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Med Sci (Paris). 2010 November; 26(11): 900–902.
Published online 2010 November 15. doi: 10.1051/medsci/20102611900.

Comment déterminer l’âge d’E. coli ?

Lydia Robert1*

1Inserm U1001, 156, rue de Vaugirard, 75015 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Vieillissement, génétique, Cycle cellulaire, Division cellulaire, Escherichia coli, cytologie, Modèles biologiques

 

Chez les organismes multicellulaires, le vieillissement est souvent apparent, facilement détectable et quantifiable. Au contraire, chez les unicellulaires, détecter et quantifier le vieillissement peut s’avérer complexe [ 1]. En particulier, définir l’âge d’un individu nécessite de pouvoir le distinguer de sa descendance et le suivre au cours du temps et des évènements de reproduction successifs. Pour un organisme unicellulaire qui se reproduit par fission binaire, cette distinction n’est pas toujours triviale et la définition même d’une cellule mère et d’une cellule fille ne peut avoir de sens que si les « vieux » et « jeunes » composants de la cellule sont répartis de façon asymétrique lors de la division. Par conséquent, l’étude du vieillissement chez les unicellulaires a longtemps été limitée aux organismes caractérisés par une division visiblement asymétrique et une phase juvénile clairement identifiable, tels que la levure Saccharomyces cerevisiae [ 2], ou plus récemment la bactérie Caulobacter crescentus [ 3]. Cependant, en 2005, Stewart et al. ont montré que même la bactérie Escherichia coli présente des signes de vieillissement, alors que les deux cellules issues d’une division sont morphologiquement identiques [ 4]. E. coli est une bactérie en forme de bâtonnet. Lorsqu’elle se divise, un septum se forme en son milieu, créant ainsi deux nouveaux pôles membranaires (Figure 1A). Chaque bactérie est donc asymétrique avec un « vieux » pôle (qui était déjà présent chez sa mère) et un « jeune » pôle (nouvellement créé par la division de sa mère). On peut ainsi définir l’âge d’une cellule bactérienne comme étant l’âge de son vieux pôle, c’est-à-dire le nombre de divisions effectuées depuis la création de ce pôle (Figure 1B). En observant des bactéries pendant quelques divisions successives, Stewart et al. ont mis en évidence une diminution du taux de croissance avec l’âge.

Découplage entre fertilité et mortalité chez E. coli

Dans l’étude de Stewart et al., le système expérimental ne permettait pas d’observer les bactéries sur plus de 6 ou 7 générations. Sur cette courte échelle de temps, la diminution de taux de croissance détectée ne s’élevait qu’à quelques pourcents. Afin d’étudier les effets du vieillissement sur une échelle de temps plus importante, nous avons développé un dispositif microfluidique permettant de conserver à chaque division la bactérie héritant du vieux pôle et de l’observer par microscopie pendant plusieurs centaines de générations [ 5]. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre au vu des résultats de Stewart et al., aucune diminution significative du taux de croissance avec l’âge n’a alors été observée (Figure 2A). Cette stabilité semble à première vue incompatible avec un phénomène de vieillissement, qui implique une détérioration progressive de l’état physiologique de la cellule. Une des définitions les plus simples et les plus usuelles du vieillissement est l’augmentation du taux de mortalité avec l’âge. Nous avons donc étudié le taux de mortalité des bactéries et trouvé que celui-ci augmente avec l’âge de façon importante, montrant ainsi qu’E. coli est bien sujette au vieillissement (Figure 2B). Ainsi, l’état physiologique de la bactérie se détériore avec l’âge puisque sa probabilité de mourir augmente, mais cette détérioration n’entraîne aucune perte de la vitesse de croissance, c’est-à-dire aucune diminution de la capacité reproductrice. Ce résultat est d’autant plus surprenant que chez les organismes modèles étudiés jusqu’à présent, comme la mouche Drosophila melanogaster ou la levure S. cerevisiae, le vieillissement s’accompagne d’une perte de fertilité [ 6, 7]. E. coli semble donc être le premier exemple d’organisme présentant un découplage entre mortalité et fertilité lors du vieillissement, la mortalité augmentant sans que la capacité reproductrice ne diminue.

Mécanismes potentiellement impliqués dans le vieillissement d’E. coli

L’origine du vieillissement chez E. coli n’a pas encore été élucidée et plusieurs mécanismes pourraient être impliqués, reposant par exemple sur des dommages à l’ADN, aux protéines ou à la paroi cellulaire. Si le taux de croissance reste stable, la bactérie subit néanmoins des changements morphologiques avec l’âge. En particulier, la fréquence de filamentation augmente de façon importante après 50 générations [5]. La filamentation est une élongation anormale de la cellule résultant d’une inhibition de la division. Cette inhibition peut être une réponse à différents stress, notamment des stress génotoxiques. La réponse SOS, qui est engendrée par certains dommages à l’ADN, semble être responsable de la filamentation observée chez les vieilles cellules bactériennes. En effet, un mutant lexA3 incapable d’induire cette réponse ne présente pas d’augmentation de filamentation avec l’âge. Il est donc possible que les cellules âgées meurent des suites de dommages à l’ADN et que leur vieillissement soit dû soit à l’accumulation à l’intérieur de la cellule d’un agent génotoxique, soit à la diminution de l’efficacité des systèmes de réparation de l’ADN.

Chez E. coli, les agrégats protéiques sont localisés préférentiellement au vieux pôle de la cellule [ 8]. Ainsi, en accord avec les effets connus de l’agrégation protéique sur la dégénérescence cellulaire, ces agrégats pourraient s’accumuler avec l’âge et causer une augmentation de la mortalité. Toutefois, il serait surprenant qu’une telle accumulation puisse engendrer la mort de la bactérie sans avoir d’effets préalables sur sa vitesse de croissance. Le peptidoglycane de la paroi du vieux pôle n’est pas renouvelé. Il est donc possible qu’en l’absence d’insertion de nouvelles molécules de peptidoglycane, la paroi se détériore avec le temps. Cette détérioration pourrait être à l’origine du vieillissement chez E. coli.

E. coli : un nouvel organisme modèle pour l’étude du vieillissement ?

E. coli est un organisme simple, extrêmement bien caractérisé et facile à modifier génétiquement. Par conséquent, l’identification des mécanismes à l’origine du vieillissement paraît plus aisée chez cette bactérie que chez des organismes plus complexes tels que la drosophile ou la souris. L’utilité des découvertes sur E. coli pour le développement de stratégies anti-vieillissement chez l’homme reste évidemment à prouver et il est probable qu’à cette fin, les modèles animaux soient mieux adaptés. Néanmoins, s’il est vrai qu’un être humain ne ressemble guère à une bactérie, les processus biochimiques fondamentaux restent assez universels et il se peut que des mécanismes tels que l’oxydation des macromolécules soient une source universelle de vieillissement [ 9]. Dans ce cas, l’étude du mécanisme chez E. coli pourrait s’avérer informative et plus simple que chez des modèles animaux. Si, au contraire, la biochimie du vieillissement s’avérait être très différente d’un organisme à l’autre, l’étude d’une grande variété d’organismes, de la bactérie à l’homme, pourrait permettre de découvrir les stratégies développées par certaines cellules pour résister aux dommages qui causent le vieillissement chez d’autres.

En plus d’être très bien caractérisée et facilement modifiable génétiquement, E. coli a un temps de génération très court, permettant des approches d’évolution expérimentale. L’utilisation d’E. coli comme organisme modèle permet ainsi une approche globale du processus étudié, de la découverte des mécanismes à la recherche des contraintes évolutives et pressions de sélection en jeu. Sur la question du vieillissement, qui a donné lieu à de nombreuses théories évolutives, une telle approche paraît particulièrement riche. Au sein d’une population, tous les individus ne vieillissent pas au même rythme et ne meurent pas en même temps, et cela même s’ils sont génétiquement identiques. E. coli étant un modèle classique pour l’étude des manifestations stochastiques des processus biochimiques, en particulier de l’expression génétique [ 10, 11], cette bactérie pourrait s’avérer être un modèle pertinent pour aborder l’origine de la variabilité inter-individuelle dans le processus de vieillissement.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Nystrom T. A bacterial kind of aging. PLoS Genet 2007 ; 3 : e224.
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Stewart EJ, Madden R, Paul G, Taddei F. Aging and death in an organism that reproduces by morphologically symmetric division. PLoS Biol 2005 ; 3 : e45.
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Wang P, Robert L, Pelletier J, et al. Robust growth of Escherichia coli. Curr Biol 2010 ; 20 : 1099-103.
6.
Egilmez, NK, Jazwinski SM. Evidence for the involvement of a cytoplasmic factor in the aging of the yeast Saccharomyces cerevisiae. J Bacteriol 1989 ; 171 : 37-42.
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Lindner AB, Madden R, Demarez A, et al. Asymmetric segregation of protein aggregates is associated with cellular aging and rejuvenation. Proc Natl Acad Sci USA 2008 ; 105 : 3076-81.
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Elowitz MB, Levine AJ, Siggia ED, Swain PS. Stochastic gene expression in a single cell. Science 2002 ; 297 : 1183-6.
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