Imagerie cérébrale
L’émotion, ennemie du pilote ?

Pourquoi les pilotes, dans leur grande majorité, persistent-ils à vouloir atterrir malgré une météo très défavorable en passant outre les consignes de sécurité ? Parce que la charge émotionnelle qu’ils subissent, engendrée par des pressions, notamment financières, les conduit à faire ce choix à haut risque.

Après plusieurs heures de vol, l’aéroport d’arrivée est enfin en approche. Équipage et passagers sont fatigués et pressés de retrouver la terre ferme. Mais un très violent orage s’abat sur les pistes. Alors que doit faire le pilote ? Réinsérer l’avion dans le trafic aérien, en attendant une nouvelle autorisation d’atterrir ? Cela impliquerait de mobiliser son attention et ses compétences plus longtemps, entraînerait une consommation supplémentaire de carburant et donc un surcoût financier, sans compter le mécontentement des passagers… En dépit d’alertes et de consignes de sécurité prioritaires, le commandant de bord décide donc de ne pas remettre les gaz et tente l’atterrissage... Tout se passe bien : le pilote a réussi son pari ! Mais pourquoi deux pilotes sur trois, selon le Massachusetts Institute of Technology, font-ils ce choix à haut risque ?
C’est pour tenter de répondre à cette question, que des chercheurs toulousains de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace et le laboratoire Inserm « Imagerie cérébrale et handicaps neurologiques » ont placé 15 volontaires - au profil psychologique neutre - dans une expérience simulant un atterrissage sous IRMfIRMf
Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, technique d’imagerie médicale qui permet de visualiser l’activité du cerveau, lors de tâches réalisées par le sujet.
. Ces travaux ont permis de comparer la prise de décision face à une situation incertaine, avec un risque d’accident si l’atterrissage est mené à terme, avec ou sans incitation financière. C’est ce dernier facteur qui permet d’influencer l’état émotionnel du pilote. Si celui-ci fait un atterrissage justifié, conforme aux règles de sécurité, il obtient une récompense : de l’argent… Dans tous les autres cas, même pour une remise de gaz elle aussi justifiée, il écope d’un malus : on lui retire de l’argent. « Ce dispositif original inspiré d’un champ d’étude récent - la neuro-économie - qui s’intéresse à l’influence des facteurs cognitifs et émotionnels, et de l’incertitude dans la prise de décision économique, couplé à la neuro-imagerie, a été mis en place à Rome avec la fondation Santa Lucia», précise Josette PastorJosette Pastor
Unité 825 Inserm - Université Toulouse III-Paul-Sabatier
, qui a dirigé l’étude.
Résultat : la charge émotionnelle engendrée par l’attrait financier prend le pas sur les aspects rationnels incitant à la prudence, et fait basculer la prise de décision vers le mauvais choix. Ce que confirme l’IRMf : les régions cérébrales impliquées habituellement dans le contrôle des erreurs et la rationalité des choix sont comme mises en veille, tandis que certaines zones liées à un comportement émotionnel et moins réfléchi prennent le dessus. « La prise de décision erronée fondée sur l’optimisation économique résulte d’une bascule du système de raisonnement dit “froid”, c’est-à-dire rationnel, vers un système dit “chaud” s’appuyant sur les émotions », précise Josette Pastor. Toutefois, l’argent n’est pas le seul ressort qui peut agir sur la charge émotionnelle du pilote. D’autres facteurs, d’ordre psychologique (pression de l’échec mal vécu), social (pression des passagers), mental (système de l’attention sollicité à l’excès) ou physique (fatigue) peuvent avoir le même effet sur la prise de décision.
Cette étude démontre donc que, si l’erreur est humaine, certaines situations la favorisent et engendrent un mauvais choix inhérent au fonctionnement de notre cerveau, qui traite les informations selon ses propres contraintes. Ce phénomène pourrait-il être mieux pris en considération lors de la conception des instruments de bord automatisés ? « Certainement ! Notamment en allant vers des interfaces homme-machine sensibles à l’état du pilote et respectant ses limites »,avance Josette Pastor. Bref, construire des avions avant tout pour les pilotes et non pas pour les ordinateurs ! « Et c’est là tout l’enjeu de la neuro-ergonomie, une autre discipline émergente qui étudie notre cerveau au travail », conclut la chercheuse.

Nathalie Christophe

En haut, instrument et boîtier de réponse (prise de décision). En bas, régions cérébrales mises en jeu par l'incertitude : à gauche, région impliquée dans la cognition de haut niveau, à droite, région sollicitée lors d’une réponse non réfléchie.
© Auteur inconnu/Unité 825 Inserm /Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE)/Inserm