Grossesse
Vascularisation du placenta : un des mystères éclairci

Les soupçons se confirment sur le rôle d’une glycoprotéine spécifique dans la grossesse : cette molécule empêcherait la migration de cellules placentaires essentielles à la mise en place des vaisseaux sanguins.

Au début de la grossesse, une des étapes importantes est la croissance des vaisseaux sanguins dans le placenta. Ces derniers sont, en effet, essentiels au bon développement du fœtus, car ils permettent les apports en oxygène et en éléments nutritifs. Or, cette vascularisation serait en partie sous la coupe d’une glycoprotéine, la CD146s. « Nous avons observé grâce à des prélèvements réalisés sur 50 femmes enceintes, à l’hôpital de la Conception de Marseille, qu’il y avait une diminution du taux sanguin de CD146 soluble (CD146s) pendant la grossesse physiologique de la femme », explique Nathalie BardinNathalie Bardin
Unité 1076 Inserm/Université Aix-Marseille.
, de l’unité Inserm Endothélium, pathologies vasculaires et cibles thérapeutiques à Marseille. Les chercheurs ont aussi noté l’expression de ce facteur sur un type particulier de cellules placentaires, les trophoblastes extra-villeux (EVT). Celles-ci ont deux particularités : elles sont, d’une part, capables de coloniser les tissus utérins afin d’ancrer le placenta à l’utérus, mais aussi de migrer dans les artères utérines dites « spiralées ». Là, les trophoblastes remplacent les cellules endothéliales, qui tapissent les vaisseaux, afin d’augmenter le débit sanguin pour favoriser les échanges foetaux-placentaires.« Ces deux résultats suggéraient que le CD146s représentait un acteur important pour la grossesse », commente la chercheuse, dont l’équipe a aussi mené des expériences de migrations et d’invasionin vitrosur des cultures de lignées cellulaires, de même qu’ex vivo, sur des échantillons de placentas.« Nous nous attendions que cette molécule avait un effet angiogéniqueAngiogénique
Processus de croissance de nouveaux vaisseaux sanguins à partir de vaisseaux pré-existants
sur les trophoblastes, comme nous l’avions déjà identifié sur d’autres types cellulaires comme la cellule endothéliale. Mais nos travaux ont montré que CD146s inhibait au contraire la migration et le potentiel invasif des trophoblastes extra-villeux », décrit Nathalie Bardin. Les observations réalisées chez le rat le confirment : chez les femelles traitées avec la molécule, on dénombre moins d’embryons implantés et moins de grossesses que chez les rates témoins.

Anticiper les grossesses à risques

Mais comment concilier le fait que cette molécule fasse, d’une part, proliférer les vaisseaux et inhibe, d’autre part, la migration de cellules qui ont in fine le même comportement, tels que les EVT ?« Notre hypothèse est que CD146s inhibe en réalité la différenciation  cellulaireDifférenciation cellulaire
Processus par lequel les cellules se spécialisent en un type cellulaire spécifique.
des EVT, ce qui produirait des cellules immatures, avec une faible capacité de migration », avance la chercheuse.
En outre, peu de marqueurs du développement vasculaire placentaire sont connus et les diagnostics cliniques qui permettent d’anticiper l’évolution normale ou problématique d’une grossesse sont de ce fait limités. « CD146s pourrait bien être un de ces marqueurs d’intérêt mais également faire office de cible thérapeutique dans les grossesses à risques, comme les cas de fausses couches répétées, d’échecs implantatoires ou de pré-éclampsies », espère Nathalie Bardin. Pour elle, c’est par exemple, en association avec d’autres mécanismes, une mauvaise vascularisation placentaire via les artères spiralées qui met le placenta en manque d’oxygène. Dans cette optique, l’équipe de chercheurs s’attèle d’ores et déjà à mieux comprendre tous les rôles et le fonctionnement de CD146s.

Alice Bomboy

CD146s (au milieu) inhibe la formation d'excroissances à partir des trophoblastes. En haut et en bas : cas contrôles
© Nathalie Bardin/Unité 1076 Inserm /Inserm