Médecine de demain - Régénération tissulaire
À pleines dents !

Si les poules devront encore attendre pour arborer une belle dentition, de nombreux travaux sont sur le point d’offrir aux dentistes une nouvelle gamme de thérapies capables de régénérer nos dents.

La thérapie cellulaire arrivera bientôt dans les cabinets dentaires, avec pour objectif de régénérer nos dents abîmées avant qu’il ne faille les arracher.« Actuellement, en cas de pulpitePulpite
Inflammation douloureuse de la pulpe d’une dent, communément appelée « rage de dent »
, soit on considère que la dent peut encore se défendre toute seule et le dentiste ne fait rien, soit il doit utiliser des méthodes du XIXe siècle, en retirant la totalité du tissu. C’est comme si on vous amputait le bras pour un panaris à l’index ! »
, déplore Henry Magloire, président de l’Institut français pour la recherche odontologique. Pour cet ancien praticien hospitalier de l’université de Lyon, la régénération de la partie de la dent sacrifiée par la fraise du dentiste pourrait bientôt éviter le recours massif à la dévitalisation. En 2010, l’équipe de Nadia Benkirane-JesselNadia Benkirane-Jessel
Unité 977 Inserm/Université de Strasbourg, Biomatériaux et ingénierie tissulaire
, responsable de l’équipe Biomatériaux actifs et ingénierie tissulaire à Strasbourg, a obtenu de bons résultats avec cette approche. Sur une lésion pulpaire de souris, ils ont appliqué un gel contenant une hormone mélanotrope (Melanocyte Stimulating Hormone, MSH), impliquée dans la pigmentation de la peau. « Ce gel permet de contrôler l’inflammation et induit la prolifération des fibroblastesFibroblaste
Cellule de soutien constituant le tissu conjonctif et qui assure notamment la réparation des lésions dues à un traumatisme.
de la pulpe
 », précise la chercheuse.

La dent, un organe complexe

Pour les lésions les plus importantes, une autre solution serait d’introduire dans la dent un biomatériau alvéolé « farci » aux cellules souches. Ce qui implique de doser le support pour qu’il se résorbe progressivement, tout en relâchant peu à peu son contenu dans la zone à combler. Il faut également savoir comment guider la différenciation de ces cellules en fonction de la partie à régénérer. « La dent est un organe compliqué, nous connaissons les 200 gènes impliqués dans son développement, mais leurs interactions sont complexes », explique Henry Magloire. De très nombreuses équipes françaises sont à l’œuvre pour les déchiffrer étape par étape. À l’université Paris Descartes de Montrouge, l’équipe de Catherine Chaussin s’intéresse plus particulièrement aux phénomènes de minéralisation et à la régénération de la dentine, cette couche intermédiaire entre l’émail et la pulpe. À la faculté d’ondotologie de Marseille, Imad About tente, lui, de comprendre comment reconstituer l’arbre vasculaire de la dent. Tandis qu’à Lyon, Jean-Christophe Farges et Françoise Bleicher s’attachent à la destinée des odontoblastes, cellules à l’origine de la dentine. Mis bout à bout, tous ces résultats fourniront les clés technologiques pour régénérer la dent, quelle que soit l’étendue de sa lésion.
Mais encore faut-il trouver la bonne source de cellules souches ! Le corps en comporte potentiellement un grand nombre : de la cellule de la moelle osseuse à celles issues du tissu adipeux, ou encore pourquoi pas dans le voisinage de la dent, au niveau de la gencive par exemple. « Nous travaillons avec des cellules souches proches des zones que l’on souhaite régénérer, car elles partagent la même origine embryonnaire », décrit Benjamin FournierBenjamin Fournier
Unité 872 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie
de l’équipe Physiologie orale moléculaire, au Centre de recherche des Cordeliers. Ce jeune chercheur a déjà fourni la preuve de la faculté de certaines cellules issues de la gencive à se différencier en tout type cellulaire, en les utilisant pour traiter l’anévrisme du lapin. Un essai clinique va être prochainement lancé dans plusieurs centres, afin de voir s’il s’agit d’un moyen sûr de reconstituer la pulpe dentaire humaine.
Toutefois, les ambitions de la thérapie cellulaire ne se limitent pas à l’intérieur de la dent. « La maladie parodontale, qui détruit les tissus de soutien, représente 50 % des causes de morbidité de la dent », explique Ariane BerdalAriane Berdal
Unité 872 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie
, responsable de l’équipe Physiologie orale moléculaire. Principal enjeu : renforcer son ancrage, de façon naturelle ou non, afin d’éviter des infections du tissu mou, et enrayer la destruction de l’os, suite à une extraction dentaire. Des études cliniques menées par José CohenJosé Cohen
Unité 955 Inserm/Université Paris Est Créteil-Val-de-Marne, Étude des dysfonctions lymphocytaires en immunopathologie rénale et en transplantation
sont actuellement en cours à l’hôpital Henri-Mondor dans le but de tester un traitement contre la régression de l’os maxillaire. Des fibroblastes de gencives de patients à qui l’on doit retirer une dent vont être amplifiés, avant d’être appliqués dans la cavité osseuse le jour même de l’extraction.

Des cellules souches, mais lesquelles ?

Mais que faire si la dent ne peut être sauvée ? Remplacer les prothèses dentaires artificielles par des dents naturelles est en effet un vieux fantasme de la recherche odontologique. « Une dent vivante sera toujours meilleure qu’une dent inerte », explique Nadia Benkirane-Jessel.« Elle est vascularisée et préserve la sensation de douleur. Les patients qui ne sentent rien à cause d’une dent artificielle sont plus facilement victimes d’infections. ». Plusieurs équipes à travers le monde sont déjà parvenues à faire pousser une dent de rongeur à partir de cellules souches embryonnaires, à l’image de celle obtenue par Hervé Lesot, membre de l’équipe strasbourgeoise de Nadia Benkirane-Jessel. La méthode consiste à implanter un germe de dent embryonnaire sous la peau d’un animal immunodéprimé pour éviter qu’il ne le rejette, puis, une fois qu’elle a atteint une taille suffisante, à la réinsérer dans la mâchoire d’une souris où elle achèvera son développement.« Dans le cas de l’Homme, on ne peut pas prendre le germe embryonnaire pour régénérer la dent, poursuit Nadia Benkirane-Jessel. Mais on peut imaginer partir soit de cellules souches mésenchymateusesCellules souches mésenchymateuses
Elles donnent naissance aux tissus conjonctifs du squelette : os, cartilage, tissu adipeux…
de la moelle
osseuse, soit, plus intéressant, de cellules souches pluripotentes induitesCellules souches pluripotentes induites
Elles sont issues de la reprogrammation de cellules adultes en cellules capables de se différencier en tout type cellulaire.
(iPS) prélevées sur la peau.
 »
Débusquer les bonnes cellules souches est un réel obstacle à la production de dents naturelles humaines. Elles sont, en effet, formées de deux composés : un composé épithélial qui donne naissance à la racine et à l’émail et un tissu conjonctif à l’origine de la pulpe qui remplit la cavité dentaire. Le problème est que l’on ne sait pas encore de façon certaine d’où provient ce tissu épithélial. « On peut toutefois remplacer l’intérieur de la dent avec des cellules qui lui sont étrangères - issues de la gencive ou de la moelle osseuse par exemple -, estime Ariane Berdal. Mais il faut toujours un épithélium dentaire pour guider le développement. ». À cela s’ajoute un obstacle d’ordre économique. Les industriels ont-ils vraiment intérêt à consentir de gros investissements sur une technique qui ne sera peut-être jamais adaptée à la pratique clinique ? Après tout, la fabrication d’une nouvelle dent peut prendre des années.
Si la production de dents naturelles n’est pas pour demain, la régénération dentaire, quel que soit l’angle par lequel on l’attaque, fera très prochainement partie de l’arsenal des soins dentaires. Mais que cette promesse d’un beau sourire à l’infini ne vous dispense pas de bien vous laver les dents après chaque repas…

Damien Coulomb

Première molaire supérieure d'un embryon de souris (3D) : en haut à gauche - épithéliums dentaire (en jaune), buccal (en vert), en haut à droite - mitoses de l'épithélium dentaire (en rouge), dans le mésenchyme (en vert) et apoptoses en (blanc), en bas - activités cellulaires en partie antérieure (gauche) et médiane (droite) de la dent
Ⓒ Hervé Lesot/Unité 1109 Inserm /Inserm