Paludisme
À quand le vaccin ?

Le vaccin est un peu le Graal des scientifiques qui cherchent à combattre le paludisme. Mais malgré les nombreux travaux menés sur le sujet, aucun candidat n’a encore su répondre aux espoirs. Pourquoi est-ce si compliqué ? Et quelles sont les pistes les plus prometteuses ?

Près d’un tiers de la population de la planète touché, plus de 600 000 morts chaque année, le paludisme est un des grands fléaux mondiaux. Une journée mondiale de lutte, placée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé, lui sera d’ailleurs consacrée le 25 avril prochain. Les mesures prises pour lutter contre le vecteur de la maladie, un moustique du genre Anophèle, et les traitements anti-paludiques ne suffisent malheureusement pas à enrayer la maladie. La solution pour baisser la mortalité et la morbidité, en particulier dans les zones à risque ? Un vaccin. Mais le polymorphismePolymorphisme
Le fait qu’une espèce présente des individus aux caractéristiques différentes au sein d’une même population.
du parasite Plasmodium, responsable de la maladie, et la complexité de son cycle de vie dans l’hôte, qui fait intervenir l’expression de différents gènes, compliquent la tâche des chercheurs. « Paradoxalement, il existe plus de 40 vaccins contre le paludisme du rongeur mais tous se sont révélés décevants une fois transposés à l’homme, un résultat expliqué par la spécificité du mécanisme hôte-parasite », explique Pierre Druilhe, fondateur et directeur de la start-up Vac-4-All à l’hôpital Cochin - dédiée au développement de vaccins contre le paludisme -, et ancien directeur du laboratoire de paludo-vaccinologie de l’Institut Pasteur. En effet, seules cinq espèces de Plasmodium sur 100 sont spécifiques à l’homme. Et les recherches vaccinales actuelles ciblent la plus connue et la plus meurtrière d’entre elles, appelée Plasmodium falciparum.
Face à la faible pertinence des modèles animaux expérimentaux, Pierre Druilhe a été le premier à les contourner en étudiant les sérums de populations africaines immunisées.« Les Africains exposés au paludisme dans les zones endémiques développent une immunité naturelle progressivement avec l’âge, appelée prémunition », souligne-t-il. L’examen de cette protection « naturelle » a permis de mieux comprendre les mécanismes d’interaction entre l’hôte et le parasite, et d’identifier des antigènesAntigène
Molécule reconnue par un anticorps et capable de déclencher une réponse immunitaire
indispensables au développement d’un vaccin.
À partir de ce constat, plusieurs voies sont explorées selon les différents stades du cycle de vie du parasite. État des lieux pour les trois axes de recherche principaux.

1. La piste hépatique du cycle du parasite

Les chercheurs ont élaboré un modèle de protection chez l’homme mais cette fois-ci artificielle. Il est, en effet, possible d’induire, de façon expérimentale, une immunité à partir de parasites vivants atténués, obtenus par irradiation, par inactivation génétique ou thérapeutique. Les équipes de Pierre Druilhe et de Dominique MazierDominique Mazier
UMR S 945 Inserm - Université Pierre-et-Marie-Curie
, directrice de l’unité Inserm Immunité et infection à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, ont, chacune, choisi d’explorer cette approche vaccinale, en tenant compte d’un des stades du cycle de vie du parasite dans l’hôte, le stade hépatique (voir schéma). En effet, après inoculation par un moustique, le parasite, appelé alors sporozoïte, va se développer dans les cellules du foie de l’hôte. Et le but du vaccin sera d’y empêcher sa multiplication. « L’interruption du cycle parasitaire à ce niveau permet de prévenir à la fois le développement du parasite et l’apparition des symptômes cliniques, précise Dominique Mazier. Nous avons récemment montré que des sporozoïtes atténués par certains traitements qui induisent leur mort cellulaire par apoptose, sont capables de déclencher une réponse immunitaire protectrice. Nous cherchons maintenant à identifier les antigènes qui, exprimés à la surface du sporozoïte, sont responsables de cette protection. » L’équipe de Pierre Druilhe, elle, a identifié un antigène appelé LSA3 (Liver Stage Antigen 3), grâce à l’étude différentielle des réponses immunitaires chez des individus protégés ou non après avoir été exposés à des parasites atténués. En cours de développement clinique par Vac-4-All, ce candidat-vaccin permettrait d’agir avant la multiplication du parasite chez l’homme, avec, à la clé, une protection solide contre l’infection.

2. La piste sanguine du cycle du parasite

Cycle du Plasmodium, vecteur du paludisme Le cycle de vie du Plasmodium est complexe. Il comporte deux étapes essentielles : une phase asexuée chez l’homme, et une phase sexuée chez le moustique.
© Infographie Sylvie Dessert
Pierre Druilhe s’est, également, intéressé au stade sanguin du cycle, où le parasite appelé alors mérozoïte finit par faire éclater les globules rouges infestés (voir schéma), ce qui induit les symptômes de la maladie et notamment la fièvre. Son équipe cherche à développer un vaccin qui reproduit la prémunition et s’attaque à la multiplication du Plasmodium. Deux candidats-vaccins ont notamment été identifiés : les protéines MSP3 (Merozoite Surface Protein 3) et PfPEBS (Plasmodium falciparum Pre-Erythrocytic and Blood Stage). Cette dernière s’exprime également au stade hépatique et possède donc les avantages de MSP3 et LSA3. S’ouvre alors une perspective de vaccin très intéressante. Un essai clinique est actuellement en cours chez l’adulte, en Europe et en Afrique, pour confirmer son efficacité. Quant à MSP3, un essai clinique a déjà montré que cet antigène offrait une protection contre le parasite chez les enfants infectés d’Afrique. Un autre, sur une plus grande échelle, a été lancé en mars 2011, chez 800 enfants de 8 villages africains. Les résultats sont actuellement en cours d’analyse.
Et si on développait un vaccin non pas « anti-parasite » mais « anti-maladie » ? « Il est possible de neutraliser l’expression des protéines pathogènes du stade sanguin afin de reproduire rapidement l’état de prémunition, explique Dominique Mazier.Le parasite continue de se multiplier mais les effets délétères sont diminués, ce qui permet d’instaurer une sorte de paix armée entre le parasite et son hôte. »
Actuellement, cinq molécules, identifiées en comparant parasites pathogènes et non pathogènes, sont en cours de validation préclinique via des tests in vitro et des études menées chez des souris humanisées. Pour garantir une efficacité optimale, le mieux sera de développer un vaccin « anti-stades sanguins » qui associe un vaccin « anti-parasite » et un vaccin « anti-maladie ».

3. La piste de l’éradication chez l’Anophèle

Enfin, pourquoi ne pas viser directement le parasite chez le moustique ? Un autre type de vaccin dit « altruiste » conduirait, en effet, à la production d’anticorpsAnticorps
Protéine capable de reconnaître une autre molécule, et seulement celle-ci. L’anticorps vient se lier à l’antigène, favorisant son élimination par les reins ou le système immunitaire.
dirigés contre les gamètes du parasite chez l’hôte (voir schéma). Ces anticorps seraient ensuite aspirés par le moustique et empêcheraient la reproduction sexuée du Plasmodium. Toutefois, cette piste, explorée par des chercheurs anglais, et qui permettrait de diminuer considérablement la transmission du parasite au sein de la population, est toujours au stade préclinique.
Si ce tour d’horizon ne permet pas encore d’espérer l’éradication du paludisme, les axes de recherche ne manquent pas et nombreux sont les candidats-vaccins à être actuellement étudiés. Si les essais les plus avancés se révèlent prometteurs, quatre années seront encore nécessaires pour mettre au point le ou les vaccins qui pourront mettre à terre le Plasmodium, avec en tête de liste le MSP3. Le bout du tunnel est en vue…

Fanny Pijaudier-Cabot