Maladies rares
Quand la santé ne tient qu’à un cil

étudier des maladies conduit généralement à leur trouver un traitement. Mais parfois aussi à mieux comprendre le fonctionnement normal de nos cellules. Exemple avec une ciliopathie, maladie aux multiples symptômes, induite par un défaut des cils cellulaires.

Reconstitution 3D d’une coupe de rétine de souris : en rouge, les cils connecteurs des photorécepteurs, en bleu, les noyaux de ces cellules
© Vincent Marion/Laboratoire de Génétique Médicale de Strasbourg/Inserm
Les cils sont à la mode dans les laboratoires. Pas ceux des cellules ciliées de l’oreille et encore moins ceux qui protègent nos yeux. Mais ceux, sensoriels, qui se trouvent à la surface de la plupart de nos cellules. Et lorsqu’ils sont défectueux, ils entraînent des maladies, appelées ciliopathies, comme le syndrome de Bardet-Biedl (BBS), qui survient lors d’une naissance sur 130 000. Caractérisé par des atteintes rétinienne et rénale et une obésité massive, entre autres, c’est le sujet d’étude de Vincent MarionVincent Marion
équipe Avenir 3949, Inserm/Université de Strasbourg
, au laboratoire de Génétique médicale, à Strasbourg, qui vient de publier deux résultats. Le premier intéresse d’abord les malades. Grâce à un modèle murin dépourvu du gène Bbs12 que l’on sait impliqué dans le syndrome, les chercheurs ont mis en évidence le mécanisme à l’origine de l’atteinte rétinienne. « C’est le déclenchement de l’apoptoseApoptose
Mort cellulaire programmée
des photorécepteurs de la rétine qui est en cause. Un défaut dans le transport de protéines à travers le cil de ces cellules conduit à leur accumulation dans le réticulum endoplasmique, un organiteOrganite
Structure spécialisée du cytoplasme
intracellulaire dans lequel les protéines subissent d’ultimes modifications avant d’être, par exemple, sécrétées hors de la cellule. Cette surcharge protéique entraîne ensuite une cascade de réactions, dans laquelle la Caspase-12, une enzyme, joue un rôle majeur, ce qui aboutit à la mort cellulaire. »
Surtout, les chercheurs ont montré que la synergie entre trois molécules permettait de contrer le déclenchement de cette apoptose. « Donc de ralentir la perte de la vision, souligne Vincent Marion. Et de retarder le moment où l’on peut effectuer une thérapie génique, pour insérer le gène Bbs12 en état de marche. Deux des trois composés, l’acide valproïque et le guanabenz sont des médicaments déjà sur le marché. Le dernier composé, INH, est un inhibiteur spécifique de la Caspase-12. »
Mais ce n’est pas tout. L’étude du BBS a permis aux chercheurs d’identifier une voie de signalisation cellulaire impliquée dans des maladies plus courantes, comme le diabète de type 2. L’une des caractéristiques de ce syndrome est, en effet, une obésité massive. Cependant, elle est rarement accompagnée d’une résistance à l’insuline, phénomène précurseur du diabète et généralement associé à l’obésité. Vincent Marion et ses collègues ont cherché à comprendre pourquoi. « Nous avons découvert que l’inactivation de Bbs12 chez des souris pousse les cellules mésenchymateusesCellules mésenchymateuses
Cellules souches capables de se différencier en différents types cellulaires
vers la voie adipogénique.
 » Ces dernières peuvent, en effet, se différencier en ostéocytes ou en adipocytes. En augmentant le nombre des cellules de stockage de la graisse, le tissu devient hyperplasique : il contient un grand nombre de cellules de petite taille. «  Au contraire d’un tissu hypertrophique, dans lequel c’est la taille des cellules qui augmente, un tissu hyperplasique ne déclenche pas de réaction inflammatoire locale. » C’est lorsque les cellules sont trop grosses que la circulation sanguine est altérée, déclenchant leur mort et une inflammation. En l’absence de cette réaction inflammatoire, les cellules conservent leur sensibilité à l’insuline. « Si l’on pouvait moduler le recrutement des cellules mésenchymateuses vers le tissu adipeux, nous pourrions ainsi prévenir le diabète chez les personnes obèses », souligne Vincent Marion. Le chercheur et son équipe y travaillent et ont même déjà identifié une cible.

Julie Coquart