2+ dans les régions adjacentes. Par exemple, lors de la fécondation, le Ca2+ augmente initialement autour du point de fixation du spermatozoïde, qui correspond à la zone de l’œuf où la concentration en InsP3 est la plus élevée. Ce mécanisme de propagation sous forme de vagues est classique, aussi bien en chimie qu’en biologie.

Oscillations de calcium au niveau cellulaire

Il est maintenant bien connu que les augmentations de Ca2+ qui se propagent dans la cellule en réponse à une stimulation externe se présentent sous forme de pics répétés [2]. Ces pics, ou oscillations de Ca2+, sont principalement dus à la libération de Ca2+ depuis le réticulum endoplasmique (Figure 1). De nombreux modèles théoriques ont montré que les caractéristiques de la régulation des InsP3R, qui sont soumis à un rétrocontrôle à la fois positif et négatif par le Ca2+ (voir plus haut), sont responsables de la nature oscillatoire des signaux calciques. Ce même mécanisme fondamental s’applique à la très grande majorité des types cellulaires.

Trois types de récepteurs de l’InsP3
Les caractéristiques détaillées de ces oscillations dépendent toutefois du type cellulaire et de l’agoniste, et pour expliquer ces spécificités, il faut introduire dans ce schéma de régulation globale plusieurs éléments distinctifs. Une différence majeure est liée à l’existence de trois types d’InsP3R [ 9], qui diffèrent par leur affinité pour l’InsP3  : le type 2 a la plus grande affinité et le type 3 la plus faible. De plus les trois types d’InsP3R sont régulés différemment par le Ca2+. Par exemple, le type 3 pourrait ne pas être inhibé par le Ca2+ au moins pour des concentrations de Ca2+ physiologiques [ 10]. Ces différences sont importantes pour le décours des signaux calciques. Ainsi, des expériences dans lesquelles les niveaux d’expression des trois formes d’InsP3R sont modifiés (surexpression ou inhibition), montrent que les proportions des trois types de récepteurs InsP3 affectent profondément le décours des signaux calciques [ 11]. Les modélisations mathématiques que nous avons réalisées rendent compte de ces observations et suggèrent que le récepteur InsP3 de type 2, qui présente la dépendance la plus sensible au Ca2+, est l’oscillateur principal. Autrement dit, plus une cellule exprime de récepteurs de l’InsP3 de type 2, plus elle aura tendance à présenter des oscillations de Ca2+. La stimulation de l’InsP3R de type 1 induit aussi des oscillations, mais plus irrégulières et moins soutenues. L’activation du récepteur de type 3, quant à elle, tend à supprimer les oscillations. Cet effet inattendu s’explique par le comportement de l’InsP3R de type 3, qui n’est pas inhibé par le Ca2+, et permet une sortie constante de Ca2+ qui va inhiber les deux autres récepteurs. Cependant, comme le montrent les simulations, cet effet ne se produit que pour de fortes densités d’InsP3R. Au contraire, pour de faibles densités, le flux constant de Ca2+ induit par l’ouverture de l’InsP3R de type 3 pourrait stimuler l’activation des deux autres types de récepteurs de l’InsP3 et favoriserait donc l’apparition des oscillations [ 12].
Régulation par le Ca2+ du métabolisme de l’InsP3
Comme d’autres phénomènes oscillants, rythmes circadiens ou cycle cellulaire par exemple, les oscillations de Ca2+ sont soumises à des mécanismes de régulation qui, sans vraiment affecter leur existence, peuvent influencer significativement leurs caractéristiques. L’effet du Ca2+ sur le métabolisme de l’InsP3 en est un exemple  : la concentration de Ca2+ intracellulaire peut en effet affecter à la fois la synthèse et la dégradation d’InsP3 [ 13, 14]. Cependant, alors que la stimulation par le Ca2+ de la production d’InsP3 est un mécanisme qui peut générer des oscillations même en l’absence de régulation de l’InsP3R par le Ca2+ [ 15, 16], la stimulation de la dégradation d’InsP3 par le Ca2+ induit simplement des oscillations passives d’InsP3 qui affectent peu les oscillations de Ca2+ [ 17]. La distinction entre ces deux types d’oscillations peut être identifiée en suivant les variations du niveau d’InsP3 pendant les oscillations de Ca2+. Les résultats obtenus montrent que les situations varient en fonction du type cellulaire étudié [ 18]. En outre, des approches de modélisation ont établi que la réponse d’une cellule présentant des oscillations de Ca2+ à un pulse supplémentaire d’InsP3 est qualitativement différente selon que les oscillations de Ca2+ entraînent celles d’InsP3 ou vice-versa [ 19].
Deux scénarios pour la propagation spatiale des vagues de Ca2+
Du point de vue spatial, les oscillations de Ca2+ correspondent en réalité à des ondes qui se propagent de manière périodique dans le cytoplasme. Tout se passe comme si, à partir d’un certain niveau d’InsP3, les augmentations locales de Ca2+ (blips et puffs) devenaient suffisamment fréquentes et importantes pour envahir tout le cytoplasme sous forme de vagues, et qu’en plus, cette augmentation globale se produisait alors de manière régulière dans le temps (Figure 2 A3 pour exemple). La transition entre ces deux régimes - microscopique et aléatoire d’une part, et cellulaire et régulier d’autre part - observée en réponse à la simple augmentation de la stimulation cellulaire reste mal comprise par les théoriciens. Deux scénarios sont en effet possibles. Selon le premier, la transition puffs-oscillations serait due à un processus dit de nucléation  : dans cette hypothèse, étant donné la mauvaise communication entre clusters, une vague ne peut être déclenchée que si, par hasard, plusieurs sites puffs voisins sont actifs en même temps. L’augmentation de Ca2+ qui en résulte est suffisamment importante pour activer de proche en proche l’ensemble des récepteurs à l’InsP3 de la cellule. La relative régularité de ce processus d’initiation serait due au nombre élevé de sites puffs fonctionnels (c’est-à-dire ayant lié l’InsP3) présents dans la cellule, mais la description déterministe ne serait pas valable. En effet, la mauvaise communication entre les sites puffs ne permet pas de décrire correctement la dynamique en termes de concentration moyenne en Ca2+ [ 20]. Selon l’autre scénario, la transition puffs-oscillations résulterait simplement de l’augmentation du nombre de récepteurs de l’InsP3 fonctionnels. Celle-ci améliore la communication entre les sites puffs tandis que l’impact des fluctuations moléculaires s’amenuise car, en moyenne, les fluctuations se compensent et la dynamique calcique correspond à un comportement périodique déterministe. Cette deuxième hypothèse est corroborée par une confrontation entre résultats expérimentaux et simulations stochastiques : celle-ci montre que, dans les hépatocytes, le niveau d’irrégularité des oscillations peut être relié au nombre de récepteurs à l’InsP3 [ 21].
Rôle physiologique des ondes de Ca2+
Bien que les mécanismes qui engendrent les oscillations et ondes de Ca2+ commencent à être bien connus, le rôle physiologique de ces oscillations reste beaucoup moins bien documenté. Dès leur mise en évidence, ces signaux ont été proposés comme un exemple de codage par fréquence de l’activation cellulaire ; on sait que ce type de codage est plus résistant au « bruit »2 que le codage en amplitude [ 22]. Un tel codage par fréquence pourrait impliquer la CaMKII (Ca 2+ /calmodulin-dependent protein kinase II), une enzyme ubiquitaire dont le taux d’activité dépend de la fréquence des oscillations de Ca2+ [ 23]. Cette kinase, constituée de 10 à 12 sous-unités, possède la particularité de pouvoir s’autophosphoryler une fois qu’un nombre suffisant de monomères ont fixé le complexe Ca2+-calmoduline. Dans cet état, la CaMKII, dite autonome, garde son activité de kinase, même en l’absence de Ca2+. Des pics de Ca2+ suffisamment rapprochés permettent de déclencher cette activité autonome. En revanche, un intervalle de temps trop important entre deux pics de Ca2+ laisse au complexe Ca2+-calmoduline le temps de se dissocier, empêchant l’autophosphorylation [ 24].

Il peut y avoir d’autres avantages physiologiques à un signal oscillant de Ca2+ que le seul codage de fréquence, notamment pour éviter les effets délétères d’une augmentation soutenue de Ca2+ [ 25]. Des oscillations de Ca2+ variant à la fois en amplitude, en durée et en fréquence sont ainsi capables d’activer des ovocytes non fécondés de mammifères [ 26], certains profils d’augmentations calciques semblant plus efficaces que d’autres pour engager les premières divisions du développement embryonnaire [ 27]. Dans d’autres cellules, par exemple les lymphocytes B, les oscillations permettent de sensibiliser les cellules à de faibles taux de stimulation [ 28].

Coordination des signaux Ca2+ au niveau supracellulaire
Des observations datant de plus de 20 ans, faites dans des expériences réalisées notamment sur des foies entiers perfusés, suggèrent une organisation des signaux calciques dans l’espace et dans le temps au niveau d’un tissu entier [ 29]. Plus récemment, il a été montré dans certains organes ou dans des systèmes multicellulaires que les vagues calciques intracellulaires observées dans une cellule se propageaient aux cellules adjacentes, que ces dernières soient de même type ou d’un type différent [18]. Par exemple, dans des expériences utilisant des tranches d’hypothalamus de rat, une activité calcique spontanée et coordonnée peut être observée dans les astrocytes [ 30]. Cette activité peut même se transmettre à un autre type cellulaire : la stimulation électrique de certains neurones peut induire des vagues calciques dans les astrocytes adjacents [ 31]. Différents mécanismes, non exclusifs, expliquent ces observations. Citons les jonctions communicantes (gap junctions) qui permettent la diffusion de petites molécules entre cellules connectées, et dont le rôle a été très bien étudié [18]. Dans la plupart des cas, les vagues intercellulaires résultent de la diffusion d’InsP3 d’une cellule à une autre. Certaines observations suggèrent que d’autres messagers intracellulaires tels que l’ADP ribose ou le Ca2+, pourraient participer à ces vagues calciques [18]. Quel que soit le messager, les vagues intercellulaires qui ne sont portées que par leur diffusion au travers des jonctions communicantes sont limitées dans le temps et dans l’espace, ne se propageant qu’à quelques cellules adjacentes. Dans les tissus, qui comportent un nombre beaucoup plus élevé de cellules, un mécanisme de régénération de ces vagues est nécessaire pour permettre leur propagation. Le plus commun fait intervenir la voie de synthèse de l’InsP3 (voir ci-dessus), via la libération dans le milieu extracellulaire de molécules capables d’activer cette voie de signalisation. En fonction des types cellulaires étudiés, l’ATP, le glutamate ou encore le monoxyde d’azote (NO) sont ainsi les molécules le plus souvent impliquées dans la propagation des vagues calciques intercellulaires [18]. En fait, des études réalisées sur des cellules en culture montrent que des voies paracrines et directes (jonctions communicantes) s’associent pour assurer la propagation des signaux calciques intercellulaires. C’est sans doute aussi le cas in vivo, bien qu’il soit difficile de l’étudier.

L’importance relative de ces deux voies peut varier en fonction des situations physiologiques. Le foie nous en offre un exemple remarquable. Dans le foie normal, la perfusion d’agonistes dépendants du Ca2+, vasopressine ou noradrénaline, provoque des vagues de Ca2+ répétitives qui se propagent de façon synchronisée aux différents lobules constitutifs du foie [ 32]. Des expériences réalisées sur des fragments de travées hépatocytaires, dans lesquels les hépatocytes restent connectés par leurs jonctions communicantes, montrent que ces vagues de Ca2+ ne sont qu’apparentes et résultent d’un léger décalage de phase d’oscillations dont les fréquences sont très proches (Figure 2A). Ce décalage de phase est dû à un gradient de récepteurs de la vasopressine ou de la noradrénaline le long des travées d’hépatocytes, lui-même responsable d’un gradient de vitesses d’activation de la phospholipase C (PLC) (Figure 2B). Les vitesses de synthèse d’InsP3 sont donc légèrement différentes d’une cellule à l’autre [32, 33]. En conséquence, les pics d’InsP3, et donc de Ca2+, apparaissent séquentiellement le long des travées. La coordination de ces oscillations est quant à elle assurée par la diffusion de faibles quantités d’InsP3 à travers les jonctions communicantes [ 34]. Cette quantité de messagers n’est cependant pas suffisante à elle seule pour déclencher des réponses en Ca2+ [34, 35]. Un modèle fondé sur ces observations nous a permis de formaliser ces hypothèses (Figure 2B) et de faire certaines prédictions qui ont pu être vérifiées expérimentalement [33]. Le modèle décrit simplement les évolutions temporelles du Ca2+, de l’InsP3 et de la fraction de récepteurs de l’InsP3 qui sont dans un état inactif (car inhibés par des taux élevés de Ca2+ cytosolique). Le passage d’InsP3 à travers les jonctions communicantes y est également décrit, la perméabilité de ces dernières apparaissant dès lors comme un paramètre-clé du modèle [33].

Un exemple d’implications physiologiques : signaux Ca2+ et fonction hépatique
L’ensemble de ces résultats nous a permis de proposer un modèle d’organisation spatiotemporelle du signal Ca2+ dans le foie qui pourrait être important pour certaines des fonctions majeures de cet organe. Dès le début des années 1990, le groupe de Jungermann montrait que l’inhibition des jonctions communicantes inhibait la libération de glucose induite par une stimulation des nerfs sympathiques [ 36]. Ces résultats ont été confirmés en utilisant des souris n’exprimant pas la connexine 32, majoritaire dans les hépatocytes [18]. La communication intercellulaire assurée par les jonctions communicantes est aussi impliquée dans la sécrétion biliaire régulée par les agonistes dépendant du Ca2+. Dans ce cas, l’importance de la vague unidirectionnelle de Ca2+ a aussi pu être mise en évidence : la suppression du gradient de sensibilité à la vasopressine, qui entraîne l’abolition du caractère séquentiel des réponses calciques, inhibe le flux biliaire stimulé par cet agoniste [32].

Un aspect fascinant du foie est sa capacité à se régénérer après une destruction partielle. Étant donné le rôle du Ca2+ dans la régulation de la transcription des gènes et du cycle cellulaire, il n’est pas étonnant que la signalisation calcique joue là aussi un rôle majeur. Les expériences d’hépatectomie partielle chez le rat indiquent que de nombreuses molécules capables de provoquer des augmentations de Ca2+ sont libérées (notamment l’ATP [ 37]) et induisent ainsi la propagation de vagues calciques dans le foie. Il existe en outre une profonde réorganisation des signaux calciques intra- et intercellulaires au cours de la régénération hépatique [32]. Vingt-quatre heures après hépatectomie partielle, il y a une désensibilisation de la signalisation calcique dans les hépatocytes qui résulte notamment d’une modification de l’expression des récepteurs de l’InsP3 [ 38, 39]. Avant l’intervention, les hépatocytes expriment les récepteurs de l’InsP3 de type 1 et 2 (environ 30 % et 70  % respectivement). Vingt-quatre heures après hépatectomie partielle, le nombre total de récepteurs de l’InsP3 diminue très fortement et la proportion relative des récepteurs de type 1 et 2 s’équilibre. Parallèlement on observe une modification de la forme des oscillations de Ca2+ induites par les agonistes dépendants de l’InsP3, notamment la vasopressine [39]. Récemment, en interférant directement avec la signalisation du Ca2+ intracellulaire, nous avons pu confirmer l’importance des variations de Ca2+ cytosolique pour le processus de régénération du foie. On observe ainsi, une heure après hépatectomie partielle, une diminution de l’induction du gène précoce c-fos et un défaut de phosphorylation d’ERK1/2 (extracellular signal-regulated kinase) lorsque le Ca2+ cytosolique est chélaté. L’ensemble des résultats obtenus montre que, dans les hépatocytes, le Ca2+ cytosolique joue un rôle positif dans les phases précoces du cycle cellulaire, notamment lors de la transition G0/G1 et de la progression vers la phase S [ 40]. À ce stade, on peut à nouveau s’attendre à ce qu’une approche de modélisation, fondée sur une description couplée des oscillations de Ca2+ et du cycle cellulaire, favorise une compréhension globale et quantitative de ce phénomène fascinant.

Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
 
Acknowledgments

Laurent Combettes reçoit le soutien de l’ANR (projet RPV07094LSA) et d’un PNR en hépato-gastro-entérologie. Il bénéficie d’un contrat d’interface entre l’Inserm et l’AP-HP (Hôpital du Kremlin-Bicêtre). Geneviève Dupont est maître de recherche du FNRS belge et bénéficie d’un financement du Fonds de la recherche scientifique médicale (convention n° 3.4568.10) et d’un programme dans le cadre des pôles d’attraction interuniversitaire (projet P6/25). Cette collaboration est financée par un programme Tournesol PHC.

 
Footnotes
2 Bruit est ici pris dans le sens de bruit moléculaire des systèmes biologiques.
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