Résistance aux messages de prévention-santé : modélisation à partir d’une publicité anti-tabac

2017


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Communications

Marie-Laure Mourre
Université Paris-Est, IRG (EA 2354), Paris
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « le tabac est la deuxième cause de mortalité dans le monde. Il est actuellement responsable du décès d’un adulte sur 10 ». De ce fait, l’OMS encourage les 173 pays signataires de la Convention cadre sur le contrôle du tabac à mener des programmes d’action anti-tabac s’appuyant notamment sur la diffusion de messages montrant les effets nocifs du tabac et incitant à ne pas en consommer (article 12). L’OMS considère que « les campagnes publicitaires dans les médias de masse sont devenues un élément clé des programmes de contrôle du tabac ». Pour en augmenter l’efficacité, l’OMS a formulé la recommandation selon laquelle elle devait s’efforcer « d’identifier et de fournir […] une littérature appropriée sur le marketing social et de stimuler et d’aider les personnels nationaux à appliquer cette approche »1 .
En France, l’État s’est fixé, par l’intermédiaire de l’Inpes, comme objectifs « d’augmenter le nombre de tentatives d’arrêt chez les fumeurs en ciblant les publics prioritaires par des campagnes de communication […] et de dissuader les jeunes de commencer à fumer ». Cependant, malgré une réglementation et une fiscalité de plus en plus restrictives, on constate une augmentation de la prévalence tabagique quotidienne notamment chez les jeunes2 . Aussi peut-on légitimement envisager l’existence d’une résistance de la population aux messages de lutte contre le tabac, voire d’un effet « boomerang »3 qui viendrait renforcer le comportement tabagique des fumeurs.
L’intense activité de recherche que suscite la lutte contre le tabagisme a donné jour à un grand nombre de modèles relatifs aux comportements de santé (Armitage et Conner, 2000renvoi vers). Cependant, il n’existe pas de recherche, à notre connaissance, cherchant à mettre au jour les variables et mécanismes à l’origine de la résistance aux messages et des effets « boomerang » des publicités anti-tabac pourtant mis en évidence à plusieurs reprises (Wolburg, 2006renvoi vers ; Hammond et coll., 2014renvoi vers). Ceux-ci sont bien souvent présentés comme la manifestation de la réactance situationnelle des fumeurs sans qu’une modélisation ne soit explicitement proposée. Aussi, plutôt que d’étudier une nouvelle fois les effets des publicités anti-tabac sur la persuasion, nous proposons de travailler « à rebours » en mettant au jour les mécanismes de résistance aux messages de lutte contre le tabagisme diffusés auprès des fumeurs. La revue de littérature s’appuie sur plusieurs courants théoriques relatifs à la formation d’attitudes et de comportements de santé ainsi que sur les recherches sur la résistance à la persuasion, sur la peur dans la communication anti-tabac et sur les orientations motivationnelles. Elle nous conduit à proposer un modèle de la résistance à la persuasion des messages de santé intégrant les influences cognitives, affectives et sociales et les métacognitions.
Nous présentons ensuite le test empirique du modèle grâce à un plan expérimental de type « avant-après exposition avec groupe de contrôle » afin de mesurer les effets de l’exposition à une publicité anti-tabac sur la résistance et le rôle des variables retenues. Nous avons choisi comme stimulus une publicité presse développée par l’OMS ciblant les jeunes fumeurs et les incitant à arrêter de fumer. L’échantillon est constitué d’étudiants. Les données ont été analysées en utilisant la technique de modélisation par équations structurelles selon la méthode des moindres carrés partiels (PLS).
Nos résultats confirment l’existence d’un modèle de résistance distinct des modèles de persuasion. Ces résultats font ensuite l’objet d’une discussion débouchant sur des implications managériales et des voies de recherche future.

Cadre théorique

Afin d’élaborer notre modèle intégrateur, nous aborderons les apports des recherches sur la résistance, puis les travaux portant sur le marketing dans le domaine de la santé.

Apport des recherches sur la résistance

La résistance d’un individu à un message de prévention se manifeste par l’échec de la communication persuasive à atteindre ses objectifs. Elle se traduit donc soit par l’absence de changement des attitudes et/ou des comportements, on est alors dans le cas d’une résistance « simple », soit par un résultat inverse à celui visé, on parle alors d’effet « boomerang » (Byrne et Hart, 2010renvoi vers). Cela peut intervenir au niveau attitudinal et/ou intentionnel et/ou comportemental chez un individu dont la motivation est de maintenir son état antérieur au message. Or la force des attitudes initiales a un impact sur le degré et la nature de résistance à un message persuasif : plus les attitudes initiales sont fortes, plus la résistance est élevée (Pomerantz et coll., 1995renvoi vers ; Spira, 2002renvoi vers). Nous supposons donc que l’attitude initiale envers les méfaits de la cigarette a un impact négatif sur la résistance au message de prévention (H1). De même, nous supposons que l’intention initiale d’arrêter de fumer a un impact négatif sur la résistance au message de prévention (H3). Par ailleurs, lorsque les consommateurs devinent les intentions dissimulées de certains agents persuasifs, leurs attitudes deviennent moins favorables car la sincérité de la source est entachée d’un doute (Campbell et Kirmani, 2000renvoi vers). Cela se produit quand la détection de l’intention persuasive est activée (Friestad et Wright, 1994renvoi vers). Nous émettons donc l’hypothèse que la détection de l’intention persuasive d’un individu a un impact positif sur la résistance au message de prévention (H2).

Apport des modèles de changements de comportements dans le domaine de la santé

Ces hypothèses doivent être intégrées aux modèles théoriques qui visent à formaliser le mécanisme de changement dans le domaine de la santé (Armitage et Conner, 2000renvoi vers). Parmi eux, la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1985renvoi vers) demeure un des modèles causaux parmi les plus performants pour rendre compte du changement comportemental (Conner et Armitage, 1998renvoi vers). Le meilleur prédicteur du comportement volitif est l’intention comportementale qui résulte de facteurs individuels (l’attitude au sujet du comportement et le contrôle comportemental perçu4 ) et de facteurs normatifs et sociaux (les normes subjectives). Les modèles motivationnels nous permettent donc d’envisager les deux hypothèses suivantes : la dépendance aux normes des pairs (en l’occurrence, fumer quotidiennement) a un impact positif sur la résistance au message de prévention (H4) et le contrôle comportemental perçu a un impact négatif sur la résistance au message de prévention (H5).

Apport des recherches sur la peur

Les recherches sur la persuasion par la peur ont montré que le recours à ce sentiment, bien qu’efficace en général (Gallopel et Valette-Florence, 2002renvoi vers), peut s’avérer contre-productif dans certains cas (Gallopel-Morvan, 2006renvoi vers). Par ailleurs, l’association du dégoût à la peur peut diminuer l’efficacité des communications persuasives car les ressources cognitives allouées au décodage/mémorisation du message sont moins importantes que lorsque seule la peur est ressentie (Leshner et coll., 2011renvoi vers). Nous proposons donc d’inclure les hypothèses suivantes dans notre modèle : la peur suscitée par l’annonce a un impact négatif sur la résistance au message de prévention (H6) et le dégoût suscité par l’annonce modère négativement la relation entre la peur suscitée par l’annonce et la résistance au message de prévention (H7).

Apport de la théorie de l’orientation régulatrice

La théorie de l’orientation régulatrice (Higgins, 1997renvoi vers) postule que les individus sont mus par la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance. Ainsi, l’individu à « orientation promotion » cherche plutôt à maximiser l’occurrence d’un événement positif, alors qu’un individu à « orientation prévention » cherche davantage à minimiser la probabilité de réalisation d’un événement négatif. La littérature indique que les individus d’orientation « promotion » sont moins sensibles aux communications santé que les sujets orientés « prévention » (Aaker et Lee, 2001renvoi vers ; Gomez, 2009renvoi vers). Dans notre cas, nous émettons l’hypothèse qu’un fumeur orienté « promotion » verra davantage les bénéfices hédoniques liés au fait de fumer et aura tendance à maintenir son attitude et son comportement (H8a) alors qu’un individu fumeur orienté « prévention » sera sensible aux risques liés au tabagisme et plus enclin à modifier son attitude et son intention comportementale (H8b). En outre, un lien entre l’orientation régulatrice et la dépendance aux normes des pairs a été mis en évidence dans plusieurs recherches (Higgins, 1997renvoi vers ; Markovits et coll., 2008renvoi vers ; Gorman et coll., 2012renvoi vers). Ainsi, l’orientation « prévention » semble associée à une plus grande dépendance aux normes des pairs (H9a) alors que l’orientation « promotion » serait associée à une moins grande dépendance aux normes des pairs (H9b). D’autre part, des résultats (Lanaj et coll., 2012renvoi vers) suggèrent que l’orientation « prévention » est associée à un moins grand contrôle comportemental perçu (H10a) et inversement que l’orientation « promotion » est associée à un plus grand contrôle comportemental perçu (H10b). Enfin, un lien entre l’orientation régulatrice d’un individu et l’utilisation des connaissances en matière de persuasion semble exister (Kirmani et Zhu, 2007renvoi vers). L’orientation « prévention » favoriserait la détection des intentions manipulatoires des messages publicitaires. Nous supposons donc que l’orientation régulatrice modère la force du lien entre la détection de l’intention persuasive et la résistance au message de prévention (H11).
La revue de littérature nous conduit ainsi à proposer le modèle conceptuel de la résistance à la persuasion des messages de santé présenté en figure 1Renvoi vers.
Figure 1 Modèle conceptuel de la recherche

Méthodologie de la recherche

Depuis plusieurs années, les cibles privilégiées des campagnes de publicité contre le tabac de l’Inpes sont les femmes, mais aussi les jeunes5 . Considérant en outre que la prévalence tabagique quotidienne la plus élevée en France est celle des jeunes âgés de 20 à 25 ans6 , l’échantillon retenu pour notre phase empirique se compose de 74 étudiants fumeurs, 46 de sexe masculin, 28 de sexe féminin, âgés de 20 ans et demi en moyenne. Le stimulus choisi pour le test est une publicité presse développée par l’OMS en 2010 à l’occasion de la journée mondiale annuelle sans tabac le 31 mai (figure 2Renvoi vers). Néanmoins, cette campagne n’a pas été utilisée en France, l’Inpes ayant développé une campagne alternative.
Figure 2 Stimulus de l’expérimentation
Les instruments de mesure sont issus d’échelles existantes présentant de bonnes propriétés psychométriques. Les pré-tests ont permis de vérifier leur validité et fiabilité. Des mesures directes ont aussi été utilisées dans le cas où celles-ci sont recommandées (tableau Irenvoi vers).
Un plan expérimental de type pré-post exposition avec groupe de contrôle a été mis en place. Le questionnaire pré-exposition a été envoyé à l’ensemble des étudiants par email. La deuxième étape, deux semaines plus tard, a consisté à inviter les étudiants fumeurs du groupe test à participer physiquement au test à proprement parler. Ce test se déroule en trois temps : exposition à l’annonce testée, recueil des réactions par enregistrement vidéo, et soumission du questionnaire post-exposition.
La mise au jour des liens de causalité a été réalisée grâce à la modélisation par équations structurelles. Nous avons eu recours à la méthode PLS basée sur l’analyse de variance et la méthode des moindres carrés partiels étant donné la nature exploratoire de notre modèle et la non-normalité de nos données (Hair et coll., 2011renvoi vers). Par ailleurs, nous avons mené des analyses multi-groupes qui permettent de traiter l’hétérogénéité observée des données en isolant des sous-modèles (dits « locaux ») au sein du modèle causal global. Cela permet d’étudier les éventuelles différences de modèles entre les sujets manifestant de la résistance à la publicité testée et ceux qui n’en manifestent pas. On parlera de modèle local « résistant » et « non résistant » pour désigner respectivement les sous-modèles émanant des observations des individus résistants et non résistants. Enfin, les effets modérateurs ont été étudiés selon l’approche produit-indicateur7 .

Tableau I Présentation des instruments de mesure

Résistance au message de prévention
Attitude envers les méfaits du tabac (adaptée de Etter et coll., 2000)
1. Fumer est extrêmement risqué pour la santé.
2. On se détruit la santé avec les cigarettes.
3. En fumant, on met la santé des autres en danger.
Intention d’arrêter de fumer
1. Avez-vous l’intention d’arrêter de fumer dans les 2 prochaines semaines ?
2. Quelle est la probabilité que dans 6 mois vous ayez arrêté de fumer ?
Dépendance aux normes des pairs (adaptée de Bearden, Netemeyer et Teel, 1989)
1. J’aime bien savoir quelles attitudes et quels comportements produisent une bonne impression sur les autres.
2. Quand je me comporte de la même manière que les autres, j’ai l’impression de faire partie d’un groupe.
3. Quand je suis observé(e) ou en groupe, j’ai tendance à faire comme tout le monde.
Contrôle comportemental perçu
Quand j’aurai décidé d’arrêter de fumer, y arriver sera : très difficile/très facile
Orientation régulatrice (adaptée de Fellner et coll., 2007) Dimension promotion :
1. J’aime bien faire les choses d’une manière nouvelle.
2. Généralement, je résous les problèmes de manière originale.
3. J’aime bien essayer beaucoup de choses différentes et ça me réussit plutôt bien.
Dimension prévention :
1. Je considère comme très important de remplir les obligations qu’on m’impose.
2. Ça ne me dérange pas de vérifier les choses très en détail.
3. J’essaie toujours de faire mon travail le plus précisément possible et sans erreur.
Détection de l’intention persuasive – dimension subjective (adaptée de Bearden, Hardesty et Rose, 2001)
1. J’arrive facilement à identifier les techniques de vente utilisées par les vendeurs.
2. Je sais repérer quand le marketing essaie de me forcer à acheter.
3. Je connais les trucs et astuces utilisés dans la vente pour faire en sorte que les gens achètent.
Détection de l’intention persuasive – dimension objective (adaptée de Boush, Friestad et Rose, 1994)
Dans une publicité, quand (insertion de la tactique), qu’est-ce que le publicitaire essaye de faire selon vous ?
L’échelle de notation pour chaque effet comprend 5 échelons allant de 1 « pas du tout d’accord » à 5 « tout à fait d’accord », une option « je ne sais pas » a été également fournie.
Les 6 tactiques testées sont les suivantes :
1- quand on vous montre une vedette de la télé, de la musique ou du cinéma,
2- quand la publicité est drôle,
3- quand on vous montre comment le produit fonctionne,
4- quand on utilise un personnage de dessin animé,
5- quand on compare le produit à un autre,
6- quand on montre des personnages qui vous ressemblent.
Les 8 objectifs recherchés proposés sont les suivants :
a- attirer votre attention,
b- vous faire désirer le produit,
c- vous faire préférer le produit à un autre,
d- vous faire aimer la publicité,
e- vous faire vous souvenir de la publicité,
f- vous faire croire que ce que dit la publicité est vrai,
g- vous faire découvrir le produit,
h- vous faire penser que vous serez content(e) d’avoir ce produit.
Précisons que différentes analyses préalables au test du modèle ont été menées : existence d’un effet de traitement ; appariement des groupes « résistants » et « non résistants » ; vérification des validités convergente et discriminante et de la fiabilité des échelles de mesures ; adéquation des données à la modélisation par équations structurelles selon la méthode PLS ; évaluation du modèle de mesure.

Résultats

Vérifications expérimentales

Soixante-dix-sept pour cent de notre échantillon résistent à la publicité antitabac du test. Les mesures avant et après l’exposition à la publicité font état d’une résistance plus importante au niveau intentionnel qu’attitudinal : la baisse d’intention d’arrêter de fumer est de 44 %(p < 0,005) alors que la baisse de l’attitude envers les méfaits de la cigarette n’est que de 4 % (p < 0,005). L’exposition au stimulus choisi semble donc bien déclencher une résistance.

Test des hypothèses du modèle de résistance au message de prévention

L’attitude initiale envers les méfaits de la cigarette a un impact négatif sur la résistance au message de prévention sur les dimensions attitudinale (0,636 ; p < 0,000) et intentionnelle (0,231 ; p = 0,034) au sein du modèle local résistant : H1 est partiellement validée. Au sein du modèle résistant, on a pu vérifier que la détection de l’intention persuasive a un impact négatif sur l’intention finale d’arrêter de fumer (- 0,360 ; p = 0,001) mais a un impact positif au niveau attitudinal (0,173 ; p = 0,072) : H2 est partiellement validée.
L’intention initiale d’arrêter de fumer a un impact positif sur l’intention finale d’arrêter de fumer au sein du modèle résistant (0,530 ; p < 0,000). H3 est partiellement validée. Au sein du modèle local résistant, le contrôle comportemental perçu a un impact négatif sur l’intention finale d’arrêter de fumer (- 0,242 ; p = 0,018) et donc favorise la résistance au message de prévention : H5 est partiellement rejetée.
Au sein du modèle non résistant, la peur a un impact négatif sur l’intention finale d’arrêter de fumer (- 0,231 ; p = 0,55) : H6 est partiellement rejetée. Le dégoût ne semble pas modérer la relation entre la peur et la résistance. Par ailleurs, au sein du modèle résistant, l’orientation « prévention » d’un individu a un impact positif sur l’attitude finale envers les méfaits de la cigarette (0,208 ; p = 0,038) mais négatif sur l’intention finale d’arrêter de fumer (- 0,186 ; p = 0,081) ; de plus, l’orientation « promotion » a un impact négatif sur l’attitude finale envers les méfaits de la cigarette au sein du modèle résistant (- 0,172 ; p = 0,072) : H8 est partiellement validée. L’orientation « prévention » est associée à une plus grande dépendance aux normes des pairs au sein du modèle résistant (H9a partiellement validée).
Au sein du modèle résistant, l’orientation « prévention » est associée à un moins grand contrôle comportemental perçu (H10a partiellement validée). Enfin, l’orientation « prévention » diminue l’effet négatif de la détection de l’intention persuasive sur l’intention finale d’arrêter de fumer (interaction - 0,186 p = 0,078 versus - 0,363 p < 0,000) : H11 est partiellement rejetée. Les liens structurels significatifs sont représentés en figure 3.

Qualité prédictive du modèle causal de résistance au message de prévention

Notre objectif de recherche étant de parvenir à modéliser la résistance au message de prévention testé, nous fondons notre évaluation sur le modèle local « résistant », c’est-à-dire le modèle basé sur les mesures des individus ayant fait preuve d’une résistance de type « boomerang » (soit une baisse de l’attitude envers les méfaits du tabac et/ou une baisse de l’intention d’arrêter de fumer post-exposition). La valeur prédictive du modèle structurel est indiquée par les pourcentages de variance expliquée ou R2 pour chaque régression du modèle. Le R2 de la résistance attitudinale est de 64,6 % ce qui est élevé au regard des critères de Chin (1998)8 . Le R2 de la résistance intentionnelle est également élevé avec 59,7 % de variance expliquée.
Figure 3 Modèle local « résistant »

Discussion

L’analyse multi-groupes réalisée à partir du modèle structurel global a permis de dégager deux modèles locaux différents selon que les individus résistent ou non à la publicité anti-tabac du test (figures 3 et 4). Le R2 du modèle local non résistant élevé (0,944) provient essentiellement de l’intention initiale d’arrêter de fumer (0,904) et, dans une moindre mesure, de la peur suscitée par la publicité (- 0,231). Ainsi, peu de liens testés se sont révélés significatifs. Chez les fumeurs résistants, la résistance au message de prévention est notamment expliquée par la détection de l’intention persuasive, l’orientation régulatrice et le contrôle comportemental perçu. Avec l’attitude initiale envers les méfaits de la cigarette et l’intention initiale d’arrêter de fumer, ces variables rendent compte de 64,6 % de la variance de la résistance attitudinale et 59,7 % de la variance de la résistance intentionnelle. Le rôle spécifique de ces variables dans la résistance au message de prévention testé est donc confirmé.
Figure 4 Modèle local « non-résistant » (d’après Mourre et Gurviez, 2015renvoi vers)

Rôle de la détection de l’intention persuasive

Nos résultats indiquent que la détection de l’intention persuasive a un impact négatif sur l’intention finale d’arrêter de fumer dans le modèle résistant. Ce résultat est conforme à la théorie du Persuasion Knowledge Model (Friestad et Wright, 1994renvoi vers) : les éléments constitutifs de la connaissance de la persuasion sont utilisés comme ressources d’ajustement face aux épisodes persuasifs. En revanche, on constate que la détection de l’intention persuasive a un impact positif sur l’attitude envers les effets négatifs de la cigarette. Cet effet apparemment contradictoire (impact positif sur l’attitude et négatif sur l’intention) peut trouver sa source dans la nature de la résistance opposée au message de la publicité. En effet, la résistance est plus importante au niveau intentionnel qu’attitudinal : la baisse d’intention d’arrêter de fumer après exposition à la publicité est de 44 % alors que la baisse de l’attitude envers les effets négatifs de la cigarette n’est que de 4 %. Ainsi, la résistance au message anti-tabac ne concernerait pas tant l’aspect informationnel de la nocivité du tabac que l’injonction comportementale d’arrêter de fumer. D’ailleurs, plusieurs recherches indiquent que les fumeurs ont une attitude neutre ou négative à l’égard du tabac (Swanson et coll., 2001renvoi vers ; Huijding et coll., 2005renvoi vers). Les effets nocifs du tabac pour la santé ne font plus guère de doutes y compris pour les fumeurs, témoignant au passage de l’efficacité des campagnes anti-tabac au niveau informationnel. Étant donné que ce n’est finalement pas son attitude que le fumeur cherche à préserver de la communication persuasive, mais son comportement, on peut supposer que, dans ce cas, la détection de l’intention persuasive impacte différemment l’efficacité informative de la publicité et son efficacité comportementale.

Rôle du contrôle comportemental perçu

Aucun lien significatif entre le contrôle comportemental perçu et l’intention finale d’arrêter de fumer n’apparaît dans le cas du modèle non résistant, alors qu’un lien négatif est mis en évidence pour le modèle résistant, ce qui est l’inverse de l’effet escompté. En effet, la littérature corrobore le fait qu’un individu pensant avoir un contrôle comportemental élevé aura des attitudes plus favorables au sujet du changement comportemental suggéré, des intentions comportementales plus élevées et que le lien entre attitudes et intentions sera plus fort (Durkin et coll., 2012renvoi vers). De même, selon le modèle de la motivation à se protéger (Rogers, 1983renvoi vers), le contrôle comportemental est la variable qui explique le mieux l’efficacité d’un message. Or, notre recherche indique que le sentiment d’avoir un contrôle comportemental élevé diminue l’intention d’arrêter de fumer. Nous n’avons pas trouvé de recherche qui comporte les mêmes résultats. Nous risquons donc une explication purement spéculative. La relation négative entre le contrôle comportemental perçu et l’intention d’arrêter de fumer ne se constatant que chez les individus résistants, on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit là d’une stratégie de résistance. En effet, en évaluant de manière élevée son contrôle comportemental, un fumeur peut se persuader que l’arrêt de la cigarette sera chose aisée quand il aura décidé d’arrêter de fumer et donc remettre à plus tard cette décision. Le contrôle comportemental perçu serait alors un facteur de procrastination chez le fumeur résistant au lieu d’être un facteur favorable au changement comportemental.

Rôle de l’orientation régulatrice

Nos résultats indiquent que l’orientation régulatrice d’un individu a un impact sur son attitude finale envers les méfaits de la cigarette et sur l’intention d’arrêter de fumer dans le cadre du modèle résistant. Le lien négatif que nous avons identifié entre l’orientation « promotion » et l’attitude finale est cohérent avec les conclusions des recherches sur le sujet. De même, le lien positif établi entre l’orientation « prévention » et l’attitude finale est corroboré par la littérature. En outre, nos résultats confirment que l’orientation « prévention » diminue le sentiment de contrôle comportemental ; ceci peut s’expliquer par la tendance des individus « prévention » à se remémorer leurs erreurs et à redouter l’échec, ce qui les conduit à avoir une moins grande confiance en eux.

Absence d’impact de la peur et du dégoût

Nos résultats n’indiquent aucun impact significatif pour le modèle local résistant et un lien inverse à celui escompté pour le modèle local non résistant (la peur a un impact négatif sur l’intention finale d’arrêter de fumer). L’inefficacité d’un message phobique peut être causée par la perception que la menace évoquée dans la publicité est supérieure à la perception de contrôle comportemental de l’individu. Dans ce cas, le sujet cherche à contrôler sa peur et non le danger, ses ressources cognitives sont alors mobilisées pour neutraliser l’émotion phobique, ceci pouvant même mener à des réactions « boomerang ». Cela peut expliquer la relation négative entre la peur et l’intention d’arrêter de fumer dans le modèle non résistant. Une autre explication possible est liée au contexte spécifique de la prévention tabagique. En effet, dans le domaine de la lutte contre le tabagisme, certains estiment que la peur a perdu de son efficacité, car le public est aujourd’hui bien informé sur les dangers du tabac (Hastings et MacFadyen, 2002renvoi vers). Notre mesure de l’attitude envers les méfaits de la cigarette avant exposition à la publicité tend à corroborer cette affirmation : avec un score moyen de 5,8 sur une échelle allant de 1 à 7, l’attitude envers les méfaits de la cigarette est plutôt élevée chez les fumeurs (et sans qu’il n’y ait de différence significative avec les non-fumeurs). La multiplication des avertissements sanitaires et le recours aux visuels chocs, notamment sur les paquets de cigarettes, peuvent s’avérer performants dans un premier temps (Gallopel-Morvan et coll., 2013renvoi vers) mais peuvent également conduire à une désensibilisation progressive des fumeurs ciblés. On se trouve alors dans un cas d’inoculation (McGuire, 1961renvoi vers) où des attaques répétées fournissent progressivement au sujet l’occasion de mieux défendre son comportement. Enfin, d’autres recherches expliquent l’inefficacité des messages de prévention en s’appuyant sur la théorie du management de la terreur selon laquelle un comportement qui alimente l’estime de soi (fumer par exemple) est renforcé si celui-ci est menacé (Veer et Rank, 2012renvoi vers).

Conclusion

Apports théoriques

Notre recherche a pu mettre en évidence qu’il existait bien des mécanismes différents entre la résistance au message de prévention, d’une part, et l’acceptation du message de prévention, d’autre part. En effet, l’analyse multi-groupes de nos données fait apparaître deux modèles locaux différents selon que les sujets ont résisté ou non au message de la publicité (cf. figures 3 et 4). Chez les fumeurs résistants, la résistance est expliquée par l’intention initiale d’arrêter de fumer, l’attitude initiale envers les effets négatifs de la cigarette, la détection de l’intention persuasive et le contrôle comportemental perçu. Ces variables rendent compte de 62,5 % de la variance de l’intention d’arrêter de fumer. Chez les fumeurs non résistants, l’intention d’arrêter de fumer post-exposition est expliquée essentiellement par l’intention initiale d’arrêter de fumer. Par ailleurs, nous confirmons le rôle spécifique de plusieurs variables dans la résistance au message de prévention testé :
• la détection de l’intention persuasive a un impact négatif direct sur l’intention d’arrêter de fumer post-exposition ;
• le sentiment d’avoir un contrôle comportemental élevé diminue l’intention d’arrêter de fumer. Il s’agit là d’un résultat inattendu et contraire aux conclusions de la plupart des recherches. Nous avons suggéré qu’il s’agit d’une tactique de résistance, cependant ce lien entre le contrôle comportemental perçu et la procrastination chez les fumeurs résistants appelle à une investigation plus poussée ;
• l’orientation régulatrice d’un individu a un impact sur son attitude finale envers les effets nocifs de la cigarette dans le cadre du modèle résistant.
Certaines variables, dont nous attendions qu’elles aient un impact sur la résistance à la persuasion, n’ont pas montré d’effet significatif. Ainsi, nos résultats ne permettent pas de confirmer le rôle de la dépendance aux normes des pairs dans la résistance à la persuasion. D’autre part, la peur ressentie lors de l’exposition à la publicité n’a pas d’impact significatif pour le modèle local résistant et a un impact inverse à celui escompté sur l’intention pour le modèle local non résistant.

Implications managériales

Le développement de publicités de prévention contre le tabac peut gagner à s’appuyerà la fois sur les enseignements issus de la recherche sur la persuasion, mais aussi sur ceux portant sur la résistance à la persuasion. Nous pensons en particulier à l’intérêt de mesurer la connaissance de la persuasion du public visé pour réaliser un ciblage permettant d’éviter les effets « boomerang » et/ou pour concevoir des messages différents en fonction du niveau de ces variables. La prise en compte de l’orientation régulatrice des individus ciblés apparaît également comme une voie d’amélioration des publicités de marketing social. Une première implication peut consister à ne cibler que les individus orientés « prévention » afin d’éviter les effets « boomerang »9 . Une autre implication indirecte concerne la conception de messages de prévention en lien avec l’orientation régulatrice des individus : la congruence entre les arguments avancés dans la communication préventive et l’orientation régulatrice a un impact positif sur la force persuasive des messages. Ainsi, présenter les bénéfices découlant de l’arrêt du tabac aux fumeurs orientés « promotion » serait plus efficace que de décrire les conséquences négatives du tabagisme. Présenter les inconvénients que l’on évite en arrêtant de fumer aux personnes orientées « prévention » serait également plus pertinent. Une autre conclusion pratique de notre recherche concerne le recours à la peur qui semble inutile, voire contreproductif dans certains cas. L’abondante littérature sur les effets contrastés de l’utilisation des émotions phobiques incite également à la prudence. Les praticiens qui ont recours à la peur auraient sans doute intérêt à y adjoindre un autre message (par exemple lié à l’orientation régulatrice) et à pré-tester le matériel auprès du public visé.

Limites et voies de recherche futures

Afin de ne pas alourdir un modèle déjà complexe, nous avons exclu certaines théories et variables. Au terme de ce travail, nous envisageons que ces choix puissent expliquer certains résultats inattendus ou une moindre valeur prédictive du modèle. Nous pensons en particulier à la non-prise en compte de la théorie de la réactance (Brehm, 1966renvoi vers) et de la propension du consommateur à résister. Afin d’accroître la validité externe de nos résultats, un plan expérimental comportant plusieurs publicités anti-tabac testées auprès d’un échantillon représentatif de la population permettrait de dépasser le cadre du stimulus que nous avons utilisé pour proposer des conclusions portant sur les campagnes publicitaires de lutte anti-tabac en général. De là, il pourrait être envisageable de tester notre modèle sur une autre thématique afin d’apporter une contribution plus large à la compréhension de la résistance à la persuasion dans le domaine de la prévention-santé.

Références

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