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Med Sci (Paris). 2010 April; 26(4): 423–426.
Published online 2010 April 15. doi: 10.1051/medsci/2010264423.

Risque de cancer et infection à VIH

Émilie Lanoy* and Marguerite Guiguet*

Inserm et Université Pierre et Marie Curie, Université Paris 6, UMR-S-943, 56, boulevard Vincent Auriol, BP 335, 75625 Paris Cedex 13, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Sujet âgé, Agents antiVIH, usage thérapeutique, Comorbidité, Femelle, Infections à VIH, traitement médicamenteux, épidémiologie, immunologie, Humains, Sujet immunodéprimé, Surveillance immunologique, Lymphopénie, complications

Évolution de l’épidémiologie des cancers chez les patients infectés par le VIH

Trois cancers, maladie de Kaposi, lymphomes malins non hodgkiniens et cancer du col utérin, sont très vite apparus comme ayant une incidence élevée chez les personnes vivant avec le VIH1 (PVVIH) et font partie des événements dits « classant Sida », définissant le passage du stade de l’infection à VIH au stade Sida. Après 1996, avec l’arrivée des nouvelles combinaisons antirétrovirales (cART), l’incidence de ces cancers classant Sida a fortement diminué quoiqu’elle reste bien supérieure à celle observée dans la population générale. L’analyse de l’évolution temporelle entre 1992 et 2003 des taux d’incidence montrait, chez les PVVIH, une diminution significative des sarcomes de Kaposi et des lymphomes malins non hodgkiniens et une augmentation significative des lymphomes de Hodgkin et des cancers du canal anal [ 1]. L’incidence des cancers ne définissant pas (autre terme pour non classant) le Sida est désormais plus élevée que celle des cancers classant Sida (Figure 1). L’analyse de 18 études comparant l’incidence de cancers ne définissant pas le Sida chez les PVVIH et dans la population générale a montré que, globalement, le risque était deux fois plus élevé chez les PVVIH [ 2]. Dix ans après l’introduction des cART, la pathologie tumorale était associée à un tiers des décès survenus en France chez les PVVIH, et la majorité de ces cancers étaient des cancers « ne définissant pas le Sida » [ 3].

Impact de l’immunodépression sur la survenue des cancers

L’allongement de la durée de survie des PVVIH à l’ère des cART a coïncidé avec une augmentation de l’incidence des cancers ne définissant pas le Sida dans cette population exposée plus fréquemment que la population générale aux carcinogènes tels que le tabac et aux infections virales. Une méta-analyse a estimé l’augmentation d’incidence par type de cancer chez les PVVIH et chez des patients ayant reçu une transplantation d’organes comparativement à la population générale [ 4]. Alors que les facteurs de risque environnementaux sont différents dans les deux groupes, le rôle déclencheur de l’immunodépression apparaît probable dans un grand nombre de cancers. C’est ce que suggère la similitude de l’augmentation du risque observée chez les PVVIH et chez les patients transplantés. Une étude menée dans la cohorte FHDH-ANRS CO42 sur la période 1998-2006, au cours de laquelle les thérapies antirétrovirales étaient largement disponibles, a évalué le risque de 7 cancers classant ou non classant Sida, sarcome de Kaposi, lymphome non hodgkinien et lymphome de Hodgkin, cancer pulmonaire, hépatocarcinome, cancer du col utérin et cancer du canal anal-, en fonction du degré d’immunodépression, de la réplication virale du VIH, et du traitement antirétroviral [ 5]. À l’exception du cancer du canal anal, l’augmentation du risque de cancer était associée à la baisse du nombre de lymphocytes CD4+, et cette augmentation était observée dès un niveau modéré d’immunodépression défini par un nombre de lymphocytes CD4 compris entre 350 et 500/mm3, y compris pour les cancers ne définissant pas le Sida (Tableau I). Le risque de cancer du canal anal était augmenté en proportion de la durée d’une forte immunodépression (lymphocytes CD4+ < 200/mm3) et d’une forte réplication virale. L’ensemble de ces observations semble indiquer que le processus de vieillissement, qui contribue aux comorbidités hors Sida, dont les cancers, pourrait être accéléré chez les PVVIH, y compris lorsque la réplication virale du VIH apparaît contrôlée par le traitement antirétroviral, conséquence de la persistance de phénomènes d’activation et d’inflammation.

L’impact du traitement antirétroviral sur la survenue des cancers

Parmi les virus à l’origine d’un risque accru de cancer, le virus de l’herpès humain HHV-8 est associé aux sarcomes de Kaposi, le virus d’Epstein-Barr aux lymphomes, en particulier non hodgkiniens, et le papillomavirus humain au cancer invasif du col utérin, ces trois types de cancer ayant été les premiers associés à l’infection par le VIH. Plus généralement, les cancers dont le risque est augmenté par l’immunodépression sont le plus souvent associés à une infection virale, et une revue récente synthétise les connaissances sur la variabilité des processus d’oncogenèse en cause [ 6]. Dans le contexte de l’infection par le VIH, certains virus pourraient avoir un effet oncogène directement ou via un processus de facilitation, l’immunodépression limitant la capacité de l’hôte à contrôler précocement l’expansion tumorale ou la réplication virale. L’apparition des cART a été associée à une diminution du risque pour les cancers classant Sida mais pas pour les cancers ne définissant pas le Sida [ 7]. Devant cette apparente contradiction, l’hypothèse d’une toxicité de certaines molécules antirétrovirales a été évoquée, mais les résultats des différentes études décrivant les associations entre une classe thérapeutique particulière et le risque de cancers ne définissant pas le Sida sont contradictoires [ 8]. L’étude de l’impact des molécules antirétrovirales sur le risque de cancers est compliquée par le fait que certaines molécules ont des effets néoplasiques, et que d’autres pourraient interagir avec des carcinogènes comme le tabac. Il est difficile d’utiliser les données issues de cohortes observationnelles pour répondre à la question de l’impact du traitement antirétroviral en tant que facteur de risque de cancer du fait de l’interférence avec d’autres facteurs comme l’immunodépression. Ces facteurs président au choix du traitement mais sont également associés à la survenue de cancers, justifiant de devoir appliquer des méthodologies adaptées [ 9].

Enjeux thérapeutiques et prévention des cancers chez les patients infectés par le VIH

Bien que la diversité des types tumoraux entraîne une variabilité des taux de survie, il apparaît que les taux de survie après un diagnostic de cancer sont significativement plus faibles chez les PVVIH que dans la population générale, ce qui pose la question de leur gravité, et aussi celle de leur prise en charge [ 10]. Les recommandations préconisent d’associer prise en charge de l’infection par le VIH par une thérapie antirétrovirale et du cancer par chimiothérapie antitumorale, ce qui nécessite de tenir compte des interactions médicamenteuses et des pharmacocinétiques respectives des deux traitements pour établir des protocoles adaptés. Dans le contexte de l’amélioration de l’espérance de vie des PVVIH et donc de leur vieillissement, se pose aussi la question de la prévention des cancers dans cette population, sachant que la multiplicité des mécanismes potentiels et leurs interactions la rendent particulièrement complexe à mettre en Ĺ“uvre. Ce rôle joué par l’immunodépression dans la survenue des cancers chez les PVVIH est pris en compte dans l’essai thérapeutique START qui pose la question de la date de début de traitement VIH : il compare deux stratégies thérapeutiques d’initiation du traitement cART, soit à un seuil de CD4 supérieur à 350/mm3, soit à un stade précoce (500/mm3), et a retenu parmi ses critères de jugement principaux de morbi-mortalité la survenue de cancers, dont les cancers ne définissant pas le Sida. L’hypothèse à la base de cet essai est que l’éventuelle augmentation du risque de morbi-mortalité de maladies hors Sida associée au traitement antirétroviral per se serait largement contrebalancée par les effets bénéfiques du traitement antirétroviral : suppression de la réplication virale du VIH, maintien d’un nombre plus élevé de CD4 ou autres effets. Des études doivent être menées dans cette population pour estimer l’utilité de campagnes de dépistage systématique des cancers pouvant bénéficier d’un dépistage précoce comme le cancer du canal anal.

Par ailleurs, le bénéfice d’interventions comme l’aide à l’arrêt du tabac ou la prise en charge des co-infections par les virus des hépatites doit faire l’objet d’évaluations chez les PVVIH.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article

 
Footnotes
1 Virus de l’immunodéficience humaine.
2 La cohorte FHDH (French Hospital database on HIV)/Anrs (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales) CO4 est une cohorte observationnelle généraliste qui permet de décrire l’épidémiologie de l’infection à VIH prise en charge à l’hôpital en France (http://www.ccde.fr).
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