Essais cliniques
Pourquoi ils sont incontournables

Chacun d’entre nous en a entendu parler. Certains y voient des expériences médicales sur des cobayes humains, d’autres un moyen de traiter des patients sans plus aucun espoir. Or, les essais cliniques sont beaucoup plus et bien mieux que cela. Surveillés et contrôlés de près par les autorités sanitaires, ils constituent une étape essentielle entre le laboratoire et le malade. Ils permettent de valider ou invalider une hypothèse scientifique issue de la recherche fondamentale. Avec pour résultat espéré la mise en place de nouvelles stratégies thérapeutiques et de nouvelles perspectives de recherche.

U947 IADI
U947 IADI Imagerie Adaptative Diagnostique et Interventionnelle *. Installation d’un volontaire sain dans un appareil IRM au centre d’investigation clinique de Nancy
© Patrice Latron/Inserm
Étape cruciale dans l’amélioration de la prise en charge des patients, les essais cliniques, réglementairement encadrés en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et par les comités de protection des personnes (CPP), permettent la mise au point de nouveaux médicaments ou de traitements innovants. Un essai a marqué les mémoires en avril 2000 : pour la toute première fois, la thérapie génique a guéri des « enfants-bulles ». Ces résultats étaient le fruit d’un essai clinique entrepris par une équipe de chercheurs, menée par Alain FischerAlain Fischer
Unité 768 Inserm – Université Paris-Descartes, Développement normal et pathologique du système immunitaire, IFR Necker-Enfants malades (IRNEM), CTB 502 (CIC-Biothérapies Necker-HEGP-Cochin)
, immunologiste, et l’hématologue Marina Cavazzana-CalvoMarina Cavazzana-Calvo
unité 768 Inserm – Université Paris-Descartes, Développement normal et pathologique du système immunitaire, IFR Necker-Enfants malades (IRNEM), CTB 502 (CIC-Biothérapies Necker-HEGP-Cochin)
1 , coordonnatrice du centre d’investigation clinique (CIC) en biothérapie de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. Ils avaient traité cinq enfants souffrant d’un grave déficit immunitaire, le DICS-XDICS-X
Le déficit immunitaire combiné sévère lié à l’X est une maladie due à un défaut d’un gène porté par le chromosome X, qui prive l’organisme de certains globules blancs : les lymphocytes T et les cellules tueuses NK.
, en leur injectant un gène « réparateur ». Ce traitement innovant avait nécessité le prélèvement de cellules précurseurs des cellules immunitaires chez les patients. En dehors de l’organisme, un virus porteur d’un gène capable de remplacer celui, défaillant, porté par les malades, avait infecté ces cellules précurseurs. Puis, ces cellules génétiquement modifiées furent réintroduites dans la circulation de l’enfant. Verdict ? Après quelques mois, cette thérapie avait remis la machinerie immunitaire en marche, les stocks de lymphocytes et de cellules tueuses NK (Natural Killer) se constituèrent et les enfants purent enfin sortir de la « bulle » qui les protégeait de tout risque d’infection.« Nos travaux ont fait beaucoup parler d’eux car notre équipe a montré de façon formelle qu’on pouvait soigner un déficit immunitaire avec une telle thérapie », se souvient Marina Cavazzana-Calvo. Or, à l’époque, seule une transplantation de moelle osseuse pouvait guérir ces petits malades. Mais l’opération était risquée car il fallait au préalable détruire toutes les cellules souchesCellule souche
Cellule indifférenciée qui a la capacité de se spécialiser via le processus de différenciation cellulaire et qui peut également se maintenir par prolifération.
de l’enfant pour les remplacer par celles d’un donneur compatible. Sans compter sur les chances très réduites de mettre la main sur celui-ci : un membre de la famille a les mêmes groupes tissulaires dans seulement 20 % des cas.« Plus le patient est atteint sévèrement et moins il y a de solutions possibles. Notre méthode innovante offrait alors une autre chance pour l’enfant,selon la chercheuse.Dans cet essai, nous avons inclus les patients les plus gravement touchés et ceux qui ne pouvaient pas bénéficier de greffe de cellules souches. »

Ce qu’ils sont…

Ce succès spectaculaire n’est qu’un des aspects des essais cliniques dont la définition est beaucoup plus large. Il s’agit d’une étude scientifique réalisée sur l’être humain afin d’évaluer l’efficacité et la tolérance d’une nouvelle méthode ou d’un traitement pour soigner ou améliorer les conditions de vie des patients. Leurs champs d’action ne se limitent pas à la thérapie, des procédures de diagnostic ou de prévention sont aussi passées au crible. Testés sur un échantillon limité de personnes, ils constituent les étapes préalables à l’autorisation d’utilisation de ces procédures à plus large échelle en pratique courante.« On se méprend souvent sur leur but : les essais cliniques ne sont pas conçus pour offrir un bénéfice individuel aux patients qui y participent. Ils sont avant tout menés dans une perspective d’évaluation, pour acquérir de nouvelles connaissances. C’est pourquoi l’intérêt des participants, dans ce cadre d’expérimentation, doit être pris en compte, que ce soit en termes de possibles bénéfices thérapeutiques ou de limitations des risques », explique François FaurissonFrançois Faurisson
Membre de la Mission Inserm Associations, au sein du département Information scientifique et communication de l’Inserm
2 , ancien conseiller scientifique et médical de la fédération européenne EurordisEurordis
Alliance non gouverne-mentale pilotée par des personnes malades, qui regroupe 561 associations de patients atteints de maladies rares dans 51 pays. 
. Ces essais sont menés soit par l’industrie pharmaceutique et des laboratoires privés, soit par des organismes de recherche publique. En France, nombreux sont les essais qui se déroulent au sein de centres d’investigation clinique, structures publiques, mises en place par l’Inserm et le ministère de la Santé, entièrement dédiées à la recherche clinique (voir encadré).

À qui ils servent…

Sans essai clinique, pas de nouvelles méthodes de traitement mais pas de nouveau médicament non plus. Car pour qu’une nouvelle molécule soit mise sur le marché, il faut démontrer qu’elle est plus efficace que la molécule de référence couramment utilisée pour traiter une maladie et qu’elle n’engendre pas plus d’effets secondaires. Avant d’être testée en essais cliniques, la molécule est développée lors d’expérimentation préclinique, sur l’animal ou des cellules humaines in vitro. En décembre dernier, Yehezkel Ben-AriYehezkel Ben-Ari
Fondateur et directeur honoraire Inserm de l’Institut de neurobiologie de la méditerranée (INMED), unité 901 Inserm – Aix-Marseille Université
et Éric LemonnierÉric Lemonnier
Clinicien spécialiste, CHRU de Brest
ont publié les résultats d’un essai clinique visant à évaluer l’intérêt d’un diurétique dans le traitement de l’autisme. Pendant trois mois, soixante enfants autistes, dont certains souffrant du syndrome d’AspergerSyndrome d’Asperger
Trouble appartenant au spectre autistique qui touche au développement et entraîne des difficultés dans la communication et les interactions sociales.
, ont reçu soit un placeboPlacebo
Médicament composé de substances neutres, sans effet pharmacologique dans la maladie considérée
, soit un diurétique. Parmi ceux ayant reçu le principe actif, les trois quarts ont montré une diminution de la sévérité des troubles autistiques : ils participent mieux aux jeux proposés, leur contact visuel et leur attention se sont améliorés. Mais les résultats suggèrent aussi que ce traitement agit différemment selon la sévérité des troubles. Il serait notamment plus efficace avec les enfants les moins affectés. Afin d’en avoir le cœur net, les scientifiques viennent de déposer une nouvelle demande d’autorisation pour réaliser un essai multicentrique au niveau européen. Ce type d’essai, qui se tient en même temps en différents lieux, permet d’éliminer les biais expérimentaux liés à la géographie, au climat, à l’origine des populations étudiées... et aussi de recruter davantage de patients. À la clé ? Une vision plus juste de la population pouvant être concernée par ce traitement, et donc l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché pour cette indication.
Yehezkel Ben Ari. Les autistes souffrant du syndrome d'Asperger ont le mieux bénéficié du traitement avec un diurétique lors d’un essai clinique ,mené par Yehezkel Ben-Ari (à gauche).
Ⓒ François Guénet/Inserm
Les essais cliniques évaluent par ailleurs bien d’autres interventions que les médicaments. Ils testent aussi de nouvelles méthodes chirurgicales ou radiothérapeutiques. Début 2013, un essai clinique en chirurgie orthopédique coordonné par l’Inserm a été autorisé. Mené dans le cadre du projet Reborne (Régénération des défauts osseux utilisant de nouvelles approches d’ingénierie biomédicale) au CHU de Créteil et au CHRU de Tours, il s’intéresse à la réparation des os à partir de cellules souches adultes. L’enjeu est d’ampleur puisque la moitié des fractures ne cicatrisent pas seules et ont besoin d’une reconstruction osseuse chirurgicale. En Europe, un million de patients sont concernés. Les chercheurs ont imaginé une nouvelle forme de chirurgie pour résoudre le problème. À partir d’un prélèvement de moelle osseuse chez le patient, des cellules souches mésenchymateusesCellules souches mésenchymateuses
Type de cellules capable de se différencier en de nombreux autres types. Elles constituent un tissu de soutien chez l’embryon mais sont présentes en très faible quantité chez l’adulte.
seront multipliées, puis associées à des granulés en céramique de phosphate de calcium. Ce biomatériauBiomatériau
Matériau compatible avec l’organisme humain ou animal, notamment d’intérêt médical
sera implanté au niveau de la fracture, où il servira d’échafaudage et améliorera la prolifération des cellules souches. À terme, celles-ci devraient se différencier en cellules osseuses et réparer l’os fracturé.
Formation d’os (en vert) et de moelle (en rouge) après implantation d’un mélange de cellules souches humaines et de biomatériau (gris/blanc)
Ⓒ P. Layrolle/Inserm
Même les nouvelles technologies sont passées au crible des essais cliniques. « Nous travaillons sur les microtechnologies, décrit Lionel PazartLionel Pazart
CIT 808-IT Besançon
, qui dirige le CIC en innovation technologique de Besançon. Nous miniaturisons par exemple les tests de diagnostic afin de les rendre possibles “au lit du patient”. Nous avons pour cela développé des biopuces. » Ces dernières, de la taille d’une lame de microscope permettent d’analyser le niveau d’expression de gènes particuliers dans une cellule, un tissu, un organe donné. Et d’en déduire si tel virus, bactérie ou marqueur tumoral est présent dans le prélèvement analysé. « Nous nous intéressons aussi aux technologies pour la neuropsychiatrie, par exemple au développement de stimulateurs magnétiques transcrâniens 3 », continue Lionel Pazart.
La biopuce : un mini-labo
Philippe Mouche

Ce qu’ils apportent à la recherche

Mises au point de technologies, de nouveaux médicaments, de méthodes thérapeutiques innovantes pour le mieux-être du malade, les essais cliniques ont déjà quelques belles cordes à leur arc. Mais il en est une que l’on soupçonne moins, leur place dans la recherche fondamentale, comme le fait remarquer Jérôme LargheroJérôme Larghero
Unité 940 Inserm - Université Paris 7 - Diderot, Département de biothérapies cellulaires et tissulaires, équipe Cibles moléculaires et voies de signalisation intégrées des leucémies, CTB 501 (CIC-Biothérapie Saint-Louis)
, coordonnateur du CIC de biothérapies de l’hôpital Saint-Louis à Paris : « Il y a un continuum entre la phase de travail scientifique en amont et les essais à proprement parler. La recherche les nourrit et inversement. » L’histoire des travaux qu’il mène est emblématique de ces allers-retours stimulants, propices à l’émergence de nouvelles connaissances. En 2000, il a mis en place avec Philippe MenaschéPhilippe Menasché
Unité 633 Inserm/Université Évry-Val d’Essonne – Université Paris-Descartes, Thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire
les premières greffes de cellules pour traiter les insuffisances cardiaques. À l’époque, on ne savait rien des cellules souches cardiaques présentes chez l’homme adulte, il fallait donc trouver une autre source pour réaliser des implantations cellulaires.« Nous savions en revanche que les cellules des muscles squelettiques avaient des propriétés contractiles. Celles-ci sont certes différentes dans les cellules cardiaques, mais pourquoi ne pas les utiliser ? », relève Jérôme Larghero. À partir des biopsies de muscles réalisées chez les patients, les chercheurs ont préparé des greffons de cellules musculaires qu’ils ont injectés dans le myocarde, la partie musculaire du cœur.« Mais qu’on injectât un placebo, 400 millions ou 800 millions de cellules, cela n’améliorait pas de faço n significative la fonction cardiaque, précise le spécialiste. À ce stade, l’essai a donc été arrêté. Nous avions deux options : stopper carrément nos recherches en la matière, ou réfléchir à d’autres solutions. » En 2006, les travaux sur les cellules souches embryonnaires commencent cependant à faire parler d’eux. Du côté de la recherche fondamentale, un de leurs collègues, Michel PuceatMichel Puceat
unité 633 Inserm/Université Évry-Val d’Essonne – Université Paris-Descartes, Thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire
, est même parvenu à mettre au point une méthode permettant de différencier ces cellules vers la voie cardiaque. Les trois chercheurs réunissent alors leurs compétences et établissent un nouveau protocole. Autorisé en 2013, il prévoit l’implantation de progéniteurs myocardiques, différenciés à partir de cellules souches embryonnaires, qui donneront des cellules musculaires cardiaques. Celles-ci seront appliquées, couplées à un biomatériau, tel un pansement, sur les régions où les cellules du myocarde ne se contractent plus correctement.
Les essais cliniques peuvent aussi prendre une autre forme, appelée non interventionnelle car elle ne modifie pas la prise en charge médicale habituelle des patients. Il s’agit d’études observationnelles qui font appel à l’épidémiologie. C’est le cas de 20 des 30 projets conduits à l’hôpital Robert-Debré, à Paris.«  Depuis dix ans, par exemple, nous suivons une cohorteCohorte
Ensemble d’individus ayant vécu un même événement au cours d’une même période, et engagés dans une même étude épidémiologique
d’un millier de personnes atteintes de drépanocytoseDrépanocytose
Maladie héréditaire caractérisée par l’altération de l’hémoglobine
. L’observation porte sur leur devenir clinique et sur l’impact des différentes recommandations de prise en charge. L’objectif est de mieux connaître l’évolution de ces patients et de s’assurer d’une prise en charge optimale
 », expliquent Delphine Girard, chef de clinique au CIC d’épidémiologie clinique de l’hôpital Robert-Debré, et Rym Boulkedid, chargée de recherche, référente qualité dans l’unité.
Tous ces exemples d’essais cliniques académiques montrent le dynamisme et la coopération qu’ils peuvent instaurer au niveau national et l’intérêt, donc, de les mener en France. «  Ces études donnent à quelques patients un accès privilégié à des molécules ou des méthodes nouvelles très prometteuses, qui ne seront disponibles sur le marché que bien plus tard, souvent des années après  », pointe Bruno FrançoisBruno François
CIC-P 0801 Inserm/CHU de Limoges
, coordonnateur du CIC plurithématique de Limoges. Entre le début d’un essai clinique et l’apparition d’un médicament sur le marché, il peut s’écouler, en effet, une dizaine d’années. Le partenariat et les travaux collaboratifs réalisés entre les équipes de recherche et les cliniciens permettent ainsi de faire progresser leurs pratiques, et notamment d’améliorer la prise en charge des patients. «  Le recrutement est un point clé des essais aujourd’hui  », explique Faiez ZannadFaiez Zannad
Unité 1116 Inserm – Université de Lorraine, Défaillance cardiovasculaire aiguë et chronique, CIC 9501 Nancy
, coordonnateur du CIC plurithématique de Nancy.«  Des progrès ont été faits, c’est toutefois encore insuffisant. Les limites ne sont en fait pas posées par les patients, mais par les personnels et les infrastructures. Les médecins, confrontés à la baisse des effectifs, n’ont bien souvent plus le temps de se consacrer à la recherche clinique, occupés qu’ils sont à réaliser des actes de routine. Heureusement que les CIC "sanctuarisent" du temps pour la recherche clinique ! »

Ce qu’ils révèlent de la santé publique

Les domaines thérapeutiques au cœur desquels les essais cliniques sont effectués reflètent les besoins de santé publique. C’est par exemple le cas d’Ipergay, « Intervention préventive de l’exposition aux risques avec et pour les gays ». Cette étude, lancée en 2012 pour quatre ans et soutenue par l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), évalue l’efficacité d’un traitement préventif contre le sida en France et au Canada. Baptisée PreP, la « prophylaxie pré-exposition » consiste à donner une association d’antirétrovirauxAntirétroviral
Classe de médicament utilisé pour lutter contre une catégorie particulière de virus, les rétrovirus, dont fait partie le VIH.
à des personnes séronégatives exposées aux risques d’infection par le VIH. L’objectif ? Diminuer ces risques, via un moyen additionnel à la palette d’outils préventifs déjà proposés (préservatifs féminin et masculin, dépistage, modification des comportements, etc.). Plusieurs résultats antérieurs laissent penser que la PreP pourrait être une piste intéressante, étant donné que les antirétroviraux sont utilisés avec succès depuis 1994 pour réduire le risque de transmission du VIH de la mère à l’enfant. Pourquoi Ipergay cible-t-il la population des homosexuels ? Parce qu’elle préoccupe les chercheurs et cliniciens : en France, il y aurait près de 200 fois plus de contaminations chez les gays que chez les hétérosexuels. L’essai, qui envisage de recruter jusqu’à 1 900 personnes, est « randomisé » en double-aveugle : un participant sur deux, après tirage au sort, recevra le médicament et l’autre un placebo, sans que ni les patients ni les médecins ne sachent qui a reçu quoi. Tout au long de l’essai, les sciences sociales seront également mises à contribution. Ces recherches, menées par l’équipe de Bruno SpireBruno Spire
Unité 921 Inserm/IRD - Aix-Marseille Université, Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale, équipe Environnements, systèmes de santé et maladies transmissibles
permettront de dresser pour la première fois en France le portrait de la population des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et transgenres : profil des volontaires, comportements sexuels en particulier vis-à-vis du préservatif, observance de la prise de médicaments...
Laboratoire de recherche clinique en thérapie cellulaire de l'hôpital Saint Louis * . Jérôme Larghero dans la salle de cryobiologie où le sang de cordon ombilical, qui renferme des cellules souches, est stocké.
Ⓒ Patrice Latron/Inserm
Au côté des virus, d’autres pathogènes – les bactéries – constituent également un enjeu de santé publique qui préoccupe les médecins. Et pour intensifier la lutte contre les résistances qu’elles développent aux antibiotiques, ils peaufinent de nouveaux projets. Lancé début 2013, dans le cadre de l’Innovative Medecine Initiative, un des instruments du 7e PCRD7e PCRD
Le 7e programme-cadre est le programme-cadre actuel de l’Union européenne pour la recherche et le développement technologique, géré par la Commission européenne.
, Combacte (Combatting Bacterial Resistance in Europe)ambitionne de développer des essais cliniques pour faciliter l’enregistrement de nouveaux agents antibactériens. L’antibiothérapie est un vrai casse-tête :« Avec les bactéries, nous faisons face à des organismes vivants et adaptatifs», pose Bruno François, coordonnateur de Combacte. Sans compter qu’étudier les résistances bactériennes n’est pas chose aisée.« Lorsqu’on s’intéresse à un germe ultra-résistant par exemple, il est impossible de recruter 1 000 patients, taille des cohortes généralement nécessaires en essai clinique. Comment s’y prend-on pour prouver l’efficacité d’un traitement contre une résistance qui ne touche que 10 personnes par an ? » Par ailleurs, une des caractéristiques de la recherche en infectiologie est que les malades ne sont pas regroupés dans un service dédié mais répartis dans ceux vers lesquels ils ont été orientés (chirurgie, cardiologie, cancérologie…).« Des réflexions sont à mener sur les protocoles. L’idée générale de Combacte est de mettre au point des tests permettant de faciliter le diagnostic des patients, d’identifier les traitements les plus adaptés et de surveiller la réponse thérapeutique. En d’autres termes, de développer de nouveaux standards plus efficaces en antiobiothérapie », explique-t-il.
Le projet présente l’autre originalité d’être financé à 50/50 par un partenariat public/privé. Une grande partie de ce travail sera consacrée à la réalisation d’essais cliniques sur des médicaments anti-infectieux en cours de développement par les sociétés pharmaceutiques impliquées. Le premier d’entre eux : un antibiotique proposé par le laboratoire GlaxoSmithKline.« Scientifiquement, c’est intéressant. En tant qu’académiques, nous sommes co-décisionnaires – établissement des protocoles, analyse des résultats, etc. – sur les médicaments testés, le processus est ainsi bien plus transparent. Après les récents scandales où des laboratoires ont été montrés du doigt, c’est important », insiste Bruno François. D’un point de vue stratégique et économique, c’est aussi une opportunité, Combacte permet de mettre en place un réseau d’expertise à travers l’Europe. Ainsi, l’étude des biomarqueurs de prédisposition à l’infection est partagée entre l’Inserm à Paris-Necker, avec Laurent AbelLaurent Abel
Unité 980 Inserm – Université Paris-Descartes, Génétique humaine des maladies infectieuses
qui étudie l’hôte, et des équipes de Hanovre et de Barcelone consacrées au pathogène.« Certains travaux seraient impossibles à mener sur un seul site », constate Bruno François.« En plus d’améliorer nos capacités d’études par la mutualisation des compétences, nous allons éviter aussi des délocalisations de l’Europe vers l’Amérique du Sud ou l’Asie du Sud-Est, des régions qui deviennent de plus en plus dynamiques. »

Ils traversent les frontières

Collaborer au niveau international, c’est aussi le credo du réseau Ecrin (European Clinical Research Infrastructures Network), dont l’objectif est de promouvoir et faciliter les études cliniques multinationales à l’échelle européenne.« Notre rôle est à la fois opérationnel – nous sommes impliqués dans la conduite d’essais multinationaux – mais aussi structurant – nous développons des outils adaptés à l’échelle multinationale, notamment pour traiter les données ou pour gérer en commun »,souligne Jacques Demotes, de l’institut thématique Santé publique, coordonnateur du réseau Ecrin. Dans les faits, comment ça marche ? Ecrin s’appuie sur les réseaux présents dans chaque pays, au sein duquel il y a un correspondant unique. Pour faciliter le montage d’essais multinationaux, celui-ci est notamment chargé de lever les obstacles réglementaires, résultant d’une transposition divergente du droit européen au niveau national. Entre eux, les correspondants résolvent aussi les contraintes liées aux systèmes de soin, outils et infrastructures de recherche clinique, variables entre pays, ou encore au système de financement. Depuis la mise en place du réseau en 2004, les résultats de deux essais ont déjà été publiés et une vingtaine d’essais sont en cours. L’un, baptiséChild Innovac, était porté par l’Inserm et concernait un essai de phase I (voir infographie p. 28-29) sur un nouveau vaccin recombinant contre la coqueluche mené entre 2010 et 2011. Destiné aux enfants de la naissance à 6 mois, il a néanmoins été évalué chez des adultes volontaires afin de tester sa tolérance et son efficacité. L’originalité ? L’essai a été mené en Suède, où la vaccination des enfants a été interrompue dans les années 1980, disposant ainsi d’une population d’adultes jeunes jamais exposés àBordetella Pertussis, l’agent responsable de la coqueluche. Mais surtout, il était proposé sous une forme intra-nasale, simple d’utilisation pour les tout-petits.

Ils obéissent au droit

Ce bouillonnement d’idées dans les essais cliniques s’exprime dans un cadre réglementaire et éthique, respectueux des patients. En France, le droit des participants et la protection des personnes ont été très clairement définis, avec la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite loi Huriet-Sérusclat. Celle-ci a notamment instauré une obligation d’information et de consentement éclairé dans le domaine des recherches réalisées sur l’être humain. Le médecin investigateur, qui réalise l’essai, doit ainsi informer la personne se prêtant à la recherche biomédicale, patient ou volontaire sain, « de façon loyale et exhaustive ». L’accent a aussi été mis sur le caractère volontaire de la participation : toute personne est libre de refuser ou d’accepter, de même que de quitter l’essai à tout moment sans justification. Enfin, le consentement est donné par écrit. La loi Huriet impose également que toute recherche biomédicale doit comporter un investigateur principal et un promoteur qui portent la responsabilité pénale de l’étude régie par le Code de la santé publique et dont les principes sont définis dans les « bonnes pratiques cliniques ». À l’Inserm, l’activité de promotion est assurée par le pôle de Recherche clinique de l’institut thématique Santé publique au sein d’Aviesan. Sa mission est d’accompagner l’investigateur dans la mise en conformité réglementaire de son projet en vue d’obtenir les autorisations nécessaires auprès de l’ANSM et des comités de protection des personnes.
Résistances Emergentes aux Antibiotiques. Test de résistance des bactéries aux antibiotiques
Ⓒ Patrice Latron/Inserm

Ils sont encadrés

Confrontés au jargon scientifique, les participants aux essais cliniques sont aidés par le travail de ces comités répartis dans les différentes régions françaises. Ce sont des assemblées indépendantes des investigateurs et promoteurs, constituées à part égale de représentants du monde médico-scientifique et de la société civile. Ils analysent dans les moindres détails l’adéquation, l’exhaustivité et l’intelligibilité des informations écrites données aux participants avant leur inclusion dans une étude. Ils épluchent les protocoles, qui décrivent l’objectif, la conception, la méthode et l’organisation de la recherche, pour s’assurer de la pertinence de la recherche ainsi que du caractère satisfaisant de l’évaluation des bénéfices et des risques attendus. Ils s’assurent aussi du respect de la législation sur la recherche en France. Leur avis, enfin, est obligatoire pour démarrer un essai. Au final, c’est l’ANSM qui doit donner son autorisation au lancement de tout essai interventionnel. L’Agence évalue la sécurité et la qualité des produits utilisés au cours de la recherche et vérifie par là que la sécurité des personnes est garantie. Responsable des systèmes de vigilance, dont la pharmacovigilance, l’ANSM doit sous 24 ou 48 heures, selon les cas, être informée de tous les événements indésirables graves qui surviennent au cours d’un essai.
Pour sensibiliser un maximum de participants à leurs droits, Eurordis a développé une solution : l’e-learning, qui permet de tout savoir sur la méthodologie, l’éthique ou encore les statistiques liées aux essais cliniques. « Pour pouvoir être actives dans leur collaboration avec les équipes scientifiques, les personnes doivent être plus armées en termes de connaissances, de vocabulaire, sur les aspects cliniques et réglementaires des recherches auxquelles eux ou leurs proches vont participer », estime François Faurisson, qui a développé ces tutoriels en ligne. En fin de chapitres, des quizz permettent de faire le point sur ce qu’on a appris.
Asthme à l'étude *. Entretien avec un patient asthmatique avant un test respiratoire au CIC de Nantes
Ⓒ Patrice Latron/Inserm
L’Inserm a, quant à lui, mis en place en 2004 le Groupe de réflexion avec les associations de malades (GRAM),«  instauré dans un contexte où les associations de malades expriment de plus en plus le besoin de mieux comprendre les recherches menées dans leur pathologie. Depuis dix ans, l’information médicale a aussi pris toute sa place sur Internet  », rappelle Bernadette Bréant, de la Mission Inserm Associations, structure de coordination opérationnelle qui s’appuie sur le GRAM. Depuis 2007, celui-ci a aussi constitué le Collège des relecteurs. Initialement composé de 70 membres issus d’associations de malades, il est consulté sur les essais menés par l’Inserm.«  Le pôle de Recherche clinique de l’Institut nous envoie les protocoles et les notices d’informations et de consentement relatifs à l’essai en préparation. Deux relecteurs sont choisis parmi le Collège, qui peuvent demander que ces documents soient modifiés. Ils repèrent les passages où les données ne sont pas claires, explicitent des termes scientifiques, vérifient si ce qu’on demandera au patient est bien décrit lorsqu’on lui fera des prises de sang ou passer un examen d’IRM par exemple. Nos remarques sont renvoyées au pôle de Recherche clinique, où elles sont prises en compte par les chefs de projet », dit-elle. L’Inserm dispose aussi depuis dix ans d’un pôle d’Expertises médicales au sein de son département des Affaires juridiques.«  Il s’agit notamment de définir le cadre juridique applicable aux différentes recherches menées à l’Institut : comment informe-t-on les personnes, comment recueille-t-on leur consentement, quelles sont les politiques d’assurance mises en place ?  », précise Jean-Christophe Hébert, directeur de ce département.

Ils bénéficient aux patients

L’appui des deux pôles, Recherche clinique et Expertises médicales, est aussi essentiel lorsque les essais s’étendent à d’autres pays. Des projets au montage complexe peuvent voir le jour. Ainsi l’essai Bilhvax, mené au Sénégal et dont la phase III (voir infographie p. 28-29) est actuellement en cours pour tester l’efficacité d’un vaccin thérapeutique chez des enfants atteints de bilharziose, infection parasitaire la plus répandue dans le monde. L’agent responsable, un ver appelé schistosome ou bilharzie, peut entraîner une forte anémie, des atteintes hépatiques ou rénales très sévères, des cancers du tractus uro-génital. L’Inserm est le promoteur de cet essai, tandis que la société pharmaceutique Eurogentec produit le vaccin et que l’ONG Espoir pour la santé, plateforme logistique et opérationnelle, à Saint-Louis (Sénégal), est l’investigateur.« Quand les recherches se passent dans un état africain par exemple, nous travaillons avec des relais locaux qui nous aident à comprendre et respecter les normes du pays », ajoute Jean-Christophe Hébert. Autre exemple, pour la mise en place d’une étude vaccinale anti-paludisme, le pôle de Recherche clinique de l’Inserm et l’équipe investigatrice partiront en septembre à la rencontre des autorités du Burkina Faso et des équipes locales afin de vérifier les circuits logistiques de l’étude (importation du vaccin, des échantillons…) et de prendre connaissance des procédures réglementaires du pays.
Réunion du GRAM * . Le GRAM accompagne les associations de malades dans leur recherche d’information. (Debout, B. Bréant, 3e à gauche, et F. Faurisson, au centre)
Ⓒ Etienne Begouen/Inserm
Des coopérations utiles, tant l’actualité nous rappelle qu’en la matière de graves abus ont parfois été commis. Une commission d’enquête s’est ainsi ouverte outre-Rhin en juin dernier : pendant les années 1980, des hôpitaux et des cliniques ont expérimenté sur quelque 50 000 Allemands de l’Est des médicaments développés en Allemagne de l’Ouest. Le tout à leur insu... Ce fut aussi le cas en 1996, dans l’état de Kano au Nigeria. Là, en pleine épidémie de méningite, le géant américain Pfizer avait testé un antibiotique sur des enfants. Onze en seraient morts, et des dizaines d’autres restés handicapés.
En matière d’essais cliniques, les bonnes nouvelles sont malgré tout souvent la norme. Les délais nécessaires à leur mise en place et leur tenue peuvent être certes longs, et les questionnements éthiques complexes. Mais les scientifiques sont parfois plus que récompensés de leurs efforts : certains essais fonctionnent très bien, voire au-delà des résultats attendus et parfois sous-estimés dans le protocole de recherche où ils ont été définis.«  Il se peut, alors, que ce ne soit pas très éthique de continuer : le traitement évalué est de toute évidence bien meilleur, mais les volontaires "contrôles" n’en bénéficient pas  », explique Faiez Zannad. C’est ce qui s’est passé avec l’essai Emphasis-HF, auquel a participé le chercheur de Nancy.«  Il s’agissait de tester une molécule, l’éplérénone, pour traiter les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. Très rapidement, ces effets bénéfiques sont nettement apparus. Il a fallu très vite contacter tous les centres participant à l’essai», décrit le spécialiste. Devant ces très bons résultats, il a été proposé aux patients « contrôles », qui ne recevaient jusque-là qu’un placebo, d’être mis sous éplérénone ou équivalent. Et l’essai clinique de se révéler dans ce qu’il peut offrir de meilleur : bénéficier à la science et aux patients.

Alice Bomboy