Douleur
Faut-il souffrir pour guérir ?

Les maladies peuvent faire mal, leurs traitements aussi. Certaines douleurs persistent et peuvent considérablement altérer la qualité de vie. Les chercheurs de l'Inserm se mobilisent pour que la guérison soit indolore.

Des champs de pavots à opium dans le Val de Loire, en Champagne-Ardenne ? À qui donc la France, le troisième producteur mondial en 2010 selon l’Organe international de contrôle des stupéfiants, destine-t-elle le fruit de leur culture ? Aux hôpitaux français, mais aussi étrangers : car aujourd'hui, difficile de se passer de la précieuse morphine pour calmer les douleurs au cours des soins médicaux, notamment après une opération. Aiguës, ces souffrances postopératoires disparaissent généralement au bout de quelques jours, une fois la plaie cicatrisée et leur souvenir atténué. Mais certaines persistent. D’autres peuvent apparaître des semaines, voire des mois après l’intervention. Rebelles à la morphine, elles peuvent provenir, non pas de récepteurs à la douleur trop stimulés, mais de nerfs directement endommagés qui se mettent à « dérailler ». On parle alors de neuropathie. En France, ce type de douleurs post-opératoires représenterait environ 25 % des motifs de consultation dans les centres anti-douleurs.

L’après-chirurgie

Car malgré la compétence des chirurgiens, certains actes entraînent des dommages collatéraux : bien que rarement coupés, les nerfs sont parfois écrasés, étirés. « Or ceux-ci ne se réparent pas aussi bien que la peau. Après une lésion, certains ne vont plus fonctionner normalement et transmettre des messages erronés », explique Christian DualéChristian Dualé
CIC 501 Inserm/UdA/CHU/CJP, Neurosciences, oncologie adulte et pédiatrique, vaccinologie, ophtalmologie, CHU de Clermont-Ferrand
, médecin anesthésiste au CHU de Clermont-Ferrand. Les symptômes sont alors différents et variés : une sensibilité à la chaleur, aux caresses... Parfois, ce sont plus des sensations « bizarres » que des douleurs : comme ces picotements ou engourdissements au niveau du bras que certaines patientes éprouvent après une chirurgie du cancer du sein. « Plus le délabrement tissulaire est grand, plus le risque de créer des lésions est important », indique le chercheur. Pas étonnant que la thoracotomie, qui consiste à ouvrir le thorax pour, par exemple, enlever des tumeurs au niveau des poumons, soit l’un des actes les plus pourvoyeurs de neuropathie, par atteinte de nerfs intercostaux. « Un tiers des patients qui subissent cette opération vont en développer une. Beaucoup vont guérir naturellement, mais 5 à 10 % gardent des douleurs chroniques, au-delà d'un an », précise Christian Dualé dont l’équipe vient de terminer une vaste enquête épidémiologique auprès de 3 000 patients opérés dans 40 cliniques et hôpitaux français (étude Edonis). En cours de publication, leurs résultats permettront de hiérarchiser, pour la première fois, les neuropathies induites dans les six mois qui suivent 10 types d’interventions (mastectomie, césarienne, arthroscopie du genou...). Mais Christian Dualé a déjà la tête tournée vers une nouvelle cohorte qui permettra de tester des traitements pour prévenir les neuropathies induites par la thoracotomie (projet NITT).

Une sensibilité gênante

Outre la chirurgie, certaines chimiothérapies peuvent aussi entraîner des neuropathies. « C’est spécifique à certains types d’anticancéreux comme les taxanes utilisés pour traiter les cancers du sein, ou les sels de platine pour les cancers digestifs et pulmonaires », souligne David BalayssacDavid Balayssac
Unité 1107 Inserm/Université d’Auvergne, Neuro-DOL
du laboratoire de toxicologie à la faculté de pharmacie de Clermont-Ferrand. Le cas de l’oxaliplatine, le traitement de base du cancer colorectal avancé, est le plus frappant. « Plus de 90 % des patients montrent une sensibilité au froid dans les 24 heures qui suivent l'administration, ce qui déclenche des sensations désagréables, notamment au niveau des mains lorsqu’ils touchent des objets froids. » Résultat : impossible d’ouvrir le frigo sans mettre des gants, de se promener au rayon frais des supermarchés... Anodin ? Loin de là ! Les oncologues sont parfois contraints de diminuer voire d'arrêter les chimiothérapies pour ne pas laisser de séquelles irrémédiables ni altérer la qualité de vie des malades. En effet, cure après cure, les troubles de la sensibilité s’installent. « Pour 20 à 30 % des patients, ces troubles deviennent chroniques. Et certains d'entre eux conservent une hypersensibilité même deux ans après la dernière cure », précise le chercheur. Pour pallier ces effets indésirables, l’équipe clermontoise travaille sur des souris et des rats qui, tout comme l’homme, développent une hypersensibilité au froid lorsqu’ils reçoivent une injection d’oxaliplatine. En 2011, elle a montré la sur-expression de canaux ioniquesCanaux ioniques
Ils permettent le passage des ions à travers la membrane cellulaire des neurones et rendent possible la transmission de l’influx nerveux.
de type excitateur par les neurones impliqués et qu'une molécule déjà commercialisée contre l’angine de poitrine, l’ivabradine, permettait de les bloquer. « Nous préparons actuellement un premier protocole clinique qui permettra d'évaluer l'efficacité et la sécurité de son emploi chez des patients », annonce David Balayssac. L’étude devrait commencer courant 2013. Un essai plus original sera alors déjà en cours. « Avant la fin de l’année, nous allons tester l’effet d’un régime alimentaire sans polyamine, ces composés organiques que l’on trouve dans pratiquement tous les aliments, mais surtout dans les abats, les vieux fromages, la ratatouille. Chez le rat, nous avons montré qu’il prévenait la neuropathie induite par l’oxaliplatine, certainement via un effet sur l'activité de récepteurs neuronaux de la moelle épinière », explique-t-il. Les chercheurs se mobilisent donc pour que guérir ne soit plus forcément synonyme de souffrir. De réels espoirs pour la qualité de vie des patients.

Gaëlle Lahoreau