Inegalites sociales de santé
Comment les combattre ?

Constat amer, le 26 octobre dernier, lors du colloque de l’institut thématique « Santé publique » d’Aviesan consacré aux déterminants sociaux de la santé : la France est l’un des pays d’Europe de l’Ouest où les inégalités sociales de santé sont les plus fortes. Quelle politique faut-il mener pour les réduire ? Les intervenants apportent des éléments de réponse.

Alors que notre système d’assurance-maladie permet de garantir une certaine égalité d’accès aux soins, les inégalités sociales de santé demeurent criantes en France. Selon l’Insee, l’espérance de vie d’un ouvrier de 35 ans n’est, en effet, que de 41 ans, contre 47 ans pour un cadre. Cette différence atteint même dix ans pour l’espérance de vie «  en bonne santé ». En ce qui concerne le taux de mortalité, toutes maladies confondues, il est deux fois plus important pour les classes défavorisées que pour les catégories aisées. Pourquoi ce paradoxe ? « Tout simplement parce que les inégalités sociales de santé se jouent pour l’essentiel en amont du système de soins », insiste Jean-Paul MoattiJean-Paul Moatti
Unité 912 Inserm/Université d’Aix-Marseille, IRD, SESSTIM
, directeur de l’institut thématique multi-organisme (ITMO) Santé publique d’Aviesan. « Entre les années 1970 et 2000, elles ont été reliées soit au stress du travail, soit à des facteurs matériels’’ : pauvreté, logement insalubre... Or les travaux récents montrent l’importance des comportements de santé, qui avaient été largement ignorés auparavant dans les débats », explique Archana Singh-ManouxArchana Singh-Manoux
Unité 1018 Inserm/Université Paris-Sud 11,
du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de Villejuif. En 2010, son équipe a montré que le tabagisme, la consommation d’alcool, l’alimentation et l’activité physique expliquaient plus de 70 % de la relation entre niveau socio-économique et mortalité au sein d’une cohorte de 10 000 fonctionnaires londoniens. En 2011, des résultats semblables ont été retrouvés sur la cohorte française GAZEL regroupant 20 000 anciens salariés d’EDF-GDF.
Tout serait donc une question de mode de vie ? La « faute » en reviendrait aux personnes qui n’ont qu’à mieux manger, arrêter de boire et de fumer ? Sauf que ces comportements ne doivent plus être considérés comme des comportements individuels mais comme des comportements sociaux, eux-mêmes dépendants de multiples facteurs : éducation, emploi, revenus, relations sociales, estime de soi, stress... Reliés entre eux par des chaînes de causalité complexes, ces « déterminants sociaux » agissent et s’accumulent depuis la vie intra-utérine jusqu’à l’âge adulte. « Vous ne trouverez, hélas, pas un seul déterminant sur lequel nous pourrions agir simplement. Pour réduire les inégalités sociales de santé, il est nécessaire d’intervenir sur un ensemble très large, ce qui veut dire "revisiter" l’ensemble de nos politiques pour lutter contre toutes les formes d’inégalités », précise Thierry LangThierry Lang
Unité 1027 Inserm/Université de Toulouse III–Paul Sabatier, Épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps
, épidémiologiste à la faculté de médecine de Toulouse.« Avant tout, il est primordial de se consacrer à la lutte contre le tabac et le surpoids, car ces facteurs contribuent le plus aux inégalités sociales de santé », complète Archana Singh-Manoux.
L’augmentation du prix du tabac en octobre dernier va-t-elle permettre de réduire l’incidence des cancers, maladies respiratoires et cardiovasculaires au sein des milieux populaires ? « Une augmentation significative et répétée du prix du tabac est nécessaire. Mais elle doit être accompagnée de mesures d’aide à l’arrêt. Des actions ciblées et de proximité, qui ne seraient pas forcément réalisées par des soignants », explique Patrick Peretti-WatelPatrick Peretti-Watel
Unité 912 Inserm/Université d’Aix-Marseille, IRD, SESSTIM
, sociologue à l’Observatoire régional de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les dernières campagnes de prévention ont, en effet, davantage profité aux populations aisées, alors que ce sont les classes défavorisées qui souffrent le plus de l’augmentation des prix.« En 2000, 5 % des fumeurs consacraient plus de 20 % de leurs revenus à la cigarette, ils étaient 15 % en 2005, ils sont sans doute encore plus nombreux aujourd’hui », indique le sociologue. Avec des impacts sur les autres dépenses familiales, en particulier celles dédiées à l’alimentation. Or, une alimentation saine est à la base de la lutte contre l’obésité, pour laquelle les inégalités sociales se creusent.
Pour exemple, en grande section de maternelle, les enfants dont le père est ouvrier sont 13,9 % à présenter un surpoids, en 2006, contre 8,6 % pour ceux dont le père est cadre. En moyenne, le surpoids des 5-6 ans avait pourtant reculé entre 2000 et 2006. « Cela souligne l’importance de se donner comme objectif d’améliorer la santé dans tous les groupes socio-économiques et pas seulement en moyenne dans l’ensemble de la population », souligne Thierry Lang. Outre nos revenus et notre niveau d’instruction, notre cadre de vie jouerait aussi sur nos comportements alimentaires et notre activité physique. « En caricaturant, même si vous êtes très riche, mais que vous vivez dans un quartier défavorisé, vous aurez plus de chance d’être obèse », explique le chercheur. Un tel résultat a été montré en 2011 sur la cohorte francilienne Record.
« Lors d’un récent débat public, on m’a posé la question : ne serait-il pas plus important de subventionner davantage les cantines scolaires dans certains quartiers 1 que de rembourser certains médicaments à l’efficacité faible voire nulle. C’est provocant, mais cela souligne le fait que la lutte contre les inégalités sociales de santé n’implique pas seulement le ministère de la Santé, mais aussi de ceux de l’Éducation, des Transports, des Territoires, du Logement.... Il serait temps qu’elle devienne une ­priorité interministérielle et nationale comme c’est le cas en Grande-Bretagne », conclut Jean-Paul Moatti. 

Gaëlle Lahoreau