À l’école des apprentis chercheurs…

Véritable immersion dans le monde de la recherche, le programme « Tous chercheurs » lancé par Constance Hammond accueille, chaque semaine depuis 6 ans, des classes de lycéens dans un laboratoire qui leur est réservé à l’Inmed à Marseille. Avec la publication dans PloS Biology du bilan de cette expérience unique, les responsables du projet espèrent voir cette initiative se développer en France.

Tous chercheurs 2010
Tous chercheurs 2010 (Inmed, Aix-Marseille 2). « Tous chercheurs » 2010 (Inmed, Aix-Marseille 2)
© François Guénet/Inserm
Un mercredi après-midi de « cagnard », sur les hauteurs de la Faculté de sciences de Luminy à Marseille, quelques dizaines de jeunes gens déambulent entre les paillasses de l’Institut de neurobiologie de la Méditerranée (Inmed). Leurs regards fixés sur les éprouvettes et les boîtes de Pétri à la recherche de colonies bactériennes, ils manipulent les tubes à essais et les cuves d’électrophorèse avec un objectif : transférer dans une bactérie le gène exprimant la protéine fluorescente GFPGFP
Découverte en 1962 chez la méduse Aequorea victoria, la protéine GFP ( green fluorescence protein) a la propriété d’émettre une fluorescence verte. Le gène à l’origine de son expression est très souvent utilisé par les chercheurs pour visualiser certains processus biologiques, notamment la synthèse de protéines d’intérêt spécifique.
. Le quotidien d’une équipe de recherche ? Non, seulement celui d’apprentis, des lycéens de terminale scientifique option SVT du lycée Antonin-Artaud à Marseille parmi lesquels, peut-être, certains deviendront de futurs chercheurs. Trois jours durant, ils raisonnent et expérimentent comme leurs aînés. En bref, pour ces adolescents, une véritable plongée au cœur de la démarche scientifique.

Une pédagogie novatrice

L’idée de ces stages de formation est née en 2002 de la seule volonté de Constance HammondConstance Hammond
Directrice de recherche Inserm, unité Inserm 901, Institut de neurobiologie de la Méditerranée (Inmed)
. « J’ai enseigné pendant 17 ans et je sais que les TP, dans les écoles comme dans les universités, se résument trop souvent à la simple vérification d’expériences dont les résultats sont connus à l’avance. Les élèves n’apprennent pas à réfléchir, à innover, à critiquer. J’ai donc voulu développer une approche pédagogique différente. » Très vite, le projet obtient le soutien de l’Inserm, du ministère de l’Enseignement et de la Recherche, de la région PACA, de la ville de Marseille et de l’Université de la Méditerranée-Aix-Marseille II, et suscite l’intérêt des associations d’enseignants de la région. Le bouche à oreille fait son œuvre, et les premières réservations affluent en 2004. Six ans plus tard, « Tous Chercheurs » accueille 25 à 30 classes soit environ 1 000 lycéens, par an. « Nous sommes déjà complets pour l’année scolaire 2010-2011 », se réjouit Constance Hammond.
En pratique, les stages se déroulent sur trois jours. « Le premier est consacré à l’observation et à l’élaboration du projet de recherche : qu’allons-nous étudier et comment allons-nous procéder ? explique Jean ThimonierJean Thimonier
Ingénieur d’études Inserm, unité Inserm 901, Institut de neurobiologie de la Méditerranée (Inmed)
, responsable de la gestion du projet. Le deuxième est celui de l’expérimentation. Les lycéens mettent au point et réalisent leurs expériences, évaluent les problèmes rencontrés, recommencent au besoin, et enfin discutent leurs résultats. Le dernier jour est réservé à l’interprétation et à la présentation des travaux qui sont soumis à la critique des autres élèves et de plusieurs chercheurs. » Les thèmes abordés sont variés : réponse à l’infection, traitement du diabète, développement et plasticité cérébrale, étude de la pollution de l’eau.… « Aujourd’hui, la question posée est : comment transférer un phénotype d’un individu à un autre, précise Jean Thimonier. Pour cela, le gène de la protéine GFP est parfait. Par groupe de 7 ou 8, les lycéens passent d’un atelier expérimental à un autre et ce faisant retracent les différentes étapes qui permettent de transférer le gène responsable de la synthèse de la GFP dans des bactéries Escherichia coli. » Les élèves enchaînent alors purification par chromatographie hydrophobe, électrophorèse en gel, amplification de gène par PCR (Polymerase Chain Reaction), transfert de gène par vecteur plasmidique et autres techniques sophistiquées, monnaie courante des laboratoires de génétique.
Les lycéens sont épaulés dans leur quête par de jeunes chercheurs. « Ces ateliers expérimentaux sont les mêmes que ceux menés dans n’importe quel laboratoire de génétique, assure Emmanuelle, jeune docteur ès sciences. Nous sommes là pour guider les élèves, les amener à se poser des questions et à y répondre par eux-mêmes. Nous essayons de leur faire comprendre qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais résultat. Si une expérience rate, ils doivent essayer de comprendre pourquoi et recommencer. Notre rôle est de les aider à établir leurs protocoles expérimentaux et à vérifier soigneusement leurs manipulations. Nous les encourageons à échanger librement, à discuter leurs hypothèses. »

Ils seront chercheurs… peut-être !

Aux termes de ces trois jours intensifs de recherche, les lycéens repartent en classe ravis de leur séjour à l’Inmed. « C’est génial, ça n’a rien à voir avec les cours, c’est beaucoup plus pratique, on manipule vraiment. » Et qu’en pense leur professeur de SVT ? Elle envierait presque ses élèves. « C’est un vrai plus par rapport au programme scolaire. En arrivant, les élèves trainent un peu des pieds, mais très vite, devant l’originalité de la formation, ils se prennent au jeu et s’impliquent à 100 %. »
Enfin, à la question « Souhaitez-vous devenir chercheur ? », les avis des adolescents sont plus partagés. Certains envisagent déjà une carrière scientifique, d’autres, moins enthousiastes, ne se voient pas passer leur vie « enfermés dans un laboratoire ». « Si on peut susciter une vocation par classe, c’est déjà bien, concède Constance Hammond. Certains disent que ce n’est pas pour eux, d’autres que cela les conforte dans l’idée de continuer dans les sciences, d’autres encore qu’ils ne voyaient pas ce métier comme cela. »
Après 6 ans d’existence, Constance Hammond se dit « très contente » de l’évolution de son projet et espère le dupliquer ailleurs en France. « Le plus dur c’est de mobiliser les gens et les ressources financières, regrette la chercheuse. D’autres villes, comme Montpellier ou Nice, sont intéressées, mais il faut du temps pour que tout se mette en place. » Espérons que la publication dans PloS Biology fasse des émules et favorise le développement du programme « Tous chercheurs » à d’autres régions françaises !

Yann Cornillier

boîte de Pétri
1. Mise en culture de bactéries avec le gène de fluorescence (boîte de Pétri)
© François Guénet/Inserm
électrophorèse
2. Visualisation des résultats de l’électrophorèse
© François Guénet/Inserm
Entrée des données sur ordinateur
3. Entrée des données sur ordinateur, synthèse et discussions des résultats
© François Guénet/Inserm
Culture de bactéries
4. Culture de bactéries avant (en vert) et après (en bleu) le transfert de gène de fluorescence
© François Guénet/Inserm
par PCR
5. Visualisation des résultats de l’amplification de gènes par PCR
© François Guénet/Inserm