Génodermatoses
Comment faire peau neuve

En créant des substituts de peau à partir de cellules souches, les chercheurs envisagent, grâce à des pansements biologiques, de traiter les lésions sérieuses qui, dans certaines maladies, affectent l’épiderme.

Centre d'étude des cellules souches (CECS)* - image 1 . Les cellules souches embryonnaires humaines sont changées de milieu de culture.
© François Guénet/Inserm
Centre d'étude des cellules souches (CECS) - image 2 . Les cellules souches embryonnaires humaines sont changées de milieu de culture.
© François Guénet/Inserm
Un morceau de peau reconstituée
© Christine Baldeschi/Unité 861 Inserm /Inserm
Centre d'étude des cellules souches (CECS) - image 3 . Observation de ces cellules au microscope.
© François Guénet/Inserm
Et si, pour traiter certaines affections de la peau, on utilisait un pansement biologique ? Le principe : des cellules constitutives de notre épiderme, mais obtenues en laboratoire, pourraient être greffées sur la peau des patients, notamment affectés de génodermatoses - des maladies graves de la peau qui se transmettent génétiquement.« L’une d’elles est l’épidermolyse bulleuse, précise Christine BaldeschiChristine Baldeschi
Unité 861 Inserm - Université d’Évry-Val d’Essonne, I-Stem, Cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques
, responsable du projet de recherches Génodermatoses à l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques (I-Stem) à Évry.Des bulles se forment sur la peau et lorsqu’il y a des frottements, l’épiderme se décolle. Des plaies chroniques persistent sur de larges zones, et qui peuvent être très douloureuses. »Selon les gènes mis en cause, la gravité de ces affections est plus ou moins importante. Dans certains cas, elles peuvent même entraîner un décès avant l’âge de 30 ans.

Aussi vraie que nature

Plusieurs stratégies thérapeutiques sont actuellement disponibles : l’approche pharmacologique, utilisée pour corriger l’aspect de la peau et limiter les symptômes, ou encore la thérapie cellulaire, réalisée grâce à une greffe de tissu prélevé sur le patient lui-même. Mais problème : il faut que celui-ci présente des zones épidermiques non atteintes suffisamment larges, à même d’être prélevées, pour greffer une peau saine. Or, pour de nombreuses génodermatoses, c’est loin d’être le cas. La solution proposée par l’équipe de Christine Baldeschi, utiliser une source externe et illimitée de cellules en les produisant dans leur laboratoire, fait fi de ces limites.
Cette aventure scientifique a pris son envol en 2009, quand les chercheurs sont parvenus à obtenir, à partir de cellules souches, des kératinocytes. À la base de notre épiderme, ils composent 90 % de la couche superficielle de notre peau et, assemblés en couches successives, en organisent l’architecture. Pour les « fabriquer », les scientifiques se sont inspirés de ce qu’il se passe lors de la formation de la peau chez l’embryon. Ils ont mis des cellules souches pluripotentes, potentiellement capables de donner tous les types cellulaires de l’organisme, en présence d’une grande concentration de BMP4 pendant 40 jours. Cette molécule est un facteur de différenciation naturellement présent chez l’homme, à même d’induire la transformation de cellules souches en cellules spécialisées. Les chercheurs ont ensuite isolé celles qui s’étaient transformées en kératinocytes et les ont multipliées.
Et le procédé fonctionne puisque, ensemencées sur un support, ces cellules se comportent de la même façon que des kératinocytes classiques et s’auto-organisent en plusieurs couches, tel un épiderme pluristratifié. Le plus ? Des xénogreffesXénogreffe
Transplantation d’un greffon, tel qu’un organe, dans lequel le donneur et le receveur sont de deux espèces différentes.
, avec des greffonsmade inlabo appliqués sur l’épiderme de souris immunodéficientes, ont été tentées... et réussies : ces sortes de pansements biologiques ont persisté pendant trois mois, soit trois cycles de renouvellement cellulaire.
De plus, en modulant la concentration de BMP4, les chercheurs sont parvenus à obtenir un autre type cellulaire de l’épiderme, des mélanocytes, responsables de la pigmentation. Encore une fois, les cellules obtenues en laboratoire miment parfaitement le fonctionnement de leurs consœurs naturellement présentes dans la peau. Leur machinerie enzymatique est par exemple tout à fait apte à produire des mélanosomes. Ces organites sont essentiels. Ce sont eux qui fabriquent les mélanines, les pigments protégeant la peau face aux radiations solaires. À la clé : un épiderme de kératinocytes et de mélanocytes qui, lorsqu’on lui applique l’hormone αMSH chargée de contrôler la pigmentation de la peau, se met à produire de la mélanine. Comme une vraie peau.

Une utilisation infinie

Les chercheurs utilisent deux types de cellules souches pour fabriquer leur pansement biologique : des cellules souches humaines d’origine embryonnaire, dites hESCellules souches embryonnaires
Cellules souches dites pluripotentes, à l’origine de tous les tissus de l’organisme
, et des cellules souches à pluripotence induite ou iPSCellules souches pluripotentes induites
Elles sont issues de la reprogrammation de cellules adultes en cellules capables de se différencier en tout type cellulaire.
.« Ces cellules sont immortelles, s’enthousiasme Christine Baldeschi. Elles s’auto-renouvellent indéfiniment. À partir d’elles, on peut obtenir une quantité illimitée de kératinocytes et de mélanocytes, et donc une quantité infinie de peau prête à l’emploi. »
Un brevet a d’ores et déjà été déposé par la chercheuse et deux de ses collègues. Et un essai clinique, où des greffes seront expérimentées chez des patients souffrant de drépanocytose1 , une maladie génétique du sang, devrait être lancé en 2014 pour une durée de deux ans. En effet, cette pathologie, très fréquente chez les populations originaires d’outre-mer et d’Afrique centrale et de l’Ouest, entraîne des accidents de la circulation sanguine, qui peuvent se compliquer en ulcération de la peau. « Les greffes que nous pratiquerons ressemblent à celles réalisées chez les grands brûlés, si ce n’est que les greffons appliqués seront des substituts épidermiques obtenus en laboratoire, explique la spécialiste.Aujourd’hui, ils ne se composent que d’un type cellulaire, les kératinocytes. À terme, bien évidemment, nous aimerions reconstituer une peau parfaite, qui contiendrait l’ensemble des types cellulaires épidermiques.  »
Pour l’heure, les chercheurs envisagent de pouvoir traiter différentes affections de la peau, comme celles touchant la pigmentation. C’est le cas du vitiligo, où l’épiderme offre de grandes zones dépigmentées à cause d’un dysfonctionnement des mélanocytes. Mais aussi les syndromes de Waardenburg ou de Griscelli, caractérisés par des anomalies de pigmentation d’origine héréditaire. « Nous envisageons de pouvoir adapter ces traitements pour aider à la cicatrisation de la peau en général, comme dans le cas de diabète, maladie qui facilite l’apparition de plaies aux pieds par exemple », assure la chercheuse.

Alice Bomboy

Centre d'étude des cellules souches (CECS) - image 4 . Les cellules souches sont placées en centrifugeuse.
© François Guénet/Inserm
Centre d'étude des cellules souches (CECS) - image 5 . Stockage en incubateur
© François Guénet/Inserm
Centre d'étude des cellules souches (CECS) - image 6 . Stockage en incubateur
© François Guénet/Inserm