Cancer
Pourquoi les cellules ont la bougeotte

L’équipe Inserm de Jacques Camonis, à l’Institut Curie, vient de faire un pas en avant dans la compréhension des mécanismes de la migration des cellules. Impliquée dans les cancers, c’est une cible thérapeutique prometteuse.

Nos cellules bougent, que ce soit lors du développement de l’embryon, ou de la réponse immunitaire. Mais aussi dans d’autres situations plus inquiétantes comme les cancers, lorsque des cellules malignes parviennent à migrer et à former des métastases. Cette aptitude à se déplacer, ou motilité, repose sur la formation d’un réseau de filaments d’actine, une protéine indispensable à l’architecture et aux mouvements des cellules, au niveau du front de migrationFront de migration
Partie avant de la membrane cellulaire lorsque la cellule se déplace.
. Comment cette motilité s’acquiert-elle ? Une question fondamentale pour la recherche. Car, si toutes les cellules de notre corps peuvent produire de l’actine, toutes ne sont pas mobiles en temps normal : c’est le cas par exemple des cellules épithéliales de la peau, des intestins et des seins. Et pourtant, ces tissus sont le siège des cancers les plus répandus. « Les métastases se forment dans le corps parce que ces cellules deviennent mésenchymateuses, c’est-à-dire se désolidarisent les unes des autres et sont ainsi libres de migrer hors du site de la tumeur », résume Maria-Carla ParriniMaria-Carla Parrini
Unité 830 Inserm/Paris 5, Génétique et biologie des cancers
dans la revue Molecular Cell.
La motilité est contrôlée par de nombreuses voies de signalisation : un ensemble de réactions biochimiques en cascade qui permettent aux éléments d’une cellule de détecter les signaux externes et d’y répondre. L’une d’entre elles est bien connue : la voie Rac. Décrite dans la littérature médicale depuis 20 ans, on sait qu’elle déclenche la formation des filaments d’actine.
L’équipe de Jacques CamonisJacques Camonis
Unité 830 Inserm/Paris 5, Génétique et biologie des cancers
a simulé une blessure dans une monocouche de cellules épithéliales de mammifères en y plantant une pipette. Les chercheurs ont ensuite observé que les cellules du voisinage commençaient à migrer pour assurer la cicatrisation de la blessure. Ils ont ainsi montré qu’une protéine, SH3BP1, était essentielle à la migration des cellules réparatrices. En effet, les cellules chez qui les chercheurs avaient bloqué l’expression du gène codant pour cette protéine migraient moins bien. En temps normal, SH3BP1 inactive Rac, la protéine clé de la voie Rac : sans cela, la cellule risque de moins bouger, de se doter d’un réseau d’actine mal organisé, et par conséquent d’avoir du mal à avancer dans la bonne direction.
Par ailleurs, il existe un lien entre la voie Rac et une autre voie, dont on connaît depuis une dizaine d’années le rôle dans le trafic de vésicules de sécrétion vers la membrane cellulaire et l’implication dans les cancers : la voie Ral. En effet, un complexe protéique de cette voie, l’exocyste, interagit directement avec SH3BP1. « Ce complexe est comme un taxi qui transporte SH3BP1 jusqu’au front de migration, schématise Maria-Carla Parrini. Là, SH3BP1 agit sur la voie Rac et la formation du réseau d’actine, permettant ainsi une migration efficace. » Ces découvertes sont précieuses. En effet, cette connexion entre ces deux voies que sont Ral et Rac permet d’ores et déjà d’envisager de nouvelles stratégies pour inhiber la migration des cellules cancéreuses.

Clara Delpas

Monocouche endothéliale. Cellules endothéliales humaines mises en culture. En vert, la VE-cadhérine, qui souligne les jonctions entre les cellules, en bleu, les noyaux des cellules, en rouge, les filaments d’actine qui maintiennent la forme des cellules.
Ⓒ Danielle Gulino-Debrac /Inserm